seconde analyse de l'amendement Fouché

publication le 7 novembre 2010

Argumentaire pour refuser  l'amendement Fouché et  ses produits dérivés
texte de Claude Got

Quand un groupe de sénateurs a réussi, contre l'avis de sa commission et du gouvernement, à faire adopter un amendement visant à affaiblir le permis à points, nous avons su qu'un "coup" bien organisé avait réussi. Il est important d'analyser non seulement le fond mais également la forme de cette entreprise. L'évaluation doit envisager  l'opportunité de l'action, l'objectif visé, la qualité de sa définition et sa valeur. Il faut également étudier l'adaptation des moyens à l'obtention de l'objectif visé, notamment leur pertinence et leur exactitude.

13 raisons de refuser cet amendement et les modifications proposées par la commission de l'Assemblée Nationale sont actuellement identifiables

Résumé de l'argumentaire
1/ Quand on affirme  que "les délais de récupération actuellement prévus doivent bénéficier d'un aménagement" il convient de démontrer  que des évolutions récentes justifient la modification du dispositif. La demande est-elle justifiée par l'inefficacité du permis à points ou par des inconvénients qui pourraient être supprimés sans altérer l'efficacité du dispositif ?  Les auteurs de l'amendement n'apportent  pas de réponse argumentée à ces deux questions. Il est actuellement possible d'affirmer que les difficultés annoncées par les adversaires du permis à points ont été volontairement exagérées et que le dispositif a joué un rôle très important dans la division par deux de la mortalité routière observée depuis 2002.
2/ L'objectif de l'amendement est  variable, la présentation orale est différente de la présentation écrite (deux objectifs dans le texte écrit, deux objectifs supplémentaires dans l'intervention orale du sénateur Fouché). Quand un projet vise  plusieurs objectifs, il faut vérifier si certains d'entre eux ne sont pas des leurres destinés à masquer  l'objectif prioritaire. Cette vérification est indispensable lors de l'analyse d'un projet politique, car elle permet d'identifier le niveau de sincérité des propos.
3/ Les données disponibles prouvent l'impossibilité d'obtenir une réduction  de la conduite sans permis par une action sur le permis à points. Ni le nombre de permis supprimés faute de points, ni les données observées sur le terrain lors d'accidents ne permettent de soutenir cette hypothèse qui est l'objectif principal visé par le sénateur Fouché.
4/ Dévaloriser le fonctionnement du  Fonds de garantie au nom de l'intérêt des victimes est un objectif dépourvu de fondement.
5/ L'amendement présenté n'a pas la capacité de distinguer les "petites infractions" des infractions les plus graves, alors que cet objectif est visé dans les textes et les propos de son auteur.
6/ La réduction de la conduite sans permis est affirmée comme objectif, sans justification de la pertinence de la mesure retenue pour l'atteindre qui est l'affaiblissement des conditions qui provoqueront sa suppression. Cette affirmation pose un problème qu'il ne faut pas confondre avec l'impossibilité statistique indiquée dans le motif n°3.
7/ Il est faux d'affirmer que l'amendement n'est pas contraire à l'esprit de la loi en cours de discussion. Affaiblir la dissuasion par des récupérations plus faciles des points perdus ne peut que réduire l'effet contraignant du permis à points visant à faire respecter le code de la route.
8/ Proposer cet amendement comme un moyen de lutter contre le trafic de points relève de la même erreur logique que la réduction de la  conduite sans permis. Il faut lutter contre le trafic de points par des dispositions spécifiques qui sont contenues dans la loi en discussion.
9/ les sénateurs qui ont signé l'amendement Fouché n'ont pas fait de déclaration d'absence de conflit d'intérêts.
10/ Le succès initié par la nouvelle politique définie en 2002 a été en partie lié à la détermination d'un gouvernement amplifiée par les médias, affaiblir le permis à points peut être un signal dangereux inversant la perception du problème qui ne sera plus la priorité présidentielle, mais la nécessité de réduire la sévérité présentée comme excessive du permis à points.
11/ la modification du texte adopté par le Sénat, proposée par la commission des lois de l'Assemblée Nationale, ne modifie pas sensiblement l'amendement du sénateur Fouché. Compenser l'ajout d'une année au délai nécessaire pour récupérer tous ses points (deux ans au lieu d'un an) par un raccourcissement de deux ans à un an du délai nécessaire avant de pouvoir faire un stage de récupération de points ne change pas l'économie du texte. Il ne s'agit pas d'une modification mineure, mais d'un affaiblissement massif du pouvoir dissuasif du permis à points.
12/ Il faut se demander ce qu'un nouveau stage peut apporter à un usager qui a déjà bénéficié d'un tel stage l'année précédente ! Le contenu sera identique et finalement la mesure ne fera que favoriser les usagers qui ont les moyens de se payer un stage de récupération de points par an. Il s'agira d'un simple achat de points.
13/ Quand on veut connaître le niveau de sincérité d'un texte visant à modifier la loi, il faut être attentif aux mots utilisés et au non dit. Dire assouplissement au lieu d'affaiblissement, modification à la marge quand on fait une modification profonde du dispositif n'est pas une attitude neutre. Ne pas dire un mot du risque de réduire la dissuasion de commettre des infraction est une attitude qui dévalorise à elle seule l'objectif du texte. Soit les conducteurs ne seront pas sensibles à l'atténuation des sanctions et ne modifieront pas leur comportement, le texte serait alors inutile, soit ils vont le percevoir comme une réduction de la "pression" qui s'exerce sur eux et ils seront moins attentifs aux respect des règles, le texte se révélera alors dangereux.
Conclusion
Il est impossible d'avoir pour objectif la réduction des exigences permettant de conserver son permis et le maintien de la dissuasion exercée sur les usagers par le permis à points.
 
