L'échec de la plainte pour diffamation d'Airy Routier

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Airy Routier débouté de toutes ses demandes

Les textes présentés dans cette partie du site décrivent un conflit sur les connaissances en sécurité routière qui s'est conclu par un recours judiciaire. En septembre 2008, les éditions Lavoisier ont publié "La violence routière - des mensonges qui tuent", livre d'analyse d'un ensemble de mensonges concernant la sécurité routière exprimés au cours des quarante dernières années. Un des chapitres était consacré à la façon dont Airy Routier, un des rédacteurs en chef de la rubrique "enquêtes" du Nouvel Observateur, avait exploité les différentes formes de manipulation de la réalité dans son livre "La France sans permis" publié en 2007. Airy Routier a estimé qu'il était diffamatoire de le qualifier de menteur et il a porté plainte. Le tribunal ne l'a pas suivi et a prononcé une relaxe. Les documents suivants constituent une source documentaire utile pour les enseignants intervenant dans le domaine de la sécurité sanitaire, du droit ou du journalisme et leurs étudiants. Les 118 documents présentés sont unis par des liens facilitant leur exploitation et la compréhension des mécanismes utilisées par Airy Routier pour "travestir la vérité et tromper le lecteur" .

Les textes de présentation de ce conflit sont les suivants :

La décision de la 17ème chambre correctionnelle du 16 juin 2009 est une bonne nouvelle pour notre fonctionnement social. Il est encore possible d'écrire que celui qui ment est un menteur et celui qui manipule un manipulateur ! J'avais fait le choix dans mon livre de ne pas me limiter à la démonstration du caractère inexact des propos que j'analysais, mais de les qualifier de mensonges, ce qui impliquait l'intention de tromper de la part de celui qui les avaient tenus. Cette distinction entre la malfaçon de l'incompétent qui se trompe et la malfaisance du faussaire qui veut tromper était importante, mais dangereuse judiciairement, j'en avais conscience. Elle était cependant indispensable, toutes mes activités d'expertise en sécurité sanitaire m'ayant confronté au double visage de l'erreur. Celle du débile mental ou du paresseux ne doit pas être confondue avec celle du menteur dont l'objectif est de manipuler l'autre. J'avais déjà développé cette notion dans un livre précédent "Comment tuer l'Etat - précis de malfaçons et de malfaisances", publié par Bayard éditions en 2005.

Pour assurer ma défense j'ai poursuivi au cours du premier trimestre 2009 mon analyse des mensonges et des manipulations produites par Airy Routier. J'en ai découvert de nouveaux et j'ai obtenu de nouvelles preuves, notamment des témoignages de personnes ou d'organismes auxquels Airy Routier attribue des propos ou des études qui n'ont jamais été tenus ou produites. L'ensemble de ces documents a été édité sous la forme d'un CD-ROM regroupant environ 120 textes, qui a été remis aux juges et à la partie adverse. L'objectif était de mettre à la disposition des enseignants et des étudiants, tant dans le domaine de la santé publique que du journalisme, ou du droit, un ensemble de textes facilitant la compréhension des différentes formes de désinformation. Cet apprentissage doit inclure des "travaux pratiques" et dans ce domaine, les écrits d'Airy Routier constituent un exemple de "mauvaises pratiques" d'une ampleur et d'un intérêt exceptionnel.

Le jugement est un modèle de clarté, de précision et de qualité stylistique. Il analyse les différents passages retenus dans la citation à comparaitre et reconnait dans un premier temps que "Le fait allégué est d'autant plus contraire à l'honneur et à la considération qu'il est rappelé que le livre critiqué a été écrit par un journaliste et que les méthodes ainsi décrites sont radicalement contraires à la déontologie de cette profession". La partie suivante reprend des preuves et témoignages produits pour ma défense et s'achève par la décision de débouter Airy Routier de toutes ses demandes.

Le paragraphe décisif du jugement caractérise les pratiques du plaignant en quatre propositions dont la précision est valorisée par une mise en forme de tragédie classique :

L'inculpé pouvait affirmer comme il l'a fait
Que les erreurs factuelles et de raisonnement qu'il dénonçait
Relevaient d'une volonté délibérée de l'auteur
De travestir la vérité et de tromper le lecteur.

