mortalité sur les autoroutes

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Quels sont les facteurs qui déterminent les mortalités observées sur les autoroutes des pays industrialisés ?

Parmi les idées reçues concernant les risques routiers, l'affirmation depuis une vingtaine d'années que "les autoroutes allemandes sont moins dangereuses que les autoroutes françaises par milliard de kilomètres  parcouru, bien que la vitesse n'y soit pas limitée pour les voitures de tourisme" fait partie des classiques. Quand on ne veut pas reconnaître les réalités, on tente de se convaincre et de faire partager aux autres ses convictions en répétant inlassablement une vérité partielle dont l'explication n'est pas celle qui est avancée. Si les autoroutes allemandes ont été dans le passé moins dangereuses que les nôtres au kilomètre parcouru, c'est d'abord parce que le volume moyen de la circulation y est beaucoup plus élevé.

Depuis deux ans, même sans tenir compte de cet effet sécuritaire majeur de la densité de circulation, les autoroutes allemandes sont devenues plus dangereuses que les nôtres au kilomètre parcouru. Les dernières données disponibles sont les suivantes :

 Mortalité sur les autoroutes en France et en Allemagne et expression du taux de mortalité par milliards de kilomètres parcourus (les tués sont calculés à 30 jours, en utilisant le coefficient multiplicateur de 1,057 pour passer de la mortalité à 6 jours à la mortalité à 30 jours).

  FR tués FR circulation FR taux de mortalité AL tués AL circulation AL taux de mortalité
2002 521 116 4,5 857 211 4,1
2003 439 118 3,7 811 213 3,8
2004 318 121 2,6 694 217 3,2

Quand le groupe  de recherche sur les accidents avec lequel j'ai travaillé à partir de 1970 a commencé à étudier les accidents de l'autoroute de l'ouest entre le tunnel de Saint Cloud et le péage de Mantes, le capitaine qui commandait la CRS 2 ayant en charge cette autoroute de dégagement nous avait expliqué que le risque d'accident grave n'augmentait pas en fonction du trafic, au contraire. Quand l'autoroute était à la limite de la saturation ou saturée, le matin ou lors des retours de week-end, le débit était maximal et le risque d'accident corporel pratiquement nul, les chocs avant-arrière se faisant à faible vitesse. A l'opposé quand la circulation redevenait fluide, tard dans la nuit du dimanche, ou en semaine lors des périodes de faible circulation, les vitesses étaient plus élevées et le risque aussi.

En 1988 j'avais exploité les données disponibles pour 1986 sur :

En divisant le trafic par la longueur du réseau autoroutier j'avais obtenu un indicateur de débit qui était exprimé en millions de véhicules passant en moyenne sur un kilomètre d'autoroute pendant une année. Par exemple pour la France cet indicateur était de 8,35 millions de véhicules par an, alors que l'Allemagne fédérale constatait une circulation beaucoup plus intense, 12,35 millions de véhicules passaient chaque année sur un kilomètre de ses autoroutes. Il s'agit bien entendu d'une valeur moyenne. A partir de ces données il était facile de constater le niveau élevé de la corrélation entre le taux de mortalité et le débit, que ce soit en utilisant une régression linéaire ou exponentielle. J'avais publié ces données dans "le Généraliste" du 13 janvier 1989 pour expliquer à un correspondant du journal que les résultats relativement bons des autoroutes allemandes dans le domaine de la sécurité s'expliquaient d'abord par l'intensité de la circulation. Voici le tableau qui avait été publié à l'époque. Pour comparer ces données avec celles publiées en 1995 par Bruhning et coll. le tableau ci-dessous exprime le volume moyen de circulation en véhicules par jour et par kilomètre d'autoroute, et non par année comme dans ma publication de 1989.

Pays - Année 1986 Réseau autoroutier en Km Trafic en milliards de véhicules x Km Mortalité par an et par milliard de véhicules x Km Circulation en véhicules par Km et par jour
RFA 8350 103,2 7,4 33861
France 5936 49,6 11,3 22913
Italie 6209 39,5 18,2 17429
UK 2968 42,3 5,9 39091
Pays-Bas 1975 25,8 3 35790
Belgique 1534 15,1 9,5 27004
Autriche 1261 7 20,7 15291
Suisse 1054 11,5 6,6 29846

 Le coefficient de corrélation entre la mortalité et le débit moyen est de 0,90 en utilisant la fonction exponentielle suivante :

mortalité = exp (3,99 - (0,0000658 * débit))

Graphique 1 représentant les données de 1986.