L'argumentaire
(ces points sont développés de façon plus complète sur le site www.securite-routiere.org )


1/ Quand on affirme  que "les délais de récupération actuellement prévus doivent bénéficier d'un aménagement" il convient de démontrer  que des évolutions récentes justifient la modification du dispositif. La demande est-elle justifiée par l'inefficacité du permis à points ou par des inconvénients qui pourraient être supprimés sans altérer l'efficacité du dispositif ?  Les auteurs de l'amendement n'apportent  pas de réponse argumentée à ces deux questions. Il est actuellement possible d'affirmer que les difficultés annoncées par les adversaires du permis à points ont été volontairement exagérées et que le dispositif a joué un rôle très important dans la division par deux de la mortalité routière observée depuis 2002.
Il était déjà difficile d'envisager un aspect excessivement répressif du permis à points pendant la période 2003/2005 de développement rapide de la perte de points, du fait des choix politiques effectués en décembre 2002, c'est maintenant impossible, les usagers ont intégré les nouvelles exigences dans l'application des règles. Le nombre de permis annulés faute de points a régressé en 2009, le nombre de points retirés s'est également réduit et le nombre d'usagers ayant récupéré tous leurs points s'est accru. Actuellement 75% des usagers ont 12 points,   90% ont de 10 à 12 points et la proportion d'usagers privés de leur permis à la suite de la perte de tous leurs points se situe entre 1,2 et 1,3 pour mille (incidence annuelle de 92 000, prévalence de 46 000).
Le succès exceptionnel obtenu depuis 2002 dans le domaine de la sécurité routière ( de 20  000 à 25 000 vies sauvées suivant les périodes de référence utilisées) est le résultat des effets conjoints du permis à points et des mesures qui lui ont donné toute son efficacité (fin des indulgences abusives, réduction des tolérances sur les faibles excès de vitesse et contrôles automatisés).
L'amendement s'attaque donc à un dispositif qui fonctionne bien, avec des résultats exceptionnels. Il  faut rappeler que lors de la législature qui a précédé la réforme de 2002 (mai 1997 à avril 2002) la réduction de la mortalité routière a été de 2,2% en cinq ans alors qu'elle est proche de 50% depuis cette réforme.


