libération le 24 novembre 2010

« Veut-on la mort du permis à points ? »


Libération 23/11/2010 : rubrique « Rebond »
Par Claude GOT Professeur honoraire de médecine et chercheur dans le domaine des accidents

Le permis à points passionne au-delà de la fraction minoritaire qui est au bord de l'annulation de ce document. 75% des usagers ont tous leurs points, 90% en ont ou plus et seulement 1,3 sur mille est sous le coup d'une annulation de six mois après  la perte des 12 points. Cependant, tous les usagers peuvent perdre un ou quelques points par inattention. Ils sont donc attentifs à tout ce qui touche à l'équilibre entre une contrainte et la réduction de la première cause de mortalité des jeunes adultes en France.

La seconde lecture de la Loppsi 2 (loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) devant l’Assemblée nationale avait été reportée du 5 octobre au 23 novembre, elle a à nouveau été différée. Un Président, un Premier ministre, un gouvernement, des députés, sont dans des relations de pouvoir qui donnent toute leur valeur à des conflits sur des problèmes qui sont des indicateurs de leurs priorité et de leur capacité de s'imposer ou de s'incliner. L’adoption de l'amendement Fouché par le Sénat, ramenant de trois à un an le délai pour récupérer tous  ses points n’est pas « un assouplissement » du dispositif comme le prétendent les sondages orientés qui veulent prouver que les Français sont favorables à une telle décision, c'est une division par trois de la dissuasions de commettre des infractions. La modification proposée par la commission de l'Assemblée est un leurre, remonter le délai à deux ans au lieu d'un, mais permettre un stage de récupération de 4 points tous les ans, aura la même capacité de destruction de la crédibilité du permis à points. Ceux qui peuvent se payer le stage «achèteront» 4 points par an, sans que l'on puisse imaginer qu'un nouveau stage aura l'efficacité qu'il n'a pas eue l'année précédente.

Le succès de la politique de sécurité routière définie en 2002 a été provoqué par la suppression du trafic d'influence camouflé en indulgence, la sanction des faibles excès de vitesse et la mise en œuvre des radars automatiques. Ces mesures ont donné tout son pouvoir au permis à points qui est une forme de sursis résilié après deux délits ou un grand nombre de petites infractions. L’action sur tous les conducteurs a réduit de 11% la vitesse moyenne et les modélisations de l'insécurité routière indiquent qu’une réduction de 1% de la vitesse moyenne réduit de 4% la mortalité. L'action sur les petits excès de vitesse a été la clé d'un succès qui a sauvé la vie de 20 000 personnes en France, l’équivalent de vingt ans d'homicides volontaires.

Les arguments développés par le sénateur Fouché et les cosignataires de l' amendement ont été réduits à néant par l'analyse des faits (la totalité de cette analyse est sur www.securite-routiere.org). Faciliter la récupération des points n'aura aucun effet sur la conduite sans permis, car la majorité des usagers dans cette situation n'ont jamais eu le permis. Ceux qui avaient un permis l'ont perdu à la suite d'une décision administrative ou judiciaire pour une Infraction précise, notamment liée à la conduite sous l'influence de l'alcool et non à la suite de la perte de leurs 12 points.

Si l’amendement Fouché remanié par la commission ne modifie pas la perception du risque d'être sanctionné, il est inutile, si cette crainte est réduite, il sera dangereux et la plus grande réussite des dix dernières années dans le domaine de la sécurité sera remise en question. Le Président a indiqué qu'Il s'opposerait à tout laxisme dans ce domaine. Nous allons savoir s’il peut s'opposer à une forme de nomenklatura politique qui ne déclare pas ses conflits d'intérêts, se déplace beaucoup, téléphone en conduisant, et n'a jamais accepté la perte de son pouvoir de faire sauter ses contraventions lors du retour à l'équité de 2002. En faisant reporter une nouvelle fois le débat sur la Loppsi 2, il évite de perdre la face dès cette semaine, mais il faudra bien livrer ce combat s'il veut maintenir son objectif de 3000 tués en 2012. Pour avoir une chance de le gagner dans l'opinion, il faudrait que tous les acteurs gouvernementaux et la structure interministérielle œuvrent dans ce sens. Leur silence actuel est incompréhensible.