fausses manoeuvres politiques

Le contexte

Faute d'avoir été renouvelée par des capacités d'initiative et d''adaptation, la politique de sécurité routière s'éloignait de l'impressionnant succès de la politique initiée en 2002. Ce succès politique avait  été obtenu par un retour à la crédibilité des règles, associant la suppression des indulgences, c'est à dire du trafic d'influence, une faible tolérance sur les excès de vitesse et l'automatisation des contrôles. Ces mesures ont donné toute son efficacité au permis à points qui existait depuis 1992, mais ne pouvait jouer son rôle lorsqu'il était associé à un système de répression qui était une véritable passoire, plus de la moitié des PV n'aboutissant pas à une sanction effective.

Cette politique a pacifié les routes, mais elle a produit des réactions dans un groupe très particulier associant les amoureux de la vitesse, les gens pressés, ceux qui téléphonent beaucoup en conduisant, ont de multiples rendez-vous et ne peuvent plus bénéficier des fonctionnaires qui à l'Assemblée et au Sénat avaient  pour seule mission de transmettre les contraventions à faire sauter ! Une nomenklatura n'a pas supporté la perte de ses privilèges et avait déjà tenté à plusieurs reprises de s'attaquer au permis à points, sans succès jusqu'à maintenant.

Le sénateur Fouché a fait une nouvelle tentative en faisant adopter par le Sénat le 10 septembre 2010 un amendement réduisant de 3 à un an le délai qui doit s'écouler avant de récupérer tous les points d'un permis. Cet amendement a été adopté contre l'avis du gouvernement et de la commission.

Xavier Bertrand, alors en charge de l'UMP se déclare favorable à l'amendement du Sénat (entretien sur RMC le 13 septembre)

La période suivante est confuse, un député cité par le Figaro indique que le lundi 27 septembre, lors d'une réunion à l'Elysée, le président de la République a "donné son feu vert  pour que notre groupe explore les possibilités d'un assouplissement du système"

Le Canard enchaîné indique que le président de la République a affirmé ce jour là qu'il "faut cesser de harceler ceux qui commettent de petits excès de vitesse et qui risquent ainsi de perdre leur boulot parce qu'ils n'ont plus leur permis faute de points" et qu'il aurait ajouté : "C'est le genre de réforme qui ne coûte rien. Elle est simple à mettre en oeuvre et elle plait au gens. Je comprends que pour les énarques cela ne soit pas assez intelligent, mais c'est nécessaire de le faire".

A ce stade, l'incompréhension du problème par le président était totale car :

Réalisant le danger de l'amendement Foucher et l'imprécision de ses propos, voire leur inexactitude  le président de la République va alors tenter de limiter les dégâts en associant :

A ce stade, le désastre est programmé, par ses hésitations et son discours imprécis, le président de la République a laissé se développer un mouvement irréversible au sein de sa majorité. Le compte rendu de l'examen du texte issu du Sénat par la commission du Sénat est particulièrement instructif. Quelques députés tenteront de sauver le permis à points, mais il est évident que la majorité de la commission veut atteindre l'objectif du Sénat et ne se contentera pas du point symbolique qu'accorderait le gouvernement. La manipulation la plus évidente des faits va consister à présenter le texte du Sénat comme excessif, de proposer d'allonger de un à deux ans le délai pour récupérer tous ses points, mais dans le même temps de créer une nouvelle forme d'affaiblissement du dispositif en accroissant le nombre de stages de récupération de points. Quelques citations sont particulièrement significatives :

La pratique qui consiste à indiquer que l'on veut réduire un excès tout en le remplaçant par un autre est un grand classique de la manoeuvre parlementaire. Celui qui a prouvé qu'il n'a retenu aucun enseignement du stage qu'il a effectué pourra en suivre un autre l'année suivante, il n'apprendra rien de plus mais aura "acheté" 4 points, soit 8 en deux ans, sans la moindre condition quant à la gravité des infractions commises, alors que tout l'argumentaire martelé par les agresseurs du permis à points était fondé sur la demande de clémence pour les "petites infractions".