2/ L'objectif de l'amendement est  variable, la présentation orale est différente de la présentation écrite (deux objectifs dans le texte écrit, deux objectifs supplémentaires dans l'intervention orale du sénateur Fouché). Quand un projet vise  plusieurs objectifs, il faut vérifier si certains d'entre eux ne sont pas des leurres destinés à masquer  l'objectif prioritaire. Cette vérification est indispensable lors de l'analyse d'un projet politique, car elle permet d'identifier le niveau de sincérité des propos.
a/ Le  texte écrit de l'amendement  Fouché
Deux paragraphes justifient l'amendement qui fait récupérer un point perdu après 6 mois au lieu d'un an et  tous les points après un an au lieu de trois ans.
"Cet amendement tend à réduire les délais nécessaires pour reconstituer partiellement ou totalement le capital initial de points sur le permis de conduire. Sans remettre en cause le système de retraits de points en raison de la gravité des infractions commises, les délais de récupération actuellement prévus doivent bénéficier d'un aménagement".
"Cet aménagement n'est pas contraire à l'esprit du texte examiné mais bien au contraire, la diminution des délais répond à la volonté de restreindre les cas de conduite sans permis ainsi que le trafic de points de plus en plus courant".
Réduire les cas de conduite sans permis et le trafic de points sont les deux seuls objectifs visés par l'amendement.
b/ Les objectifs exprimés lors du débat au Sénat
Les conséquences de la conduite sans permis pour les victimes d'accidents provoqués par un usager dans cette situation est un nouvel  argument développé par le sénateur Fouché :  "Par ailleurs, il faut faire cesser les faits de conduite sans permis, dont les conséquences sont graves en cas d’accident. Il existe, certes, un Fonds de garantie automobile, mis en place voilà quelques années, à l’époque de M. Foyer, si mes souvenirs sont bons. Mais c’est une procédure longue et incertaine pour la victime, que nous devons protéger. »
La phrase suivante du sénateur Fouché est à mes yeux la plus importante de son intervention orale devant le Sénat , elle indique qu'il faut réduire les conséquences de la peine. Sa formulation remet en  question un élément constitutif de la justification d'une sanction qui est sa conséquence pour le délinquant. « Sanctionner est une chose, mais que la sanction entraîne des conséquences néfastes pour le conducteur n’a ni intérêt ni sens sur le plan de la répression ».
La prise en compte de la gravité de l'infraction est précisée : "Toutefois, trouvons un équilibre entre répression et compréhension au regard de la situation personnelle du conducteur dans les cas de faible excès de vitesse, d’usage d’un téléphone portable au volant, de défaut de ceinture de sécurité, etc."
L'argument de la protection des victimes livrées aux incertitudes et aux lenteurs du fonctionnement du FGAO  s'ajoute à la prise en compte de la situation personnelle du conducteur et aux "conséquences néfastes pour le conducteur" pour tenter d'établir un ensemble de motivations qui se renforceraient mutuellement.  Nous sommes donc en présence d'un texte manipulateur, l'amendement écrit qui a réuni les signatures des sénateurs évite de présenter l'objectif réel qui n'apparaîtra que  lors du débat oral.
 
