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Le bon usage des statistiques
Deux problèmes très différents sont observés dans le domaine des analyses statistiques de l'insécurité routière :
- la dénaturation et le déni de leurs résultats quand ils contrarient ceux qui ont une vision affective et donc subjective de leur comportement sur les routes. Elle est facile à repérer par l'usage constant de l'expression : "on peut faire dire ce que l'on veut aux statistiques". Quand j'entends cette phrase dans un débat, je sais à quel type d'interlocuteur j'ai affaire et je peux immédiatement lui dire qu'il ment et que ceux qui utilisent cet argument sont ceux qui dénaturent les principes et les méthodes d'une discipline qui fait partie de la connaissance scientifique.
- la confusion entre les statistiques descriptives et les
statistiques à visée explicative.
- Décrire les différents aspects de l'insécurité routière impose le recours à des dénombrements statistiques utilisant des indicateurs précis, tel que le nombre de tués, de blessés graves, de blessés légers. Chacun de ces indicateurs devra être défini, par exemple le délai pendant lequel un éventuel décès sera recherché auprès des structures hospitalières si la mort n'a pas été immédiate. L'hospitalisation peut être utilisée comme un indicateur de gravité, c'est ce critère qui a été retenu récemment par la France. Les statistiques qui font le bilan des accidents de la route ont pour finalité la description la plus précise possible du phénomène pour permettre de juger l'évolution et la répartition des accidents. Elles exploiteront des critères géographiques, les différentes formes d'infrastructure, les différents types de véhicules impliqués, l'âge et le sexe des usagers impliqués. Non seulement les critères doivent être définis avec pertinence et précision, mais il faut également s'assurer de la qualité du recueil des données.
- Les analyses explicatives s'appuient sur les précédentes et vont traiter les résultats observés pour améliorer leur compréhension. Un des principaux objectifs est l'attribution d'une valeur causale à la présence d'un facteur de risque envisagé. Si nous établissons la proportion d'usagers impliqués dans un accident mortel avec une alcoolémie dépassant le taux légal, cette donnée descriptive ne permet pas d'affirmer que tous les accidents concernés sont attribuables à l'alcool. Il convient d'observer un échantillon d'usagers non accidentés dans des conditions représentatives de l'exposition au risque (type de voie, tranches horaires, jours de la semaine) pour pouvoir établir la fraction d'accidents attribuables à la conduite sous l'influence de l'alcool.
La France et l’Europe
Dans la plupart des domaines de la sécurité sanitaire les différents états de l’Union Européenne sont proches les uns des autres, mais ce n'est pas le cas pour la sécurité routière. Le taux de mortalité par accident de la circulation est trois fois plus élevé en Pologne ou en Grèce qu’en Grande Bretagne. Il faut analyser ces différences car ce qui a été efficace a un endroit peut être mis en œuvre à un autre, en tenant compte des spécificités culturelles, économiques et géographiques qui influencent les comportements humains et la nature des risques sur les routes. En outre l'évolution de la situation varie d'un Etat à l'autre, les actions politiques nationales demeurant importantes pour produire des périodes de progrès comme celle que nous avons connue en France de la fin 2002 à la fin 2006.
Peu de secteurs de la santé publique sont aussi explorés en apparence que l’insécurité routière, des milliers de chiffres sont publiés annuellement et cependant les défaillances de nos connaissances sont encore nombreuses. Nous disposons de statistiques décrivant les résultats, mais les études portant sur les indicateurs de gestion sont rares, parfois discutables tant leurs résultats sont peu cohérents avec les connaissances produites par la recherche dans les domaines concernés. Dans l’ensemble l’Etat veut bien décrire la situation mais il ne souhaite pas indiquer ce qu’il fait pour la gérer, ce qui rendrait apparentes ses insuffisances. Il est également significatif de constater que l'Observatoire national interministériel de sécurité routière qui a des moyens ridiculement faibles par rapport aux enjeux humains en question (environ cinq personnes à plein temps) ne publie pas d'évaluation du risque relatif de provoquer des victimes extérieures au véhicule en fonction de la puissance et du poids des véhicules de tourisme. Documenter cet indicateur et communiquer sur son importance aurait une influence sur les représentations du risque lié à ces facteurs. L'inconvénient pour les décideurs administratifs et politiques serait de mettre en évidence le fait qu'ils laissent mettre en circulation des véhicules inutilement rapides et lourds qui provoquent des dommages très importants chez les autres usagers.
