Le droit utilise souvent la notion de délai avec deux motifs contradictoires,
la volonté de pardonner et celle de prévenir la récidive.
Ayant à assurer un double rôle, punir et prévenir, les codes qui régissent notre vie pour passer de "l'état de nature" à la vie socialisée utilisent souvent des méthodes fondées sur le temps qui s'écoule et qui permet de surveiller sans réellement punir. Le sursis est la plus belle invention dans ce domaine. Une peine est prononcée mais elle ne sera pas exécutée, sauf si la personne concernée récidive. La notion de prescription est une autre forme d'action fondée sur le temps, finalement assez différente et beaucoup plus discutable puisqu'elle organise le pardon. Vous tuez et une dizaine d'années plus tard vous ne craignez plus rien. Vous organisez un superbe abus de bien social et après quelques années c'est gagné. Vous êtes une richissime veuve possédant beaucoup de choses et vous sous-estimez la valeur de vos biens pour réduire votre ISF, après trois ans, la faute est effacée.
Le permis à points est un dispositif particulier utilisant cette
notion de délai pour traiter une délinquance très particulière. Les
infractions au code de la route sont la première cause de mortalité des
jeunes adultes et ceux qui les commettent reflètent tous les
comportements humains dans une société. Cela va de la volonté de
respecter les règles au désintérêt complet pour la vie des autres,
notamment quand une addiction grave ou une désocialisation au bout de
son parcours a fait disparaître toute volonté et capacité de se
préoccuper d'un outil social tel que le code de la route. Dans
l'ensemble c'est un délinquance d'humains parfaitement socialisés et
c'est cette caractéristique qui donne son efficacité au risque différé
de se faire punir. Il s'agit de gens qui réfléchissent et qui ont une
capacité de se contrôler, nous sommes loin du violeur ou du pédophile,
du psychotique qui prend son couteau ou du marseillais qui sort son
lance roquettes pour attaquer un livreur de fonds.
Avant la création du permis à points, le juge avait la possibilité
d’annuler un permis de conduire pour une période définie. L'objectif
était habituellement de sanctionner une infraction grave à l'origine
d'un accident. L'administration a été également dotée de capacités de
rétention ou de suspension d'un permis de conduire, voire d'annulation,
par exemple pour des problèmes d'aptitudes. Ces possibilités existent
toujours et elles sont largement utilisée par les juges et les préfets.
La multiplication d'infractions faiblement sanctionnées, en dehors de tout accident, posait un problème particulier. Elle indiquait une absence de volonté de respecter les règles et exposait les autres usagers à un risque accru. Il était donc fondé que le législateur tente de combler une lacune de notre droit et institue un dispositif d’enregistrement des infractions, avec des coefficients variables en fonction de la gravité de la faute, se terminant par une suppression temporaire du permis de conduire au-delà d’un certain seuil. Ce système intelligent et juste a été adopté par la plupart des pays industrialisés, avec des modalités variables, mais finalement assez proches. Il assure une bonne dissuasion des infractions si plusieurs conditions sont remplies :
- il faut que le dispositif soit équitable et que tous les usagers soient traités à l'identique. Cette exigence n'a été satisfaite qu'après la circulaire du 18 décembre 2002 du ministre de l'intérieur. Auparavant les indulgences, exercées à tous les niveaux, de la base jusqu'au sommet du dispositif, effaçaient une bonne partie des infractions de façon très sélective, les notables, les politiques, les journalistes, les médecins, les proches des gendarmes et des policiers, faisaient partie d'une forme de nomenklatura qui échappait aux sanctions.
- une bonne gestion des infractions, si les pouvoirs publics ne sont pas capables d'établir le CV routier des usagers, une nuée d'avocats prétendent défendre le droit en le détruisant et gagnent bien leur vie en faisant disparaître des infractions qui ont pourtant été commises.
- il faut un barême définissant les points perdus en fonction des infractions qui tiennent compte du risque réel.
- les délais imposés avec une double composante :
- le délai et les méthodes pour récupérer les points, c'est lui qui est actuellement attaqué par un groupe de pression bien organisée, qui développe depuis plusieurs années des attaques de plus en plus puissantes contre le dispositif et veut réduire le délai imposé avant de récupérer des points ou leur totalité.
- le délai pour repasser le permis quand il a été annulé, il est actuellement de six mois en France.
Ces aspects techniques de la dissuasion sont totalement occultés par les auteurs de l'amendement. Le texte met en avant la lutte contre la conduite sans permis, ce qui est un argument sans valeur. Ce ne sont pas les usagers qui ont perdu leur permis pour six mois faute de points que l'on retrouve devant les tribunaux pour conduite sans permis. Les sénateurs et les députés ne semblent pas aller souvent voir ce qui se passe dans les chambres correctionnelles. La quasi totalité des usagers dans cette situation n'ont jamais eu de permis, ont eu un permis dans un autre pays non euopéen et n'ont pas demandé leur équivalence avec le permis français (problème des sans papiers) où ont un problème majeur d'alcoolisme chronique qui fait que leur problème n'est plus la relation avec la loi mais avec l'alcool. Ce n'est qu'en séance lors de l'examen de l'amendement Fouché par le Sénat, que le véritable motif de l'amendement est apparu. Il s'agissait de diminuer les contraintes exercées sur les usagers. Cet objectif est incompatible avec la conservation de l'efficacité du dispositif qui est fondée sur le fait que l'on a perdu des points et que l'on veut éviter d'en perdre plus pour éviter les ennuis. La responsabilité politique est fondée sur la cohérence, on ne peut vouloir une chose et son contraire.
Dernier avatar de cet amendement destructeur, il devient un enjeu de pouvoir au sein de l'UMP dans le combat des petits chefs qui se met en place. La gauche, les écologistes qui devraient monter sur les table pour décrire le scandale d'une loi de sécurité qui se transforme en loi d'insécurité sont aux abonnés absents, comme si la sécurité ne les intéressaient pas, comme si le seul problème était de savoir comment ils allaient organiser leurs relations et les primaires pour la présidentielle ! Le résultat sera inévitablement un arbitrage présidentiel, Nicolas Sarkozy a été un des co-auteurs du seul succès politique dans le domaine de la sécurité et il a été obtenu par la réforme de la politique de 2002 qui a rendu efficace le permis à points. Soit il maintien le cap, soit il abandonne son objectif de 3000 morts en 2012 et il ajoute une croix dans la colonne de ses échecs.