En 1995 E.Bruhning, S.Berns et A.Schnepers ont décrit l'évolution de cette relation dans les mêmes huit pays et aux USA (Strasse + Autobahn de janvier 1995) pendant une période allant de 1970 à 1993. Leur étude distingue la RFA de l'ex RDA, ce qui était tout à fait justifié le réseau autoroutier de l'Allemagne de l'est n'était pas encore remis au niveau technique de la RFA à la fin de la période étudiée, et il avait connu une forte augmentation de la mortalité dans les années qui avaient suivi la réunification.

Ils ont utilisé une fonction multiplicative exprimant la mortalité M = a. Tb.106 en fonction du débit moyen de circulation avec a=18,25 et b=-1,42 Outre la fonction établissant globalement cette relation en réunissant les diverses valeurs annuelles des pays étudiés, ils ont établi les régressions des différentes valeurs annuelles pour chaque pays, ce qui met bien en évidence la réduction progressive de la mortalité dans chaque pays, accompagnant l'augmentation de la circulation (il n'y a pas de pays qui ait augmenté son réseau autoroutier plus vite que son trafic). Le graphique représentant ces différentes courbes est particulièrement intéressant car il montre qu'elles ne sont que faiblement décalées les unes par rapport aux autres, elles suivent bien la relation générale. Il y a cependant des particularités qui sont peu commentées dans cet article qui se veut descriptif et n'envisage pas les facteurs associés qui peuvent expliquer que deux pays qui ont le même débit moyen de véhicules sur un kilomètre d'autoroute en une année puissent avoir des taux de mortalité assez nettement différents. La comparaison entre l'Allemagne et les USA est particulièrement intéressante, le taux de mortalité américain en 1992 était de 5,3 tués par milliard de km alors qu'il était de 5,4 en RFA en 1993 (il y avait un décalage d'une année entre ces deux pays dans l'étude de Bruhning). Pour ces années le trafic moyen américain était nettement plus faible à 30 453 véhicules par km et par jour pour 45 512 en Allemagne de l'Ouest. La France avait en 1993 un taux de mortalité de 8,1 et une circulation encore plus faible que les USA à 28 225.

Graphique 2 publié dans l'article de Bruhning

Si l'on refait les mêmes comparaisons en 1998 l'allure générale de la relation entre les deux variables est conservée, la réduction de la mortalité continue d'accompagner l'accroissement du trafic moyen. J'ai exclu la Suède du calcul de la régression du fait du caractère très atypique de ce pays en matière de comportement routier. Le respect des autres et donc celui des règles est dans ce pays à un niveau qui ne nous est pas familier. Malgré un trafic moyen sur les autoroutes relativement faible, le taux de mortalité est également très faible. Le Royaume Uni et le Danemark ont également de très bons résultats mais si le second a une  circulation sur autoroute relativement faible, ce n'est pas le cas du Royaume Uni qui a la valeur la plus élevée, avec près de 60000 véhicules jours sur chaque kilomètre de ses autoroutes. Les trois pays qui ont les plus mauvais résultats, compte tenu de leur trafic, sont la Belgique, le Portugal et surtout l'Espagne qui dépasse encore les 30 tués au milliard de kilomètre parcouru. Il est intéressant de noter que les USA qui ont accru la vitesse maximale autorisée sur leurs autoroutes ont un taux de mortalité identique en 1998 et en 1992, alors que la circulation moyenne s'est accrue de 30 453 à 37 401. Ils ont donc perdu tout le bénéfice qu'ils auraient pu obtenir en maintenant leurs anciennes limites de vitesse. l'Allemagne et la France n'ont que légèrement augmenté leur trafic moyen (respectivement de 45 512 à 47 457 et de 28 225 à 30 058) alors que leurs taux de mortalité se sont rapprochés (4,1 et 5,4), la France est maintenant nettement mieux placée que la moyenne de ces 14 pays si l'on tient compte de la circulation, l'Allemagne est elle légèrement au dessus de cette courbe, sans avoir les mauvais résultats de la Belgique, de l'Espagne et du Portugal.