 
3/Les données disponibles prouvent l'impossibilité d'obtenir une réduction  de la conduite sans permis par une action sur le permis à points. Ni le nombre de permis supprimés faute de points, ni les données observées sur le terrain lors d'accidents ne permettent de soutenir cette hypothèse qui est l'objectif principal visé par le sénateur Fouché.
En 2009 il y a eu 92 123 permis invalidés après la perte des 12 points. Ce nombre est l'incidence annuelle, c'est à dire le nombre de cas observés en une année. Pour obtenir la prévalence (nombre d'usagers dont le permis est invalidé à un moment donné) ce nombre doit être divisé par deux, soit 46 000 (il y a deux semestres dans une année et la durée imposée avant de repasser le permis est de 6 mois. Les invalidations ou les récupérations de permis se répartissent tout au long de l'année). Cette prévalence de 46 000 ne représente pas le nombre de conducteurs qui continuent à conduire après invalidation de leur permis faute de ponts. La sévérité des peines encourues est dissuasive et leur nombre réel ne peut être que très inférieur à ce maximum possible de 46 000, sans commune mesure avec les évaluations les plus sérieuses de l'ensemble de la conduite sans permis qui se situe entre 500 000 et 700 000. Si 10% des conducteurs dont le permis a été invalidé continuaient de conduire pendant cette période de 6 mois, ils représenteraient moins de 1% de la conduite sans permis.
Le second argument établissant la faible proportion de conducteurs dont le permis a été annulé faute de points parmi les conducteurs sans permis est produit par les statistiques d'accidents. Le bordereau de saisie comporte une indication de la validité du permis pour chaque usager impliqué dans un accident corporel. J'ai présenté une analyse de cette situation sur le site www.securite-routiere.org  (éditorial d'octobre 2010, lien vers la page "ne pas savoir ou ne pas vouloir utiliser les données disponibles") et l'observatoire national interministériel de la sécurité routière a également publié des résultats concernant la conduite sans permis valide.
En 2008, 9503 usagers ont été impliqués dans un accident mortel (impliqué au sens utilisé dans un BAAC, c'est à dire personne qui pouvait avoir un rôle dans la survenue de l'accident). 154 usagers qui devaient être titulaires d'un permis (ce n'est pas le cas d'un piéton, d'un cycliste ou d'un cyclomotoriste) n'avaient jamais eu de permis et seulement 33 avaient un motif d'absence de permis valide classé comme " suspendu, annulé ou invalidé". La situation "invalidé" correspond à la perte de permis après suppression des 12 points, mais elle n'est malheureusement pas distinguée des deux autres causes (suspension ou annulation par une décision administrative ou judiciaire). Il est cependant possible de constater que sur les 33 permis " suspendu, annulé ou invalidé", 17 avaient au moment de l'accident une alcoolémie à un taux dépassant le seuil légal, ce qui évoquait un contexte particulier, celui du conducteur dont le permis a été annulé ou suspendu à cause de sa relation avec l'alcool. C'est parmi les 16 autres cas que la conduite sans permis après invalidation faute de points pouvait se situer. J'ai pu rapprocher 9 de ces 16 cas des procès verbaux d'accidents réunis par TransPV et pouvant être exploités par les chercheurs habilités. 3 n'avaient pu avoir de prise de sang après l'accident mais leur alcoolisme était documenté et avait provoqué des décisions pénales de suspension de permis dans deux cas et une inaptitude reconnue par la commission médicale dans un cas. 3 autres usagers avaient une alcoolémie à un niveau élevé (1,87 g/l, 2,34 g/l et 2,14 g/l) qui était indiquée dans le PV alors qu'elle n'était pas connue au moment de la rédaction du BAAC. 3 autres causes de suspension de permis étaient indiqués dans les PV (excès de vitesse, défaut d'assurance et conduite sous l'influence de stupéfiants). Dans 7 cas, je n'ai pu rapprocher le BAAC du procès verbal et s'il y avait des cas de conduite sans permis par annulation après perte des 12 points, ils ne pouvaient se situer que parmi ces 7 usagers. La faiblesse de l'enjeu confirme l'impossibilité de réduire la conduite sans permis en agissant sur la récupération des points. Il faut remarquer que l'on ne peut objecter à un tel dénombrement l'hypothèse d'une faible implication dans les accidents graves de ces usages privés de permis faute de points. Tous les impliqués sont codés dans les BAAC, y compris les usagers qui n'ont aucune responsabilité dans l'accident et qui sont représentatifs de la circulation.


4/Dévaloriser le fonctionnement du  Fonds de garantie au nom de l'intérêt des victimes est un objectif dépourvu de fondement.
Les connaissances de l'auteur de l'amendement sur l'origine et le fonctionnement du FGAO sont à la hauteur de la précision des données soutenant son projet. Rappelons sa formulation : "Il existe, certes, un Fonds de garantie automobile, mis en place voilà quelques années, à l’époque de M. Foyer, si mes souvenirs sont bons. Mais c’est une procédure longue et incertaine pour la victime, que nous devons protéger. ».
Le fonds de garantie a été créé par la loi du 31 décembre 1951, c'était effectivement il y a quelques années. Il ne s'appelle plus Fonds de garantie automobile car Il a maintenant deux branches, l'une d'entre elles est le Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires (FGAO),  dénommé ainsi depuis la loi du 1er août 2003. Jean Foyer est intervenu comme ministre de la justice, quand la  loi 66-496 du 11 juillet 1966 a modifié la loi de 1951 en étendant son bénéfice aux victimes des accidents corporels de chasse.
L'AGIRA indique les durées moyennes de traitement suivantes dans son rapport de 2008 :
- entre accident et consolidation : 10,4 mois en cas de transaction et 21,7 en cas de décision judiciaire,
- entre consolidation et règlement : 10,6 et 30,8 mois.
Les affirmations du sénateur Fouché ne s'appuient sur aucune donnée numérique précisant les délais de traitement des dossiers du FGAO. Ce n'est pas un détail, tous les arguments utilisés sont à ce niveau d'imprécision.