Tout était alors en place pour faire accepter par l'Assemblée l'amendement de la commission.  Le compte rendu des débats est accessible sur ce site au format pdf. Pour la première fois depuis le début de la discussion en séance ou dans les commissions, apparait la notion de gravité des fautes commises. La réduction des trois ans actuels à deux ans du délai rendant possible la récupération des 12 points ne sera pas accordée en cas de délit ou d'infraction sanctionnée par une contravention de 4ème ou de 5ème classe. Aucun commentaire ne sera avancé dans ce débat sur le fait que le stage annuel permettra de récupérer 12 points en trois ans, indépendamment de la gravité des infractions commises ! La manoeuvre a été d'une qualité parfaite.

Personne ne peut prévoir les réactions des automobilistes à un tel messsage. Nous ne reviendrons pas à la situation de 2002, mais il est probable qu'une fraction d'entre eux donneront à cette réforme un sens précis : les faibles excès de vitesse ne sont pas des infractions graves. Ne pas comprendre qu'un grand nombre d'automobilistes s'autorisant à nouveau ces faibles excès peuvent produire un accroissement du nombre des tués sur les routes est une erreur grave d'appréciation de la part des responsables politiques. Nous verrons lors du bilan de la fin 2011, à quelques mois des élections présidentielles, si cette décision détruit l'engagement présidentiel d'abaisser à 3000 le nombre de tués sur les routes en 2012.

Pourquoi qualifier le choix des députés de défaite ?

Ce vote a une signification politique. La majorité présidentielle a fait subir au président de la République une défaite évidente après son affirmation du 30 septembre qu'il n'accepterait jamais de message laxiste sur la sécurité routière. C'est la gauche réputée moins sensible aux problèmes de sécurité qui a pris position contre toute modification démagogique du permis à points, et c'est la fraction de la majorité présidentielle qui n'a pas supporté la perte de ses privilèges et a refusé le texte du gouvernement, montrant au chef de l'Etat que ses exigences n'étaient plus des ordres ! Avant la circulaire du 18 décembre 2002 de Nicolas Sarkozy, des fonctionnaires de l'Assemblée Nationale et du Sénat avaient pour seule tâche de "faire sauter des PV". Ils ont maintenant disparu, c'était insupportable pour la nomenklatura parlementaire et sa clientèle. Elle l'a fait sentir par ce vote.

Une tel désaveu n'est pas le fait du hasard. Il concrétise l'abandon par le gouverment actuel de l'activisme exprimé par le président de la République en juillet 2002 et mis en oeuvre par le gouvernement Raffarin. C'est une véritable équipe de personnes compétentes, sachant travailler ensemble qui avait permis le succès de 2002/2006. Depuis, la réforme vivait sur sa lancée, comme si le maintien des progrès devait être automatiquement assuré par la pérennisation des mesures de 2002. Une politique doit être vivante et s'adapter en permanence au contexte. Jean-Louis Borloo s'est totalement désintéressé de la sécurité routière et la restructuration de son ministère a contribué au démantèlement de son administration. Au lieu de lutter contre les recours abusifs devant les juridictions administratives, de développer les nouveaux outils techniques indispensables, notamment les radars automatiques capables d'opérer dans des véhicules en déplacement ou les mesures de vitesse moyenne, les dernières années ont été caractérisées par une gestion routinière de l'existant.

Le transfert récent de responsabilités dans le domaine de la politique de sécurité routière au niveau du ministère de l'intérieur n'a rien changé à cette passivité. Il suffisait de regarder le débat parlementaire du 16 décembre pour en être assuré. Brice Hortefeux présentait l'amendement du gouvernement sans y croire, il savait qu'il serait refusé et qu'il accepterait l'amendement destructeur de la commission en s'en remettant à la "sagesse" de l'Assemblée au lieu de combattre pied à pied tous les arguments dépourvus de validité qui étaient utilisés et de demander un scrutin public sur son amendement et non sur l'amendement initial de suppression pure et simple de l''amendement Fouché. Toute personne ayant un minimum d'expérience du débat parlementaire savait en écoutant ce pseudo-débat qu'il se terminerait par l'acceptation de l'amendement de la commission.