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Nous connaissons les multiples facteurs qui déterminent le niveau d'insécurité routière d'un pays. Il est donc possible de prévoir la modification des résultats par une évolution du système ou par une action spécifiquement destinée à réduire l'accidentalité (à condition que la mesure soit effective, c'est à dire que son application soit réellement mise en oeuvre avec les moyens nécessaires). La connaissance de ce qui détermine le risque ne permet pas pour autant de faire des prévisions sur l'évolution de la situation, que ce soit à court ou à long terme. Connaître les effets des facteurs d'influence ne permet pas de savoir comment ils vont évoluer. Nous sommes incapables de prévoir la survenue d'événements majeurs susceptibles de modifier le système, tels que l'accroissement ou la diminution du prix du pétrole, ou une décision politique majeure et imprévisible, telle que la décision du 14 juillet 2002 de Jacques Chirac faisant de la sécurité routière une priorité. Même une fois l'annonce faite, personne ne sait si elle est sérieuse et si les moyens suivront. Autrement dit nous pouvons expliquer ce qui s'est passé, mais pour l'avenir tout est subordonné à des hypothèses dont la solidité est variable.
En 1973, nous savions que le port de la ceinture divisait par deux la mortalité des occupants des voitures légères par rapport aux non utilisateurs. Nous connaissions la proportion de véhicules équipés et il était possible d'estimer le taux de port qui pouvait être obtenu dans les semaines qui ont suivi la décision de rendre l'usage de la ceinture obligatoire. Evaluer le nombre de morts qui seront évitées dans un tel contexte est possible avec une bonne précision, même si un autre facteur est modifiée par une mesure différente prise simultanément, telle que la vitesse maximale de circulation, ce qui avait été le cas en juillet 1973.
L'annonce d'un objectif chiffré ou d'une priorité politique ne sont pas des "faits modélisables" permettant de prévoir l'évolution d'un système. Il faut toujours avoir à l'esprit la différence entre les intentions, les espoirs et la réalité. La prévision sérieuse commence avec le passage à l'acte. Le Gouvernement de Lionel Jospin avait annoncé son objectif de législature, 50% de tués en moins en cinq ans, le bilan a été un gain inférieur à 3% de mai 1997 à mai 2002. Nicolas Sarkozy a fixé son objectif pour le mandat présidentiel à 3000 tués en 2012. En l'absence d'intervention d'autres facteurs extérieurs à la politique publique de sécurité routière, cet objectif très ambitieux ne peut être atteint qu'avec des mesures nouvelles, effectives et efficaces (on peut rendre effective un décision inefficace, ou annoncer une décision efficace et ne pas l'appliquer sérieusement, efficacité et réalité de l'application d'une mesure ne doivent pas être confondues). A ce jour aucune décision nouvelle susceptible de modifier de façon importante le dispositif n'a été envisagées (réduction de 10 km/h de la vitesse sur tous les réseaux hors agglomération, diffusion de la dissuasion des excès de vitesse sur l'ensemble des voies par l'homologation des radars automatiques embarqués dans des véhicules en déplacement (actuellement ils sont utilisables dans des véhicules arrêtés ou placés en bordure des chaussées), arrêt de la signalisation des endroits où sont effectués des contrôles par des radars déplaçables, en bord de route ou dans des véhicules à l'arrêt). Du fait de l'absence de décisions aux effets modélisables, personne ne sait comment va évoluer la situation, ni quand le Président de la République réalisera qu'il n'y a pas eu de décisions politiques nouvelles depuis la fin de 2006 et que son objectif ne sera pas atteint en l'absence de facteurs d'évolution autres que ceux relevant de ses choix politiques.
Pour ces raisons, j'étais d'un pessimisme sans nuance au début de cette année 2008 sur la capacité du gouvernement co-dirigé par Nicolas Sarkozy et François Fillon à poursuivre les progrès exceptionnels obtenus pendant la période décembre 2002/octobre 2006. Le premier comité interministériel de la nouvelle équipe avait été tardif, 8 mois après la formation du gouvernement, et il ne contenait pas de nouvelles mesures capables de relancer une forte diminution de l'accidentalité et de la mortalité. Depuis, un élément très important dans ce domaine est intervenu : la poursuite de la forte croissance du prix du pétrole.
Dans la construction de modèles empiriques de sécurité routière, fondés sur l'observation des faits, l'accroissement du prix du pétrole, comme les réductions du pouvoir d'achat et l'inquiétude des consommateurs dans une période de crise, voire de récession économique, sont des facteurs favorables à la sécurité routière. Le pessimisme des consommateurs n'incite pas à avoir des comportements susceptibles d'accroître les dépenses, à l'opposé ils réduiront les kilométrages parcourus et leur vitesse de circulation. Des spécialistes des marchés pétroliers nous affirment que les jeux financiers misant sur la poursuite de la hausse peuvent être brutalement interrompus par une adaptation associant la réduction de la consommation (du fait des prix actuels et d'un début de récession) et un accroissement même minime de la production. D'autres (plus nombreux) envisagent un pétrole cheminant inexorablement vers 200 $ le baril dans des délais relativement courts, accélérant la révolution des comportements, la poursuite de la réduction des vitesses de circulation et des kilométrages parcourus.
Le niveau de départ pour l'action sur l'insécurité routière du gouvernement actuel est de 4 788 tués pendant les 12 mois qui ont précédé mai 2007 (valeur avec la méthode actuelle prenant en compte les décès survenant au cours des trente jours qui suivent l'accident). La valeur observée fin juillet 2008 (avec la légère erreur qui peut être provoquée par la prise en compte de valeurs provisoires) est de 4 338 tués au cours des douze mois précédents. Depuis mai 2007, la réduction du nombre de tués est de 450, soit 9.4 %.
Il faut remarquer les différences d'évolution des trois indicateurs publiés par l'ONISR. La mortalité subit des variations importantes avec des mois favorables qui peuvent être suivis d'un mois qui l'est moins. La réduction du nombre de blessés hospitalisés semble plus élevée que celle des blessés légers. Il faudra connaître l'évolution récente des consommations d'essence et de gazole, des vitesses moyennes mesurées par l'Observatoire des vitesses, et des kilomètres parcourus, pour avoir une explication de l'évolution constatée, qui demeure dans l'ensemble favorable. Nous sommes actuellement incapables d'attribuer des parts respectives dans cette évolution à la simple poursuite des effets de la politique initiée en décembre 2002 et à la modification des comportements produits par les difficultés économiques et l'accroissement du prix des carburants.