5/ l'amendement présenté n'a pas la capacité de distinguer les "petites infractions" des infractions les plus graves, alors que l'objectif est visé dans les textes et les propos de son auteur.
A deux reprises, le sénateur Fouché insiste sur l'importance de traiter différemment les auteurs d'infractions en faisant preuve de "compréhension" pour des infractions qu'ils considèrent comme "légères". Tel que l'amendement est rédigé, la récupération de tous les points dans un délai de un an concernera aussi bien une infraction grave faisant perdre 6 points qu'une infraction faisant perdre 1 point.
L'objectif ne peut donc être atteint  par la modification législative proposée.
 
6/ La réduction de la conduite sans permis est affirmée comme objectif, sans justification de la pertinence de la mesure retenue pour l'atteindre qui est l'affaiblissement des conditions qui provoqueront sa suppression.. Cette affirmation pose un problème qu'il ne faut pas confondre avec l'impossibilité statistique indiquée dans le motif n°3.
Si l'objectif de diminuer la conduite sans permis est un objectif politique, il faut présenter les méthodes utilisables pour atteindre cet objectif et justifier celle qui est retenue dans l'amendement. Le choix du sénateur Fouché est de réduire le nombre de conducteurs qui pourraient faire le choix de se placer en situation délictuelle (conduire sans permis après avoir perdu ses 12 points). Poursuivre cette logique conduirait à la suppression du permis à points. Pourquoi faudrait-il prendre la conséquence de la sanction comme un objectif à supprimer alors que le véritable objectif est de lutter  contre le non respect de l'interdiction de conduire ? Les sanctions actuellement prévues sont dissuasives et la priorité est de les rendre crédibles (effectivité de la sanction qui est assurée par la multiplication des contrôles).
Cette technique du recours à l'affaiblissement des exigences qui permettent de qualifier un délit est d'un usage fréquent pour défendre une mauvaise cause. Réduire le délai de prescription des abus de biens sociaux permettrait de réduire la fréquence de ce délit ! C'est une demande qui a été formulée à de multiples reprises au niveau politique et les conflits d'intérêts sont évidents dans ce domaine.
 
7/ Il est faux d'affirmer que l'amendement n'est pas contraire à l'esprit de la loi en cours de discussion. Affaiblir la dissuasion par des récupérations plus faciles des points perdus ne peut que réduire l'effet contraignant du permis à points visant à faire respecter le code de la route.
Le texte écrit justifiant l'amendement indique que : "réduire les délais nécessaires pour reconstituer partiellement ou totalement le capital initial de points" va se faire  : "Sans remettre en cause le système de retraits de points en raison de la gravité des infractions commises" et que "Cet aménagement n'est pas contraire à l'esprit du texte examiné". Ces deux affirmations  sont des dénis de réalité. C'est parce que l'amendement remet en cause le système et qu'il est dangereux que l'auteur de l'amendement estime utile de s'opposer à ces  deux évidences. J'ai déjà signalé que l'amendement ne créait aucune distinction entre les points perdus pour les infractions les plus graves, mais ce n'est pas cet aspect particulier que je voudrais analyser ici, c'est l'affirmation qu'introduire un facteur d'insécurité dans une loi de sécurité n'est pas contraire à l'esprit du texte examiné !  Réduire l'effet dissuasif du dispositif de permis à points ne peut que développer l'insécurité routière. Nous sommes en présence d'une double négation. L'une est fausse : l'amendement ne tient pas compte de la gravité des infractions commises. L'autre est en contradiction complète avec le mécanisme du permis à points, c'est le risque de perdre des ponts qui incite à respecter le code de la route. Ces dérives mettent en évidence le fait que son auteur sait que sa proposition modifie profondément le dispositif du permis à points et qu'il va être considéré comme dangereux, il lui faut donc nier ces deux évidences.
 
