janvier 2011

l'UMP nuit gravement au permis à points

Analyse d'une défaite pour la sécurité routière

L'après midi du 16 décembre 2010 demeurera un jour noir pour ceux qui ont soutenu la  politique de sécurité routière annoncée le 14 juillet 2002 par Jacques Chirac et mise en oeuvre par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin avec un bilan impressionnant : La mortalité s'est effondrée de 8368 à 4006 entre mai 2002 et novembre 2010.

Si elle est confirmée par le Sénat qui l'a initiée, cette acceptation par l'Assemblée nationale d'une réduction très importante de la capacité de dissuasion du permis à points marquera la fin d'une période d'activisme politique en faveur de la sécuritè sur les routes.

Dans un texte publié par Libération le 24 novembre 2010 j'ai fait le bilan de la situation après l'adoption de l'amendement destructeur du sénateur Fouché par le Sénat.  Il faut maintenant changer le titre et le remplacer par "L'UMP nuit gravement au permis à points".

Cette défaite n'a pas d'équivalent à mes yeux au cours des cinquante dernières années. Elle justifie la poursuite d'une analyse approfondie distinguant les différents facteurs qui se sont associés pour la produire.Comme pratiquement tous les grands drames de la sécurité sanitaire capables d'entraîner des centaines de morts évitables, cet événement est le résultat d'erreurs liées à l'incompétence, associées à des pratiques qui relèvent de la manipulation des faits.

Chaque étape de cette analyse est résumée dans cette page, des liens renvoyant à un document plus détaillé.

1/ Ce que signifie l'amendement adopté par l'Assemblée Nationale

Le texte modifié de l'article 223-6 du code de la route doit être présenté avec l'ancienne et la nouvelle formulation pour comprendre l'ampleur de l'évolution. Les fautes "bénéficiant" de cet affaiblissement du dispositif ne sont pas seulement les "petites infractions" car un dépassement de 50% de la vitesse maximale autorisée en ville sera concerné par la réduction à 2 ans du délai nécessaire pour récupérer ses points. D'autre part, le doublement de fréquence des stages de récupération de points effacera aussi bien les points perdus pour des délits que pour des contraventions de 4ème ou 5ème classe.

2/ le commentaire politique de la défaite d'un président et d'un gouvernement

Un régime politique qui développe année après année le pouvoir présidentiel en affaiblissant le rôle du gouvernement, des ministres et de l'administration expose à des cafouillages décisionnels. Chacun guette les paroles du chef, les interprète, prend des initiatives quand il croit avoir compris. Si le président est imprécis, dit une chose, puis son contraire, la fausse manoeuvre est lancée et les plus sournois des faux amis vont déployer toute leur habileté manoeuvrière pour obtenir ce qu'ils souhaitaient. Le gouvernement et le président ont alors le choix entre deux options, manger leur chapeau et tenter de minimiser leur défaite, ou faire une ultime tentative devant le Sénat pour tenter de sauver l'engagement présidentiel d'abaisser à 3 000 le nombre de morts sur les routes en 2012. Les propos de Brice Hortefeux rapportés dans Nice Matin du 3 janvier indiquent que les choix sont faits. Le gouvernement ne tentera pas de convaincre le Sénat de renoncer au doublement de la fréquence des stages de récupération de points.

Il est utile de détailler cet ensemble d'erreurs politiques. Je les résume de la façon suivante :

Ce renoncement ne donne pas beaucoup d'espoir dans le débat à venir devant le Sénat le 18 janvier. Il va probablement confirmer le choix de l'Assemblée.

3/ Cette défaite est le résultat de plusieurs années de déficit de communication sur le permis à points

Le succès de 2002/2003 a été obtenu par l'association de mesures adaptées et d'une communication de qualité les décrivant et les justifiant. Parce qu'il y avait de nouvelles idées, de la réussite, des innovations techniques, tout se faisait naturellement et allait de soi. Il était indispensable de ne pas s'endormir sur les courbes descendantes de l'accidentalité et d'anticiper la fin de cet état de grâce. Rien n'a été fait pour assurer le relais. Le succès semble avoir endormi les décideurs et les gestionnaires, qui n'ont pas su conserver le dynamisme et la compétence des acteurs de 2002 pour préparer la suite.

La défaite de la communication a été produite par deux composantes :

Nous sommes dans une société où le niveau de mensonges toléré semble s'élever année après année, comme si une démocratie pouvait survivre à une dénaturation permanente de la réalité des faits. Les arguments développés, tant au niveau du Sénat que de l'Assemblée nationale, reprenant les fables des adversaires du permis à points, ont pu être développés sans que les décideurs politiques osent combattre ouvertement ces pratiques.

4/ Conclusions

Le permis à points est mal parti. Le président de la République a tenu des propos ambigus, laissant espérer des décisions qui plairaient à une population conditionnée au mythe de l'assouplissement par les médias, tout en affirmant son opposition au laxisme. La démagogie n'a jamais fait bon ménage avec l'efficacité des dispositifs destinés à assurer la pacification des routes, car ils comportent inévitablement une part de contrainte, le succès initié en 2002 l'a prouvé.

En s'en remettant à la "sagesse" de l''Assemblée pour modifier l'amendement du Sénat, le ministre de l'intérieur a accepté sa défaite. Le texte adopté par les députés est à mes yeux plus laxiste que celui du Sénat. Le fait d'avoir ajouté un stage annuel de récupération de points au lieu d'un stage tous les deux ans est une mesure particulièrement dangereuse, car elle ne comporte aucune condition. Il ne sera pas nécessaire d'avoir été respectueux des règles pendant un certain délai pour faire un stage et il n'y a aucune limitation concernant la nature de l'infraction. Un usager pourra s'acheter 12 points en trois ans sans modifier son comportement, y compris avec des infractions alcool ou des infractions vitesse de 4ème ou 5ème classe.

Attendons maintenant que le gouvernement renonce à interdire le téléphone kit mains libres ou à mettre en service les radars automatiques capables de contrôler les vitesses dans un véhicule banalisé se déplaçant dans le flux de circulation, ou renonce à développer le système LAVIA comme peine complémentaire en cas d'excès de vitesse répétés, nous saurons alors que la priorité présidentielle de 2002 appartient au passé. Elle a permis de diviser par deux la mortalité sur les routes, les auteurs et les acteurs de cette réforme resteront dans l'histoire comme des politiques responsables. Les successeurs n'ont pas été à la hauteur du problème.

Quelle tristesse que le seul espoir pour la sécurité routière en ce début d'année soit un hiver rigoureux avec beaucoup de neige, le maintien à un niveau élevé du prix des carburants et la poursuite des effets de la crise, ces facteurs agissant en faveur de la réduction de la vitesse et du nombre de kilomètres parcourus. Le débat sur le permis à points devant l'Assemblée Nationale le 16 décembre 2010 témoigne d'une démagogie et d'un niveau d'ignorance qui ne peuvent être que dévastateurs.