octobre 2010

L'assassinat politique du permis à points

La tentative d'affaiblissement du pouvoir de dissuasion du permis à points par l'amendement Fouché, adopté par le Sénat le 10 septembre 2010 est la plus dangereuse que l'on ait connue depuis la mise en oeuvre du permis à points il y a 18 ans. Cet outil de prévention appartenant au domaine du sursis (vous serez sanctionné si vous récidivez à de multiples reprises) avait une efficacité limitée dans le contexte qui a prévalu pendant les 10 années qui ont suivi sa création. La tolérance très importante sur les excès de vitesse le trafic d'influence habillé du terme impropre d'indulgence, la difficulté du traitement manuel d'une quantité massive d'infractions ne permettaient pas de convaincre tous les usagers de la nécessité d'avoir à respecter les règles. Les décisions de décembre 2002 n'ont pas modifié les règles, elles ont rendu leur application crédible et elles ont donné au permis à points toutes ses capacités de prévention.

J'ai analysé dans un texte évolutif qui demeure accessible sur le site le déroulement des événements depuis la fin septembre jusqu'au 5 octobre (éditorial octobre 2010 _ version 1). Je reprends ici l'ensemble de l'analyse en la condensant, avant le retour de la loi (LOPPSI 2) devant l'Assemblée Nationale qui est prévue à la fin du mois de novembre. Quatre aspects différents doivent être analysés :

Ces aspects sont présentés avec des liens vers des documents spécifiques.

 Une première analyse de l'amendement Fouché a été rédigée fin septembre à la demande de la présidente de la Ligue contre la violence routière, pour identifier les dénis de réalité exprimés par les signataires de cet amendement et présenter les aspects techniques et politiques de cette tentative de dégradation d'un dispositif clé de la sécurité routière.

Une seconde analyse de l'amendement porte principalement sur la formulation des arguments présentés par le sénateur Fouché et sur leurs fondements.

 Des commentaires sur le texte présenté en seconde lecture devant l'Assemblée Nationale sont également disponibles.

Les modifications du permis à points.

dispositions concernées code actuel amendement Fouché commission de l'Assemblée
récupération de tous les points trois ans un an deux ans
récupération d'un point un an six mois six mois
stage de récupération de 4 points espacés de deux ans inchangé tous les ans

les documents suivants donnent accès aux faits :

L'efficacité du permis à points et les preuves de son acceptablité sociale

Respecter constamment les règles du code de la route est une tâche relativement facile quand il s'agit de dispositions qualitatives (boucler sa ceinture, ne pas téléphoner). C'est déja plus difficile quand le comportement implique une prise d'information (stop à un carrefour, feux de signalisation), une réduction de l'attention peut ne pas faire percevoir un signal qui serait évident à un autre moment. La difficulté est maximale si la règle à respecter est quantitative et si l'usager se place constamment à la limite, mais elle demeure faible quand il se fixe un intervalle de sécurité. Ne pas dépasser une limite d'alcoolémie ou 130 km/h sur autoroute ne pose pas de difficulté à celui qui se limite à une consommation de boisson alcoolique quand il doit conduire ou qui roule entre 110 et 120 km/h sur autoroute. C'est le 50 km/h en ville qui pose le plus de difficultés aux usagers qui veulent respecter les règles. Pour tenir compte du fait que le respect strict des règles en toutes circonstances le législateur a fait le choix, en France comme dans la plupart des pays industrialisés, d'enregistrer des fautes comportant de faibles risques sans suspendre ou annuler le permis. Si les faits recensés sont rares, le permis n'est pas en danger, s'ils sont fréquents, une perte du permis pour six mois sanctionnera ces négligences répétées qui ne sont pas le fait du hasard. Ce dispositif est un traitement préventif de la récidive par le sursis.

 Relier des faits aux causes qui peuvent les avoir produits est une des fonctions de l'épidémiologie. Quand des événements relèvent de multiples facteurs, c'est le cas des accidents de la circulation, il convient de réunir plusieurs abords différents et complémentaires avant d'attribuer une fraction de l'évolution observée à l'un ou à l'autre de ces facteurs. Si une amélioration de la sécurité routière se produit dans des délais courts, nous pouvons affirmer que les progrès des infrastructures et des véhicules ne sont pas à l'origine des progrès observés. La demi-vie d'une voiture est de 8 ans, l'amélioration d'un réseau routier exige également des délais très longs. Si le kilométrage parcouru n'a pas diminué, la seule explication possible d'une amélioration importante, soudaine et prolongée de la sécurité routière est la modification des comportements. Ce n'est pas l'aptitude à la conduite ni une décision autonome de mieux conduire qui se manifeste, c'est un changement d'attitude nduit par la modification des règles ou des conditions de leur application.