Il s'agit bien d'une tragédie et il est important de tenter de comprendre comment Airy Routier a pu faire le choix d'une telle procédure d'autodestruction. En passant de la perte de son permis de conduire faute de points, à sa garde à vue pour conduite sans permis et finalement l'écriture de son livre "La France sans permis", il a transformé un comportement asocial d'une grande banalité - l'accumulation de fautes de conduite produisant une annulation de permis - en un combat autodestructeur du fait de l'ampleur des techniques de désinformation utilisées. Son refus d'accepter la sanction, la provocation consistant à conduire sans permis et finalement la publication d'un livre traduisant la perte de ses références de journaliste connu pour la pertinence de ses enquêtes, traduisait le passage de l'analyse d'un problème qui lui était extérieur vers une réaction irrationnelle à une atteinte affective : la perte de son permis de conduire.

Mon expérience de chercheur acceptant de communiquer sur les connaissances produites par les accidentologistes m'a confronté à toutes les formes de déni. J'ai appris à les identifier et à les classer. La modification des comportements sur les routes est obtenue par la conjonction de règles de circulation précises, pertinentes, correctement mises en oeuvre et de l'acceptation de ces procédures par des usagers convaincus majoritairement de leur bien fondé. Les contestations sont fréquentes dans une activité familière à l'ensemble de la population. Tout le monde conduit ou est conduit, ce qui induit des attitudes personnelles fondées sur des propos de café du commerce. Il s'agit d'erreurs dans la représentation des risques dont la diffusion n'implique pas constamment la volonté de tromper. Dès les premières pages du livre d'Airy Routier, "La France sans permis", il était évident que ce livre était une provocation. Il n'avait pas la finesse d'un pamphlet contestataire, et n'exprimait pas non plus la naïveté d'un incompétent, il alignait un ensemble de mensonges grossiers relevant de la provocation. Les contradictions évidentes, les erreurs de calcul, les affirmations sans fondement étaient si nombreuses qu'il était évident que l'auteur avait abandonné toutes ses références de journaliste. Il avait entamé un combat personnel dont le caractère désespéré, irrationnel et finalement autodestructeur était évident.

Quand un humain perd les pédales et son aptitude à gérer un problème, il peut être aidé et protégé par son environnement, familial ou professionnel. Ce que j'ai appris entre le début du mois de mars 2007 et juin 2009 est l'ampleur du déficit de cohérence et d'empathie au sein de la rédaction d'un grand magazine comme le Nouvel Observateur. Dans un monde civilisé où les "soutiens psychologiques" semblent s'imposer après la survenue d'un drame personnel ou collectif, les entreprises ont des difficultés à établir ou maintenir les liens sociaux qui permettraient de reconnaître qu'un collaborateur est en difficulté et qu'il serait utile et urgent d'agir pour l'aider. Mes multiples tentatives destinées à avertir l'encadrement du Nouvel Observateur du caractère profondément anormal du livre d'Airy Routier ont échoué. C'est sur ce point que je voudrais insister dans ce commentaire du jugement rejetant sa plainte pour diffamation. Je voudrais résumer les événements de ces deux dernières années pour mettre en évidence l'isolement suicidaire d'un homme dont le comportement a été confondu avec la simple exagération du polémiste entrant dans un débat de nature politique.

Dans ce dossier, je n'ai rien initié. Fin février 2007, c'est Gérard Petijean, journaliste au Nouvel Observateur, qui m'a téléphoné pour me demander un avis sur le livre que venait de publier un des rédacteurs en chef du journal, Airy Routier. Je ne connaissais pas ce livre - La France sans permis -  dont la commercialisation débutait. Nous avons convenu que je viendrais le lendemain matin au siège du journal pour lire le livre et lui donner mon avis. Cette démarche était une demande normale d'un journaliste d'un hebdomadaire que je connais bien, j'y suis abonné, et avec lequel j'ai souvent travaillé, notamment par une contribution à un numéro hors série sur la vitesse.