8/ proposer cet amendement comme un moyen de lutter contre le trafic de points relève de la même erreur logique que la réduction de la  conduite sans permis. Il faut lutter contre le trafic de points par des dispositions spécifiques qui sont contenues dans la loi en discussion.
 Ce trafic traduit une comportement frauduleux qui doit être puni et la LOPPSI2 introduit une infraction spécifique permettant de mieux le sanctionner (article 29 du projet de loi « Art. L. 223-9. – I. – Est puni de six mois d’emprisonnement et 15 000 € d’amende le fait, par l’auteur d’une contravention entraînant retrait de point du permis de conduire, de proposer ou de donner une rémunération à une personne pour qu’elle accepte d’être désignée comme conducteur du véhicule dans la requête en exonération ou la réclamation présentée dans les conditions prévues au b du 1° de l’article 529-10 du code de procédure pénale.). C'est évidemment la mesure adaptée à la lutte contre ce délit. Développer l'argument utilisé pour justifier l'amendement conduirait à supprimer les papiers pour supprimer le trafic de faux papiers, réduire la longueur de la liste des produits considérés comme stupéfiants pour diminuer le trafic de stupéfiants. Les codes développés dans tous les états de droit ont pour principal objectif de définir des interdits et de sanctionner l'absence de respect de ces interdits. Si le trafic est condamnable il faut le sanctionner et non supprimer le risque d'avoir à le sanctionner en redonnant des points à celui qui les a perdus ! Quand le législateur se place du côté du délinquant pour le blanchir, prétendre que sa proposition va dans le même sens qu'une loi destinée à améliorer la sécurité est une forme de provocation.


9/ les sénateurs qui ont signé l'amendement Fouché n'ont pas fait de déclaration d'absence de conflit d'intérêts.
Conduire est une pratique qui concerne la quasi-totalité des adultes actifs d'une société industrielle. Il est vrai que certains sénateurs peuvent bénéficier d'un chauffeur, mais il est probable qu'ils conduisent leur véhicule personnel. A une période où la société se préoccupe de plus en plus de la nécessité d'exiger des déclarations d'absence de conflits d'intérêts dans des cadres d'activité très divers, il serait utile de poser le problème de l'application de cette notion aux parlementaires. Il serait abusif d'exiger que chaque signataire de l'amendement indique combien de points il possède sur son permis. Il serait possible de demander à Monsieur Fouché de réunir cette information et de publier une valeur moyenne de perte de points pour l'ensemble des signataires. Le ministère de l'intérieur pourrait également effectuer ce calcul  sous le contrôle d'un tiers de confiance", par exemple un magistrat. Connaître la proportion de sénateurs signataires de l'amendement ayant perdu plus de deux points serait une autre méthode permettant d'évacuer la suspicion d'un conflit d'intérêts. Si les 9/10 d'entre eux ont de 10 à 12 points, il n'y a pas de conflit d'intérêts notable.


10/ Le succès initié par la nouvelle politique définie en 2002 a été en partie lié à la détermination d'un gouvernement amplifiée par les médias, affaiblir le permis à points peut être un signal dangereux inversant la perception du problème qui ne sera plus la priorité présidentielle, mais la nécessité de réduire la sévérité présentée comme excessive du permis à points.
Le succès de 2002 a été produit par l'association de mesures efficaces et d'une communication très efficaces assurées par les médias qui ont très largement décrit et commenté les mesures adoptées. Leur succession depuis le comité interministériel de décembre 2002 et les premières mesures, jusqu'au développement des dispositifs de contrôle automatisé en novembre 2003 a réactivé en permanence la médiatisation de cette réforme. Il ne s'agit pas de prophétie autoréalisatrice, mais de mesures adaptées, bien présentées et dont l'efficacité a assuré la crédibilité.
Si le permis à points est affaibli par la majorité gouvernementale, cela signifiera que le problème de la sécurité routière n'est plus une priorité présidentielle et les conséquences de cette perception du sujet par les usagers sont imprévisibles. L'objectif présidentiel de 3 000 tués sur les routes est déjà  très compromis, il sera alors enterré.


11/ la modification du texte adopté par le Sénat proposée par la commission des lois de l'Assemblée Nationale ne modifie pas sensiblement l'amendement du sénateur Fouché.
dispositions concernées
code actuel
amendement Fouché
commission de l'Assemblée
récupération de tous les points
trois ans
un an
deux ans
récupération d'un point
un an
six mois
six mois
stage de récupération de 4 points
espacés de deux ans
inchangé
tous les ans
 
La commission de l'Assemblée Nationale accroît le délai pour récupérer tous ses points de un an à deux ans, mais permet de récupérer quatre points tous les ans, en rendant annuelle la possibilité d'effectuer un stage de récupération de points.  Un délai est multiplié par deux, un autre est divisé par deux, le résultat n'est pas très différent, le permis à points est profondément remanié.


