juillet 2009

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Je voulais initialement consacrer cet éditorial à la décision judiciaire de relaxe qui concrétise l'échec de la plainte pour diffamation déposée par Airy Routier, rédacteur en chef de la rubrique "Enquêtes" du Nouvel Observateur à la suite de la parution de mon livre : "La violence routière - des mensonges qui tuent" aux éditions Lavoisier. Un des chapitres de ce livre était consacré aux mensonges et aux manipulations des faits accumulés par Airy Routier dans : "La France sans permis" paru en 2007 aux éditions Albin Michel".  Je développerai une analyse complète de cette procédure dans les semaines à venir, en rendant accessibles les 118 documents produits devant la 17ème correctionnelle pour mettre en évidence l'ampleur de cette désinformation. Ce n'est pas parce que tout le monde conduit et se sent spécialiste de la sécurité routière que l'on peut dire n'importe quoi pour défendre son comportement. Les connaissances existent dans le champ de la sécurité routière comme dans les autres domaines relevant de la méthode scientifique. Elles reposent sur le respect des faits, la sincérité des débats, l'acceptation de la critique et l'usage de méthodes valides.

Le jugement est accessible sur le site et la netteté de la décision, comme la qualité de sa rédaction, vont contribuer à la jurisprudence de l'usage des qualifications de "menteur" et de "manipulateur" dans un livre de nature scientifique, appliquées aux écrits et aux propos d'un journaliste. Les deux phrases clés du jugement portent sur :

Parmi les problèmes posés, j'envisagerai l'attitude du Nouvel Observateur dans cette affaire. Quand un journaliste perd les pédales, il peut trouver un soutien dans la structure qui l'emploie, il peut à l'opposer voire exploiter une attitude autodestructrice comme un sujet de société intéressant et être ensuite confronté au désastre humain et professionnel provoqué par cette publicité dangereuse. L'ensemble des documents et des analyses concernant cette affaire seront accessibles à partir de la page du site "la plainte d'Airy Routier"

L'actualité justifie de prêter une attention particulière à un événement plus important que les déviances d'un menteur/manipulateur. L'hypothèse d'une inversion de la tendance favorable à la sécurité routière observée depuis 2002, ou au minimum d'une stagnation, devient de plus en plus vraisemblable.

L'accidentalité du mois de juin 2009 se caractérise par un accroissement d'un tiers de la mortalité par rapport à juin 2008, contrastant avec de faibles modifications du nombre de blessés classés en deux groupes depuis 2005 sur le critère de la durée d'hospitalisation (les blessés considérés comme légers ne sont pas hospitalisés ou le sont pour une journée au maximum, les blessés "hospitalisés" sont ceux dont la durée d'hospitalisation dépasse 24 heures).

Il serait aventureux de tirer des conclusions solides d'une telle évolution. J'ai abordé dans l'éditorial d'août 2008 l'opposition entre :

J'entends dire qu'un effet météo associé à un relâchement du respect des règles expliquerait cette dégradation brutale des résultats. Nous n'avons pas les outils nous permettant de porter de tels jugements sur les comportements routiers du mois dernier par rapport  au mois précédent. Seule la variation météorologique a un fondement statistique sérieux, avec cependant des critiques possibles sur l'actualisation des études qui fondent l'évaluation de l'effet météo et sur l'intervalle de confiance des effets retenus.

La seule base sérieuse d'un pronostic défavorable pour l'évolution de la sécurité routière est l'analyse de la tendance des douze derniers mois, dont une illustration avait été produite par l'ONISR lors de la présentation du bilan 2008 et de l'évolution au début de 2009. Il s'agit d'un constat de nature statistique et non d'une prévision modélisée intégrant l'évolution de facteurs d'influence documentés. L'hypothèse est qu'une forte décroissance de la mortalité suivie d'une stabilisation est maintenant remplacée par une tendance à la croissance de cet indicateur. La décroissance ayant été initiée fin 2002 par un ensemble de décisions innovantes, pertinentes et appliquées avec détermination par les pouvoirs publics, la situation actuelle ne peut s'expliquer que par une forme d'équilibre nouveau du système, sous l'influence de ces décisions. Il ne s'agit pas de prétendre que ces mesures ne sont plus efficaces, mais qu'elles ont atteint leur effet maximal et maintiennent cet effet sous leur forme actuelle. pour descendre plus bas, il faudrait modifier l'application des mesures prises ou en prendre d'autres.

mortalité en 2008 et début 2009

Quels outils pour quelles prévisions ?

Nos incertitudes sur l'interprétation de la situation actuelle incitent à revenir sur les outils de gestion de la sécurité routière, ses qualités et ses insuffisances. Dans un domaine aussi évolutif et aussi technique, il est indispensable de développer des outils visant à produire des explications pour deux raisons principales :

J'ai déjà abordé ce problème à de multiples reprises, notamment dans un ensemble de propositions faites en 2002 après les Etats Généraux de la sécurité routière de septembre (proposition 4 et 7). Il y a deux aspects complémentaires dans les déficits de gestion d'un tel problème, celui de l'absence de savoir faire et celui de la volonté de ne pas savoir. Je les ai rencontrés dans toutes les expertises de sécurité sanitaire auxquelles j'ai participé ou que j'ai eu à réaliser au cours des trente dernières années.