L’exemple que j'utiliserai pour justifier la remarque sur l'usage insuffisant des indicateurs de gestion du risque routier sera celui des contrôles préventifs de l’alcoolisation des conducteurs. Les résultats pour l’année 2000 produits par l’Observatoire National Interministériel de la Sécurité Routière (que nous désignerons par le terme « Observatoire » dans la suite de ce texte) sont les suivants :
- nombre de contrôles préventifs : 7 422 337
- nombre de tests positifs : 100 756
- proportion de tests positifs : 1,36%
En 2007 les résultats étaient les suivants
- nombre de contrôles préventifs : 8 941 167
- nombre de tests positifs : 254 096
- proportion de tests positifs : 2,84 %
Et en 2011
- nombre de contrôles préventifs : 9 070 035
- nombre de tests positifs : 277 637
- proportion de tests positifs : 3,1%
On pourrait en conclure que l’alcoolisation des conducteurs s’accroît. En réalité ce sont les modifications des conditions de ces tests qui se modifient. L’alcoolisation des conducteurs est très variable suivant l’heure du jour et le jour de la semaine. Si l’on pratique ces dépistages aux heures et aux jours où l’alcoolisation est faible, le nombre et la proportion de tests positifs seront également faibles. Il faut remarquer que l’évolution se fait dans le sens d’une meilleure adaptation des dépistages aux conditions réelles du terrain, mais nous sommes encore loin de l’optimisation du système destiné à dissuader les conducteurs de conduire sous l’influence de l’alcool. Nous savons qu’une seconde source de modifications artificielle des résultats a été provoqué par l'abandon progressif des « ballons » (éthylotests chimiques) qui ont été remplacés par des appareils électroniques beaucoup plus précis. Les comparaisons faites entre les dépistages avec les deux types d’appareil ont prouvé que l’usage d’éthylotests électroniques multipliait par plus de deux la proportion d’usagers reconnus comme étant sous l’influence de l’alcool. L'équipement en éthylotests électroniques est maintenant achevé et l'accroissement de la proportion de tests positifs est donc influencé à la hausse par ces deux modifications principales, une amélioration technique et une amélioration des pratiques. Tout observateur qui utiliserait l'évolution constaté pour conclure à un accroissement de la conduite sous l'influence de l'alcool ferait une affirmation sans fondement statistique valide.
Les données numériques qui caractérisent la période récente.
Nombre d’accidents, de blessés et de tués (dans un délai de 6 jours
après l'accident jusqu'en 2004, dans un délai de 30 jours à partir de 2005.
Le coefficient multiplicateur pour passer d'une valeur à l'autre est estimé à
1,069). Les résultats concernent uniquement la France métropolitaine jusqu'en
2003 et la France entière depuis 2004 :
1996 | 1998 | 2000 | 2002 | 2004 | 2006 | 2008 | 2009 | 2010 | 2011 | |
Accidents corporels | 125 406 | 124 387 | 121 223 | 105 470 | 85 390 | 82 993 | 76 767 | 72 315 | 67 288 | 65 024 |
Blessés légers | 133 913 | 134 558 | 134 710 | 113 748 | 91 292 | non hospitalisés 64 611 |
60 726 | 57 611 | 54 068 | 51 572 |
Blessés graves (hospitalisés au 6ème jour |