12/ Il faut se demander ce qu'un nouveau stage peut apporter à un usager qui a déjà bénéficié d'un tel stage l'année précédente ! Le contenu sera identique et finalement la mesure ne fera que favoriser les usagers qui ont les moyens de se payer un stage de récupération de points par an. Il s'agira d'un simple achat de points.
Se donner la position facile de l'éducateur face au répressif est un contre sens qui ne change pas la nature de l'efficacité des deux dispositifs. La réforme de 2002 a assuré la prévention du risque d'accident à un niveau élevé en rendant l'application de la règle plus crédible. Vouloir éliminer la répression du champ de la prévention est une manoeuvre fréquente. Dans le champ de la sécurité routière il y a des usagers accessibles à des notions fondatrices de la vie en société, notamment le respect des règles et des autres. Il y en a d'autres qui sont moins accessibles à ce type de motivation mais qui veulent conserver leur permis, la prévention adaptée à ce comportement est l'application de la règle et ses inconvénients pour celui qui la transgresse.
Il faut également avoir à l'esprit l'importance des enjeux financiers liés aux stages de récupération de points. Les conflits d'intérêts sont présents dans ce domaine. Il faut enfin avoir le courage de reconnaître que l'Etat n'a jamais évalué les effets des stages de récupération de points alors que cette évaluation est possible. Il faudrait lui donner une base réglementaire et peut-être législative, pour rendre possible l'usage de méthodes épidémiologiques solides fondées sur le tirage au sort (des usagers inscrits à un stage de récupération de points sont tirés au sort, la moitié fait le stage, l'autre moitié récupère les points sans le stage, un suivi des pertes de points ultérieures est assuré dans le cadre du fichier du permis à points et l'on développe les effectifs des deux groupes jusqu'à l'obtention de résultats statistiques établissant l'efficacité ou son absence à un niveau significatif et utile.
L'aspect financier de cette mesure pour les usagers est également à prendre en considération, certains usagers peuvent facilement se payer un stage par an, d'autres pas.


13/ Quand on veut connaître le niveau de sincérité d'un texte visant à modifier la loi, il faut être attentif aux mots utilisés et aux non dits. Dire assouplissement au lieu d'affaiblissement, modification à la marge quand on fait une modification profonde du dispositif n'est pas une attitude neutre. Ne pas dire un mot du risque de réduire la dissuasion de commettre des infraction est une attitude qui dévalorise à elle seule l'objectif du texte. Soit les conducteurs ne seront pas sensibles à l'atténuation des sanctions et ne modifieront pas leur comportement, le texte serait alors inutile, soit ils vont le percevoir comme une réduction de la "pression" qui s'exerce sur eux et ils seront moins attentifs aux respect des règles, le texte se révélera alors dangereux.
 
Conclusions
Une loi est un compromis qui peut  toujours être remis en cause par les producteurs légitimes de ces codes et des sanctions qu'ils définissent. Si M. Fouché avait écrit : "le permis à points sous sa forme actuelle est trop sévère, je propose de réduire cette sévérité", il aurait été précis et sincère. Il ne pouvait avoir cette sincérité sans supprimer toute chance de succès à son texte, la réduction de la "sévérité" dans l'application des règles faisant apparaître le risque d'accroître le nombre d'infractions pouvant être commises sans risquer de perdre son permis pour 6 mois. En visant des objectifs variables, avec des formulations dépourvues de logique et en utilisant des arguments inexacts, il exprime les pires défauts comportementaux que l'on peut observer dans un débat parlementaire.
 Les Etats de droit définissent des sanctions qui ont une double finalité, punir et prévenir. Elles sont intimement mêlées, la crainte de la punition étant un facteur de dissuasion, elle fait partie de la prévention. Il est donc absurde de vouloir supprimer les "conséquences néfastes pour le conducteur". Le terme de "peine" exprime  la notion de pénibilité, de désagrément associé à la décision qui sanctionne une faute. Le risque de perdre un emploi après une suppression du permis de conduire pour six mois faute de points fait partie de la dissuasion, donc de la prévention. Si le "permis blanc" détruisait la crédibilité du permis à points c'est bien parce que la possibilité de conduire pour son travail associée à la conduite du conjoint pour les autres déplacements vidait le permis à points de son caractère dissuasif.
Il est impossible d'avoir pour objectif la réduction des exigences permettant de conserver son permis et le maintien de la dissuasion exercée sur les usagers par le permis à points.