octobre 2001

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Octobre 2001

Après l'attentat de Manhattan et l'explosion de Toulouse, les problèmes de sécurité vont continuer d'occuper une place privilégiée dans le débat public. Il sera impossible d'éviter l'intervention de la passion et de l'irrationalité dans l'abord de ces problèmes, spécialement en France à l'approche d'une échéance électorale importante. Dans la gestion des risques il est difficile de faire prévaloir le bon sens. Les morts ne semblent pas comparables quand elles surviennent en quelques secondes dans une zone limitée et quand elles se dispersent sur l'ensemble du territoire national comme dans le cas des accidents de la route. Les catastrophes "en miettes" pour utiliser le terme souvent employé pour désigner le malheur permanent et diffus ne semblent pas pouvoir provoquer la même émotion que l'événement unique et inhabituel dont le caractère dramatique est immédiatement rendu perceptible par sa médiatisation.

Poursuivant ma tentative d'associer à l'analyse la mise à disposition de documents qui ne sont pas toujours d'accès facile, même si l'internet a transformé la mise à disposition des usagers de la documentation administrative, je présente ce mois ci des documents illustrant l'évolution de la prise en charge communautaires de la sécurité routière par l'élaboration de normes communes.

Le problème est le suivant : l'Union Européenne souhaite étendre la limitation de vitesse à la construction des poids lourds et des véhicules de transport en commun (de plus de 8 passagers). Un projet de directive a été établi par la commission et rendu public en juin dernier. Immédiatement, la Grande Bretagne a entrepris une procédure de consultation de ses partenaires sur ce texte, développant un certain nombre d'arguments expliquant pourquoi le texte actuel lui posait quelques problèmes. Dans l'ensemble la Grande Bretagne est un pays qui a fait de la sécurité routière une de ses priorités et elle a obtenu dans ce domaine des résultats enviables. Il est également notoire que ce pays a un sens particulièrement aigu de son autonomie, notamment dans le domaine des unités de mesure, et qu'il est difficile de convaincre ses représentants oeuvrant dans des commissions de normalisation qu'ils ne sont pas détenteurs des meilleures solutions et que le mile est une unité de mesure qui n'a pas d'avenir. Les convictions britanniques s'appuient notamment sur le fait que c'est en Grande Bretagne que l'épidémiologie s'est développée et a été particulièrement exploitée dans le domaine de la sécurité sanitaire. L'administration anglaise a toujours su s'appuyer sur la recherche scientifique et réaliser des documents de synthèse de qualité associant les connaissances à la prise de décision politique.

Pour illustrer ce type de situation, je reproduis sur le site :

La position de la Grande Bretagne est à la fois intéressante, partiellement fondée, mais également vulnérable. Tout le début de son argumentation utilisant le fait que les vitesses limites actuelles sont fixées en mile par heure appartient au passé, l'unité de distance de l'Union est le kilomètre et l'unité de vitesse le kilomètre par heure. Comme pour les unités de poids, le système métrique est le seul possible pour l'Union. Curieusement l'argumentaire ne pose pas la question longuement discutée en juin dernier au congrès nord américain sur la vitesse qui s'est tenu à Québec : quels sont les avantages respectifs des vitesses identiques et des vitesses différenciées pour les poids lourds et les véhicules légers sur les autoroutes. Depuis la "dérégulation" des vitesses sur les autoroutes aux USA certains états ont choisi des vitesses maximales identiques sur leurs autoroutes pour tous les types de véhicules, dans le but de réduire au maximum les manoeuvres de dépassement, d'autres ont conservé des vitesses plus élevées pour les voitures légères. L'analyse des résultats est difficile car il faut rappeler qu'il ne s'agit pas de véhicules limités en vitesse à la construction mais de vitesses maximales autorisées. Il faut donc commencer l'analyse par une mesure des vitesses réelles en fonction des vitesses autorisées. Les résultats nous ont été présentés lors de ce congrès, ils mettent en évidence un léger avantage à l'uniformisation des vitesses, mais le facteur dominant est bien entendu la vitesse maximale autorisée.

Les questions posées dans le texte de la Grande Bretagne sont plus pertinentes quand elles demandent une plus grande précision dans l'évaluation des avantages apportées par les dispositions contenues dans le projet de directive. Le document se garde bien cependant de nier ces avantages dans le domaine de l'accidentalité et de la pollution, ce qui serait en totale contradiction avec le contenu du rapport publié l'an passé par le même département des transports. Là où l'argumentaire critique adressé à la directive dérape carrément c'est quand il envisage le risque de congestion de la circulation par l'accroissement du nombre de véhicules limités en vitesse, ce qui va allonger les temps de dépassement (However, implementation of the proposal as it stands could lead to congestion effects, caused by more vehicles being trapped in long overtaking manoeuvres, for example.). Le contre sens dans l'usage des mots est évident, le terme de congestion est impropre, la présence d'une proportion plus grande de véhicules limités en vitesse lors des dépassements peut ralentir les véhicules légers plus rapides qui eux ne sont pas limités, ce ralentissement ne signifie pas "congestion" car le débit de véhicules sur une chaussée augmente quand on réduit une vitesse élevée, le débit maximal se situant à des vitesses de l'ordre de 50 à 60 Km/h au maximum. C'est au dessous de ce niveau que le débit va se réduire et provoquer une "congestion" c'est à dire à la fois une augmentation de la densité de véhicule au kilomètre et un ralentissement de leur débit.

Quelle conclusion tirer de ce débat ? Qu'il sera de plus en plus difficile de produire des accords au niveau de l'Union. Entre les intérêts industriels et les particularismes locaux, la recherche du plus grand commun dénominateur se terminera souvent par un compromis minimaliste ! l'affaire sera intéressante à suivre car dans les arguments britanniques se glisse le seul argument sérieux contre le projet de directive : " The EC accepts that political considerations militate against extension at present to cars and light vans below and including 3.5 tonnes."Il est évident que l'aveu dans l'argumentaire de la directive que ce sont des considérations politiques qui militent contre l'extension aux voitures et aux camionnettes de moins de 3,5 tonnes montre bien qu'il est difficile de prendre des mesures dans ce domaine alors que des raisons "politiques" (dans le sens le plus flou du terme), s'opposent à ce que ces dispositions atteignent leur plein effet en s'appliquant à tous les véhicules. Mais ceci est une autre histoire.