Mortalité sur les autoroutes de 15 pays en 1998
Pays tués sur autoroutes Km d'autoroutes tués par milliard de véhicules x Km trafic en milliards de V x Km intensité de la circulation (véhicules jour)
allemagne 803 11309 4,1 195,85 47457
autriche 152 1613 8,3 18,31 31099
belgique 215 1682 7,5 28,67 46717
danemark 33 862 3,7 8,92 28359
espagne 359 2728 31,7 11,32 11371
états-unis 5367 74165 5,3 1012,64 37401
finlande 19 444 5,7 3,33 20550
france 525 8863 5,4 97,22 30058
hongrie 43 448 16,1 2,67 16330
italie 713 6473 13,4 53,21 22523
japon 290 6402 4,3 67,44 28852
portugal 120 830 15,9 7,55 24934
r.tchèque 45 485 13,3 3,38 19098
royaume uni 176 3405 2,5 70,4 56663
suède 24 1438 2,6 9,23 17591
suisse 79 1262 4,4 17,95 38963

Graphique 3 utilisant les données de l'année 1998 : (attention le H représente la Hongrie, je ne dispose pas des valeurs pour les Pays-Bas qui étaient représentés dans l'étude de 1986 )

Une fonction exponentielle produit la relation suivante entre la mortalité par milliard de kilomètres parcourus et la débit moyen de la circulation :

Taux de mortalité par milliard de Km = exp (3,28 * - (0,0000418 * débit moyen))

Exemple de calcul avec les USA : exp (3,28 * - (0,0000418 * 37401)) = 5,55

La valeur observée est de 5,3 les USA sont un bon exemple de pays aux résultats "moyens" se situant sur le tracé de la fonction.

Si l'on utilise une fonction multiplicative la relation est la suivante :

Taux de mortalité par milliard de Km = 4,81* 106 * (-1,306 * débit moyen)

Exemple de calcul avec les USA : 4,81* 106 * (-1,306 * 37401) = 5,12

Commentaires

Le choix de la représentation du taux de mortalité en fonction du trafic moyen supporté par chaque kilomètre d'autoroute par une exponentielle ou une fonction multiplicative n'a pas de fondement relevant d'une caractéristique de la variable utilisée. Il s'agit d'une analyse empirique de données et non d'une véritable modélisation faisant intervenir une analyse quantifiée  des différents facteurs se situant "en amont" de cette variable "intensité de circulation". J'avais choisi en 1988 une fonction exponentielle parce que c'est une fonction plus simple et donc plus robuste qu'une fonction multiplicative qui a elle l'avantage de pouvoir ajuster plus finement la corrélation en jouant sur l'exposant affecté au trafic. Si l'on calcule un coefficient de corrélation entre les deux variables on obtient les valeurs suivantes pour les deux années et les deux types de fonctions :

coefficient de corrélation entre le taux de mortalité et la circulation

fonction 1986 1998
exponentielle - 0,92 - 0,76
multiplicative - 0,90 - 0,81

La dispersion des valeurs de part et d'autre de la courbe déterminée par la fonction est donc plus importante en 1998 qu'en 1986, et ceci d'autant plus que les valeurs utilisées pour 1998 n'incluent pas la Suède. Il faut tenir compte du fait qu'il n'y avait que 8 pays pris en compte en 1986 contre 14 en 1998. Les facteurs qui peuvent jouer un rôle dans la spécificité de chaque pays sont faciles à identifier mais nous ne pouvons les quantifier, il s'agit :

Conclusions

Les taux de mortalité sur autoroute, exprimés en nombre de tués par milliard de kilomètres parcourus, sont très différents d'un pays industrialisé à l'autre, allant de 2,5 pour le Royaume Uni à 31,7 pour l'Espagne en 1998. Ces différences s'expliquent en grande partie par les différences de débit moyen de véhicules sur ces autoroutes. Plus la circulation est intense, plus les vitesses réelles sont faibles et plus la mortalité diminue. Cette notion est connue depuis longtemps, elle est peu vulgarisée. L'évolution de ces taux est à la baisse et les réformes intervenues en France depuis 2002, rendant plus crédibles les limitations de vitesse ont provoqué un véritable effondrement de la mortalité sur les autoroutes, plaçant maintenant la France dans le groupe des nations qui possèdent les autoroutes les plus sûres.

Définitions

Il y a une relation entre le trafic moyen et la densité de circulation mais ces deux variables ne sont pas identiques, même si elles sont parfois utilisées l'une pour l'autre. La densité de circulation représente le nombre de véhicules présents au même moment sur un longueur donnée d'une route. Le débit (trafic moyen, intensité de la circulation) caractérise le nombre de véhicules passé en un temps donné a un point donné. Assimiler le trafic moyen sur les autoroutes au quotient du kilométrage parcouru divisé par la longueur du réseau est justifié. Il est plus discutable de qualifier ce trafic moyen de densité car si les vitesses et les distances entre véhicules sont différentes, les densités varient. Les relations entre densité de circulation, vitesse, trafic et distances entre les véhicules ont été très étudiées sur le périphérique parisien où l'on observe à la fois des débits moyens, des densités de circulation et des vitesses élevés du fait d'habitudes de conduite tolérant de faibles intervalles entre les véhicules (avec certains risques !).