mortalité 60_08

Quels sont les arguments en faveur du lien causal entre les décisions de 2002 et la réduction de l'accidentalité, qui a été très forte à partir du mois de l'annonce de ces mesures et de l'effectivité de certaines d'entre elles ?

permis à points et décès

évolution de la vitesse moyenne

Un autre élément important dans le débat sur le permis à points est de prendre en considération la situation de l'ensemble des conducteurs après 18 années de fonctionnement du dispositif. (analyse dans le document suivant : rapport du ministère de l'intérieur sur le permis à points pour l'année 2009).

graphique des points perdus

Le nombre d'usagers qui a récupéré tous ses points après 3 ans sans infraction s'est accru de 32% en 2009 et le nombre de permis annulés s'est réduit. Ces évolutions sont les meilleurs arguments pour affirmer que l'amendement Fouché n'a pas sa raison d'être. Les usagers qui commettent peu d'infractions savent améliorer leur respect des règles et récupérer tous leurs points. Ces résultats expriment le bon fonctionnemet du dispositif et la faiblesse de la proportion de conducteurs privés de permis après avoir perdu tous leurs points, qui est de  0,25% si l'on prend en compte l'année entière. Le permis pouvant être récupéré après 6 mois, la proportion à un moment donné n'est que de 0,125% (1,25 pour mille). Ces valeurs sont la meilleure preuve de l'adaptation du dispositif à ses objectifs, il dissuade la quasi-totalité des conducteurs de maintenir des comportements infractionnistes et la fraction qui est imperméable à cette dissuasion est très faible.

La manipulation des faits

Présenter un amendement sur un thème aussi important que le permis à points en produisant des arguments erronés est une mauvaise pratique qui déconsidère le sénateur Fouché. Soit il a voulu tromper, soit il ne sait pas travailler.

Présenter la diminution de la conduite sans permis comme le seul objectif visé dans le texte écrit de l'amendement est un propos absurde car la proportion de conducteurs qui utilisent leur voiture sans permis à la suite d'une invalidation faute de points représente une proportion négligeable des conducteurs sans permis. Cette proportion est si faible que l'intervalle de confiance de la valeur que l'on peut produire est important.

J'ai développé une analyse de cette manipulation des faits dans deux documents :

Le sénateur Fouché ne semble pas avoir su ou voulu faire état des données pertinentes et disponibles devant le Sénat. Il est donc possible de faire deux hypothèses :

Le contexte de cet amendement

Avant 2002 et la suppression des indulgences abusives, une fraction très importante d'usagers échappait au dispositif de contrôle et de sanctions. Les politiques font partie de la population de gros rouleurs, grands téléphoneurs, cumulant des fonctions différentes dans des métiers relationnels, donc avec de nombreux rendez-vous et des emplois du temps tendus. Avant 2002, à l'Assemblée comme au Sénat, des fonctionnaires travaillaient à plein temps à l'acheminement des "indulgences" et bien entendu les politiques étaient les premiers bénéficiaires de ce véritable trafic d'influence. Une véritable nomenklatura s'estimant au dessus des lois ne supporte pas ce retour à l'équité. Elle est soutenue par la presse automobile spécialisée dont les journalistes ont une vision passionnelle de la voiture et de la vitesse. Ce groupe associant médias et élus constitue un lobby puissant qui utilise la désinformation et la manipulation des faits comme une pratique normale. Heureusement, il ne représentent qu'une partie des élus du Parlement. Il y a un an, le Sénat a déja eu à se prononcer sur une  loi visant à réduire les effets du permis à points. La procédure n'a pas été un amendement ajouté au dernier moment à une loi de sécurité, mais une proposition de loi autonome. Un rapport de qualité avait été rédigé par Catherine Troendle et le Sénat avait rejeté cette proposition. Il est indispensable que le Parlement comprenne que cet amendement est dangereux, car il ne peut que réduire la dissuasion produite par le permis à points. Le terme d'assouplissement du permis à points, constamment utilisé par ceux qui soutiennent l'amendement est en lui même une tromperie. Il ne s'agit pas d'assouplir mais d'affaiblir.

Les politiques qui ont déposé l'amendement n'ont pas fait de déclaration sur leurs éventuels conflits d'intérêt dans le domaine du permis à points. Ils devaient, de façon collective et sans avoir à faire une déclaration personnelle sur le nombre de points associé à leur permis, indiquer la proportion d'entre eux qui n'avaient pas tous leurs points et le nombre moyens de points perdus. La déclaration d'absence de conflits d'intérêts personnels est reconnu comme une nécessité dans tous les champs de la vie publique. Il serait temps que les parlementaires donnent l'exemple quand ils proposent un tel amendement.