36204 | 33 977 | 27 407 | 24 091 | 17 435 | hospitalisés 41 869 |
36 179 | 33 323 | 30 393 | 29 679 |
Tués (à six jours) | 8080 | 8 437 | 7643 | 7 242 | 5 232 | |||||
Tués à 30 jours (évaluation) |
8540 | 8 918 | 8079 | 7 741 | 5 593 | 4 942 (recensés) |
4 443 | 4 273 | 3 992 | 3963 |
- la proportion d’usagers tués en fonction du mode de déplacement utilisé :
1998 | 2000 | 2002 | 2004 | 2006 | 2008 | 2009 | 2010 | 2011 | |
Automobilistes | 65% | 65,5% | 63,5% | 60,9% | 55,8% | 50,8% | 50,5% | 53% | 52% |
Piétons | 11,7% | 10,4% | 11,3% | 10,5% | 11,4% | 13% | 11,6% | 12% | 13.1% |
Motocyclistes | 10,7% | 11,6% | 13,4% | 15,6% | 16,3% | 19% | 20,8% | 17,6% | 19,2% |
Cyclomotoristes | 5% | 5,6% | 5% | 6,1% | 6,7% | 7% | 7% | 6.2% | 5.6% |
Cyclistes | 3,6% | 3,3% | 2,9% | 3,2% | 3,8% | 3,6% | 3,8% | 3,7% | 3.6% |
Poids lourds | 1,3% | 1,5% | 1,7% | 1,5% | 1,8% | 1,7% | 1,3% | 1,6% | 1.7% |
Autres (utilitaires, TC, tracteurs etc.) | 2.7% | 2% | 2,2% | 2,2% | 4,2% | 4,8% | 5% | 5,7% | 3.6% |
- le lieu où les accidents mortels se sont produits, en sachant que la nature de la voie ne caractérise pas la situation par rapport à la notion d’agglomération, sauf pour les autoroutes. Sur les 7.989 tués de 1997, 5.463 (68,4%) ont été accidentés en rase campagne et 2.526 (31,6%) dans une agglomération. En 2000 sur les 7643 tués, 5506 (72%) l’ont été en rase campagne et 2137 (28%) en milieu urbain. En 2006 il y a eu 3363 tués en rase campagne (71,4%) et 1346 en milieu urbain (28,6%). La dévolution aux départements d'une grande partie du réseau national ne permet plus de conserver la distinction entre ces deux types de réseaux.
1998 | 2000 | 2002 | 2004 | 2006 | |
Routes départementales | 4381 (51,9%) | 3 969 (51,9%) | 3738 (51,6%) | 2 775 (53%) | 2591 |
Routes nationales | 2280 (27%) | 1967 (25,7%) | 1790 (24,7%) | 1 186 (22,7%) | 870 |
Autoroutes de liaison | 341 (4%) | 318 (4,2%) | 328 (4,5%) | 180 (3,4%) | 199 |
Autoroutes de dégagement | 130 (1,5%) | 181 (2,4%) | 165 (2,3%) | 121 (2,3%) | 97 |
Voies communales | 1305 (15,5%) | 1208 (15,8%) | 1221 (16,9%) | 970 (18,5%) | 952 |
- la répartition des tués en fonction de l’âge (un quart des tués sont dans la tranche d’âge 15-24 ans, l'âge n'est pas connu dans une proportion d'accidents inférieure à 2%) :
1998 | 2000 | 2002 | 2004 | 2006 | 2008 | 2009 | |
Moins de 15 ans | 4,3% | 4,5% | 3,4% | 3,4% | 2,8% | 2,9% | 2,9% |
15-24 ans | 25,4% | 25,7% | 25,6% | 27,6% | 26,8% | 26,7% | 25,5% |
25-44 ans | 34,4% | 33% | 33,6% | 32,8% | 29,8% | 31,7% | 32% |
45-64 ans | 17,9% | 18,5% | 18,7% | 18,7% | 20,1% | 20,1% | 21% |
Plus de 64 ans | 17,8% | 16,6% | 17,5% | 17,2% | 19, 1% | 18,6% | 18,6% |
- le coût des accidents :
Plusieurs méthodes sont utilisées pour évaluer le coût global de l'insécurité routière. Les variations peuvent être importantes suivant la façon dont la vie humaine est évaluée. Dans son bilan pour l'an 2006, l'observatoire national interministériel de sécurité routière indique un coût de 1,194 million d'euros pour un tué, 125 000 euros pour un blessé hospitalisé et 5160 euros pour un blessé léger. - le parc automobile en France : Les véhicules légers sont au nombre de 30,4 millions, les utilitaires de 5,965 millions.