Après une matinée de lecture, j'ai expliqué à Gérard Petitjean que ce livre était une accumulation de mensonges évidents, d'erreurs logiques et de manipulations reconstruisant les événements des trente cinq dernières années dans le domaine de la sécurité routière. Le 1er mars, l'analyse du livre a été cependant publiée sur 4 pages avec le titre accrocheur : Beauf ou Anar ? Rétrospectivement, cette présentation du livre par le journal était une première erreur. De  nombreuses critiques pertinentes étaient exprimées, mais elles ne faisaient pas apparaître la plus importante d'entre elles qui était le caractère grossièrement mensonger et manipulateur du livre. Cette reconnaissance du mensonge aurait été incompatible avec la place donnée au livre dans le journal qui employait Airy Routier, car elle détruisait la qualité de l'analyse du conflit de société opposant les exigences de la sécurité routière et les excès éventuels d'une politique de prévention par la répression initiée en 2002. Lors de la parution du livre de Thierry Meyssan - L'effroyable imposture - reprenant toutes les fables publiées sur internet réécrivant l'attentat du 11 septembre, les commentaires de la presse "sérieuse" n'ont pas porté sur les "informations" contenues dans ce livre, mais sur l'évidence du mensonge. Thierry Meyssan a été détruit professionnellement et humainement par les conséquences de ce passage à l'acte autodestructeur qui avait été immédiatement reconnu comme manipulateur. La première erreur du Nouvel Observateur a été de ne pas se donner le temps de comprendre que le livre d'Airy Routier était une manipulation grossière et de vouloir l'exploiter comme un conflit de société.

Malgré l'occultation du mensonge, la présentation très critique du livre par Gérard Petitjean et Serge Raffy a provoqué des réactions violentes de lecteurs. Le responsable du courrier, Jean-Marcel Bouguereau, avait bien traduit cette situation dans sa synthèse hebdomadaire intitulée : "l'affaire Airy Routier". Les commentaires allaient de la lectrice qui considérait Airy Routier comme "un des meilleurs journalistes du Nouvel Observateur" et qui conclut "Quelle déception ! Quelle décadence" à celui qui assène un "ce fasciste n'a pas sa place au Nouvel Observateur". J'avais moi même écrit au journal pour indiquer que ce livre compromettait le Nouvel Observateur car "il y a des limites pour tordre la vérité et défendre sa délinquance quand on est journaliste". La rubrique avait accordé à l'auteur une forme de droit de réponse à toutes ces critiques et Airy Routier disait notamment "les lecteurs qui me couvrent d'injures seront bien étonnés d'apprendre que je suis d'accord avec la plupart de leurs critiques : à aucun moment, dans mon livre, je ne défends la vitesse - au contraire - ni les comportements dangereux". Cette défense était une provocation supplémentaire, rappelons qu'Airy Routier annonçait au début de son livre: "qu’il ne sera pas question de défendre ou d’excuser le non-respect des règles élémentaires de sécurité, ainsi que les comportements dangereux ou irresponsables. Des exemples ? La conduite en état d’imprégnation alcoolique réelle ou sous l’emprise de diverses drogues, le mépris des règles élémentaires de sécurité, la très grande vitesse lorsque la voie utilisée ou le trafic ne le permettent pas, etc. Bref : celui qui conduit à 100 km/h en ville et 190 km/h sur une route ou une autoroute chargée, avec quelques verres dans le nez, est bel et bien un criminel en puissance et mérite de ce fait, d’être mis hors d’état de nuire ”. Avec une telle définition des attitudes à sanctionner, la réforme de la sécurité routière de 2002 n'aurait jamais été faite et la division par deux de la mortalité n'aurait pas été obtenue.

Dans les semaines suivantes, une vidéo placée sur le site du journal et un forum en ligne avec les lecteurs, accentuent la manipulation des faits et compromettent le journal par l'importance du déni de la réalité. J'ai alors produit une analyse détaillée du livre, mise en ligne sur ce site www.securite-routiere.org  au cours des mois suivants, elle y est toujours (le livre d'Airy Routier "la France sans permis", un modèle de désinformation et de manipulation des faits). Le paragraphe suivant est extrait des conclusions de ce travail d'analyse :

