janvier 2001
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Fiche technique du mois : la
mortalité sur les autoroutes dans 15 pays industrialisés.
Janvier 2001
J'ai passé il y a quelques semaines le cap de trente années de
recherches dans le domaine des accidents de la route. C'est en octobre 1970 que
Claude Tarrière, qui dirigeait le laboratoire de recherche de Renault, puis des
deux grands constructeurs français de voitures, est venu à l'hôpital de Garches
pour chercher de l'aide et créer une équipe pluridisciplinaire associant des
médecins et des ingénieurs, à des spécialistes formés sur le tas qui sont
devenus des "accidentologistes" ou des "accidentologues". Comme dans d'autres
disciplines qui ont connu la coexistence des deux terminaisons, je crois que le
"giste" supplantera le "logue". La désignation du praticien de l'accidentologie
s'est construite spontanément après que nous ayons créé en 1975 le terme
d'accidentologie pour bien indiquer que notre discipline naissante n'était pas
de la traumatologie, mais s'intéressait à l'accident et à ses conséquences.
Les espoirs que l'on peut avoir pour la période à venir sont
plus intéressants que le bilan des années passées. Je crois à une évolution
favorable de la situation dans les prochaines années et cette confiance dans
l'avenir se fonde sur plusieurs éléments :
-
les drames de la sécurité sanitaire de la dernière décennie
ont créé des précédents dans le domaine de la mise en cause de la
responsabilité des décideurs, politiques ou administratifs, dans des
situations où l'insécurité pouvait être mieux contrôlée par des attitudes
adaptées, sans contrainte inacceptable, éthique ou financière. Dans un pays
démocratique, les lois, et la justice qui les applique, sont les derniers
recours des citoyens anormalement exposés à des risques évitables, cette
possibilité va être utilisée dans le domaine de la sécurité routière et
c'est normal,
- l'évolution du problème de sécurité sanitaire posé par la
maladie de la vache folle a produit un ensemble de références concernant ce
que l'on appelle la "précaution". De nombreux propos de responsables
politiques, des textes de structures aussi officielles que la commission de
l'Union Européenne ou la Cour de justice de communautés, utilisent ce
concept difficile à gérer, car il traite de la décision dans le domaine du
risque incertain ou tout au moins mal quantifié. Dans le même temps les
décideurs ne semblent pas avoir réalisé que leurs positions d'extrême
prudence dans le domaine de la gestion de risques imprécis allaient les
placer dans une situation intenable quand ils seraient inactifs face à des
risques parfaitement documentés et accessibles à des mesures de prévention.
En faisant ce grand écart, ils ont ouvert la voie des actions pénales
concernant l'absence de décision dans le domaine des risques évitables,
notamment du risque routier. Ceux qui nient cette possibilité d'action en
prétextant que la société sans risque est une utopie absurde, et
qu'avec de tels principes il faudrait d'abord interdire l'alcool et le tabac
qui sont les deux premiers tueurs évitables de nos sociétés n'ont rien
compris à la spécificité des situations en cause. Il faut différencier le
risque librement consenti et celui qui est imposé dans des domaines où
l'Etat a des responsabilités définies par des textes législatifs. D'autres
arguments également inadaptés se fondent sur le fait que de nombreux
facteurs de risque devraient être interdits si l'on pousse la prévention à
ses limites, par exemple les couteaux, ou les médicaments exposant à des
accidents thérapeutiques. La gestion du risque doit toujours se concevoir
comme une relation entre des avantages et des inconvénients, un couteau rend
des services évidents qui font accepter le risque de se couper, un
médicament qui sauve beaucoup plus de personnes qu'il n'en tue est également
acceptable. La particularité de la procédure qui visera dans le cadre des
délits non-intentionnels la mise en circulation de véhicules inutilement
rapides et dangereux est que leurs performances n'ont aucun intérêt, sinon
de leur permettre de transgresser la réglementation sur les limitations de
vitesse et la protection de l'environnement.
-
l'opinion publique évolue. Elle a commencé cette évolution
depuis de nombreuses années, mais l'accélération de la prise de conscience
est évidente, notamment parce que plusieurs facteurs incitent à agir.
L'évolution climatique, l'effet de serre, l'obligation où nous trouvons de
ne pas sacrifier les générations à venir par une attitude irresponsable,
vont se conjuguer avec les exigences de la sécurité routière pour interdire
la production de véhicules dits de "tourisme" dont la puissance inutile est
une négation de la raison et de la responsabilité.
Le chemin à parcourir est donc parfaitement balisé :
-
continuer à développer la connaissance du risque lié à la
puissance et au poids des véhicules de tourisme, en séparant les dommages
corporels des occupants de ceux qui sont extérieurs au type de véhicule
impliqué. Le rôle de l'Observatoire interministériel de sécurité routière,
des organismes de recherche qui ont la possibilité de réunir ces
connaissances, et du futur Conseil national de la sécurité routière sera
particulièrement important dans un domaine où les assureurs ne publient plus
les données pertinentes,
- exiger des responsables de la sécurité, aux différents
niveaux administratifs (commission de la sécurité des consommateurs, DGCCRF,
Direction de la sécurité routière) et politiques, qu'ils prennent position
sur les différents moyens susceptibles de réduire le risque routier par une
action sur la puissance des véhicules et les moyens de contrôler leur usage
(boîtes noires), Le Conseil d'orientation de l'observatoire national de
sécurité routière a déjà exprimé un avis sur ce dernier point. C'est
l'association de ces différentes prises de position qui placera les
décideurs dans une situation intenable s'ils n'agissent pas,
-
réunir les victimes ou les familles de victimes d'accidents
liés à des véhicules circulant à des vitesses qu'ils n'auraient jamais du
pouvoir atteindre pour qu'elles puissent bénéficier d'un soutien juridique
et d'expertise dans leurs actions pénales, auprès de la Cour de justice de
la république ou des juridictions ordinaires. Dans ce domaine le rôle des
associations sera déterminant.
Dans cette entreprise, les experts vont avoir à jouer leur rôle,
ils doivent être aussi bien à la disposition des victimes que des pouvoirs
publics ou des juges.