Pour gérer, il faut disposer d'outils adaptés qui produiront les indicateurs pertinents pour  fonder les décisions et suivre l'évaluation de leurs effets. Après la canicule de 2003 des outils accélérant le dénombrement des décès et la connaissance de leurs causes ont été développés, notamment la transmission par des moyens informatisés des certificats de décès. Au début de l'année 2009, un excédent de décès par rapport au nombre attendu a été dépisté par le service de l'INSERM qui gère ces certificats et attribué à des infections virales respiratoires et digestives. Ce résultat montrait l'importance de la différence entre la simple connaissance d'un bilan (l'accroissement de la mortalité) et la disponibilité rapide de ses causes. Parallèlement, la sécurité alimentaire est assurée depuis longtemps par un ensemble très complexe de dispositifs de surveillance qui ont été renforcés après l'épidémie d'encéphalite d'origine bovine. L'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments a des moyens qui sont à la hauteur de ses missions. Ce n'est pas le cas pour l'Observatoire Nationale Interministériel de Sécurité Routière.

J'exprimais cette évidence en 2002 sous la forme suivante, en proposant de créer une Agence Française de Sécurité Routière, sur le modèle des grandes Agences de sécurité sanitaire, dont un des éléments serait : "L’observatoire national interministériel de sécurité routière (ONISR), structure qui existe mais dispose de moyens dérisoires pour effectuer ses missions. Il est impossible de fonder une politique de sécurité routière sans suivre au niveau local et national l’évolution de la situation à l’aide d’indicateurs pertinents et fiables. L’évaluation des politiques publiques est une activité spécifique dont le caractère interministériel est évident puisqu’il faut aussi bien évaluer le système de contrôle et de sanctions, que reconnaître les risques liés à l’infrastructure ou aux véhicules, ou analyser l’influence des produits psycho-actifs sur l’insécurité routière. Les organismes de recherche contribuent à établir les connaissances, l’ONISR doit être l’exploitant de ces connaissances et éventuellement le commanditaire de recherches qui lui sont utiles. Avec quatre personnes dans la structure actuelle, nous avons institué l’incapacité d’agir au niveau où il conviendrait de le faire. L’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments qui intervient dans un domaine responsable de moins de 100 morts chaque année a des moyens d’observation et d’analyse des risques sans commune mesure avec ceux mis en œuvre pour lutter contre l’insécurité routière. Il ne s’agit pas de réduire les capacités de l’AFSSA, mais d’assurer une cohérence dans les moyens accordés à la sécurité sous toutes ses formes. Le rôle de l’ONISR doit être étendu à la veille technologique, juridique, statistique à l’échelon international. Notre retard dans certains domaines est directement lié à l’insuffisance de cette veille. L’observatoire doit avoir en charge l’évaluation de la politique de sécurité routière, notamment l’effectivité des mesures décidées et leur efficacité."

Avec un tel outil et la volonté de l'utiliser au mieux, il serait possible de passer de l'étape de la connaissance d'un bilan (la mortalité de l'année précédente ou du mois précédant assuré par le dispositif de "remontées rapides") à celle des facteurs qui l'on déterminé, documenté à l'échelon géographique pertinent. Si j'avais à résumer ce dispositif de gestion je retiendrai prioritairement les évaluations suivantes, en associant constamment l'exposition au risque et l'effectivité des contrôles :

L'objectif du président de la République de limiter à 3000 le nombre de décès accidentel des usagers de la route peut-il être atteint par le seul renforcement des méthodes de gestion ?

Si la crise économique et financière actuelle voit sa gravité se réduire progressivement et si le prix du pétrole n'augmente pas rapidement (crise économique et prix élevé du pétrole sont des facteurs réduisant la circulation et la mortalité routière), l'objectif de 3000 tués sur les routes ne sera pas atteint. Après les succès exceptionnels de la période 2002/2006, il faudrait des méthodes nouvelles et éventuellement des mesures nouvelles pour faire à nouveau évoluer le système vers de fortes réductions de la mortalité.

Les méthodes nouvelles porteraient sur la dissuasion des excès de vitesse par :

Les décisions nouvelles les plus importantes doivent exploiter les synergies entre la sécurité routière et le respect de l'environnement par des mesures portant à la fois sur les aptitudes des véhicules et la réduction des émissions de dioxyde de carbone. Il convient également de faire passer dans la réglementation les connaissances accidentologiques validées, notamment celles qui concernent les téléphones "mains libres". :

Il faut en outre achever de corriger les failles de la réglementation ou les défauts dans son application pour supprimer le développement très anormal en France de recours administratifs visant à obtenir la restitution d'un permis après son annulation par perte de tous les points. Dans ce but il convient :

d'avoir une identification statistique précise des motifs retenus par les juridictions administratives pour annuler une décision de suppression de permis ou de points de permis. Chaque juridiction administrative devrait publier annuellement  :

de définir et de programmer les décisions à mettre en oeuvre pour supprimer les recours rendus possibles par des déficiences de la réglementation et non de son application.

Ces mesures doivent être accompagnées par une réforme profonde de la communication dans le domaine de la sécurité routière.  Une communication adaptée a un domaine très conflictuel ou les débats de café du commerce et l'intox sont banalisés exige le développement de deux volets complémentaires :

Conclusions

Il faudra attendre la fin de l'année avant de pouvoir dire avec certitude que l'époque des progrès importants dans le domaine de la sécurité routière qui a débuté en décembre 2002 s'est achevée et que, tout en maintenant la plus grande part des progrès acquis, la stagnation voire une légère dégradation des résultats se produit. Les résultats dépendront des choix gouvernementaux, notamment dans le domaine de la gestion de la vitesse des voitures particulières, des véhicules utilitaires de moins de 3,5 T et des motos. Soit les pouvoirs publics reprennent l'initiative comme ils l'on fait en 2002 et les résultats suivront, soit ils se contentent d'appliquer comme cela est fait actuellement les mesures existantes et, au mieux, ils maintiendront les acquis des 7 dernières années sans atteindre l'objectif de 3000 tués en 2012 fixé par le président de la République.