"Absence de respect des règles de la vie en société, mensonge et manipulation des faits comme des raisonnements, développement d’un rapport agressif avec ceux qui ne partagent pas ses idées, fait d’insultes et de mépris. Tout cela s’intègre dans un authentique comportement paranoïaque qui conduit chacune de ces dérives à un niveau ridicule pour l'observateur extérieur, mais très prégnant pour celui qui est pris dans cette dérive. Le personnage finit par être prisonnier de sa construction absurde, qu’il défendra cependant envers et contre tous. Le plus difficile à comprendre dans ce type de déviance est la possibilité d’un développement dans un domaine limité. Comme tous les lecteurs du Nouvel Observateur, je lis des articles intéressants et « normaux » d’Airy Routier. J’ai bien connu un homme présentant une forme sévère de paranoïa qui était apprécié comme un bon comptable par son employeur, alors que sa vie familiale était devenue un enfer pour sa femme et sa fille. Le titre du livre de Christiane Cellier "Touche pas à ma voiture" résume cette forme de déviance agressive qui se décline avec des intensités très variables. La forme "bénigne" fait la jonction avec le comportement normal d'une personne attachée à un objet, à une personne, ou à des idées et qui s'inquiète dès qu'on y touche, les formes les plus sévères aboutissent à des dérèglements perturbateurs du mode de vie. Un sentiment de persécution pathologique se développe et finit par obscurcir le raisonnement. Le cerveau profond, affectif, met son agressivité au service d'un cortex qui ne contrôle plus rien, mais construit ce qui peut aller jusqu'au délire, sur un fond de méfiance, d'agressivité, et d'ego hypertrophié. La perte des références rationnelles et le mensonge absurde, car évident, font partie de ce tableau et il suffit de regarder la vidéo enregistrée au Nouvel Observateur le 26 mars avec l'analyse de ces mensonges pour être persuadé du caractère pathologique de ce comportement."

J'avais demandé à Jean-Marcel Bouguereau si je pouvais rencontrer des responsables du journal pour leur expliquer la gravité de cette situation. Cette rencontre a eu lieu le 18 octobre 2007. J'ai déjeuné avec Jean-Marcel Bouguereau et les deux directeurs du Nouvel Observateur, Guillaume Malaurie et Michel Labro. Dans une atmosphère très cordiale, j'ai à nouveau décrit cette situation dangereuse qui appelait à mes yeux une réaction du journal. La difficulté était d'exprimer l'ampleur de cette manipulation et j'ai échoué. Quelques mois plus tard, Airy Routier plaçait sur le site internet du Nouvel Observateur le désormais fameux "Si tu reviens j'annule tout". Je n'ai aucune opinion sur la réalité de ce SMS, mais je sais que la publication de cette indiscrétion a nui au journal car elle traduisait une détérioration de ses références et donc de ses exigences professionnelles.

La confrontation au déni de la réalité est fréquente dans le domaine de la sécurité sanitaire, elle a fait partie de ma vie professionnelle pendant plusieurs décennies et l'épisode "Airy Routier" m'a convaincu de la nécessité de reprendre les exemples les plus démonstratifs dans le champ de la sécurité routière. L'objectif étant la formation, j'ai proposé ce livre à Franck Guarnieri, responsable d'une collection scientifique traitant des "Sciences du risque et du danger" aux éditions Lavoisier. Il a été publié en septembre 2008 sous le titre : "La violence routière - des mensonges qui tuent". J'avais consacré un chapitre aux propos d'Airy Routier. Ce dernier a cru bon de porter l'affaire devant la justice, l'audience consacrée à sa plainte pour diffamation s'est tenue le 12 mai 2009 et le jugement a été rendu le 16 juin. Le texte intégral du jugement concluant à ma relaxe est disponible sur le site, ainsi que la dépêche de l'AFP publiée le 16 juin.

Ce jugement est important pour les chercheurs dont le domaine d'action implique des prises de position publiques. La prévention des risques passe par une information complète, accessible et compréhensible des usagers exposés. Si la tentative de produire une diffusion des connaissances la plus sincère possible est détruite par des faussaires qui inventent des données fantaisistes, omettent les faits pertinents et présentent des raisonnements invalides, la démarche de santé publique perd son efficacité.

J'ai rappelé dans mon livre les bases du consensus social dans de tels domaines. Il repose sur la sincérité et la modestie. Les scientifiques n'ont pas une connaissance universelle et exhaustive, mais ils connaissent beaucoup de choses et dans certains domaines, la sécurité routière en fait partie, le niveau de savoir disponible permet de fonder des décisions légitimes et efficaces. La chute brutale de la mortalité sur les routes à partir de décembre 2002 l'a prouvé une fois de plus, comme cela avait été le cas en juillet 1973 quand le port obligatoire de la ceinture de sécurité et les limitations de vitesse sur l'ensemble des réseaux non autoroutiers ont été instaurés.

Mes références sur ce type de problème sont simples et je ne les ai pas inventées, je les ai apprises :

Les scientifiques qui estiment que c’est se compromettre que de tenter de s’opposer aux menteurs et aux manipulateurs font une double erreur :