Les faits importants et leur évolution
La réduction de la mortalité provoquée par les accidents de la circulation a été faible au cours de la période 1997/2002. Prendre pour référence mai 1997 permet de constater l'évolution au cours d'une législature, le changement de majorité étant intervenu à cette date. L'objectif que s'était fixé le gouvernement de Lionel Jospin était une réduction de la mortalité de 50% en cinq ans. Elle a été de 2,2% de mai 1997 à mai 2002 (calcul en valeur glissante en comparant la mortalité des douze mois s'achevant en mai 2002 à celle des 12 mois précédant mai 1997). Cette situation témoigne de l’absence d’initiatives sérieuses dans ce domaine pendant cette période, comme d'ailleurs pendant les deux gouvernements précédents.
Une réduction très importante de la mortalité a été observée à partir de décembre 2002. Elle a suivi immédiatement l'annonce d'une nouvelle politique de sécurité routière lors du premier comité interministériel du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. La brutalité de cette réduction (30% d'un mois sur l'autre, se poursuivant pendant les mois suivants), avant même que l'ensemble des mesures annoncées soit effective, montre l'importance des facteurs psychologiques dans la réussite d'une politique de sécurité routière. Les succès rapides sont dus à des modifications de comportement et ces derniers sont obtenus quand les réformes annoncées sont crédibles. Après l'annonce de la suppression des "indulgences", c'est à dire du vaste trafic d'influence permettant de faire "sauter" des contraventions, l'accroissement du nombre de points perdus pour certaines infractions en mars 2003, puis la loi Perben de juin 2003 ont prolongé le succès initial jusqu'à la mise en service des premiers radars automatiques en novembre 2003, avec une faible tolérance sur les excès de vitesse (5 km/h jusqu'à 100 km/h et 5% au dessus), ce qui était une rupture complète avec la période précédente qui permettait de constater des tolérances sur les excès de vitesse allant jusqu'à 40 km/h. L'année 2006 s'est caractérisée par une stabilisation de la mortalité routière.
Au cours de la période qui a suivi l'accroissement de l'insécurité routière des mois précédant l'élection présidentielle de 2007 (cette évolution est constante depuis l'élection de 1988 et malgré l'abandon de cette pratique), la décroissance s'est poursuivie sur un rythme plus lent, aboutissant à un très bon résultat proche de 4 000 tués en 2010. Après un accroissement de la mortalité pendant les 4 premiers mois de 2011 après la dégradation de la dissuasion par le permis à points produite par la loi LOPPSI2 (possibilité de faire un stage de récupération de points tous les ans au lieu de tous les deux ans) la mortalité s'est à nouveau réduite et le bilan a été pratiquement identique à celui de l'année précédente (3963 au lieu de 3992 .
L’Europe
Le nombre des tués avoisine 31 000 pour l’Union Européenne. Les résultats sont très contrastés d’un pays à l’autre et il est parfois réducteur de comparer les résultats de l’insécurité routière dans les pays industrialisés. Même si les niveaux de vie et de motorisation sont proches, les géographies physiques et humaines sont très différentes et elles influencent les résultats, comme les particularités culturelles. Le taux le plus important pour une population est le nombre de tués par accident de la circulation rapportés à un million d’habitants. Il reflète le risque réel pour un habitant de mourir dans un accident de la route. Savoir que le risque encouru par véhicule ou par kilomètre parcouru est meilleur ou pire que le pays voisin n'a qu'un intérêt limité pour celui qui tient d'abord à sa vie. Il est à l'opposé important pour organiser des politiques de transport, évaluer la qualité d'infrastructures particulières ou le rôle de la densité de circulation dans la mortalité au kilomètre parcouru.
En Europe, les pays qui obtiennent les meilleurs résultats sont (tués par million d'habitants - année 2010) :
- La Suède : 28
- Le Royaume Uni : 31
- Les Pays Bas : 32
- La Suisse : 40,5
- L'Allemagne : 45
- le Danemark : 46
La France a considérablement amélioré sa situation au cours des cinq dernières années avec 64 tués par million d'habitants en 2010.
Les pays qui ont les plus mauvais résultats sont la Grèce (111 tués par million d'habitants), la Roumanie (111) et la Pologne (102). Cette situation n’est pas surprenante, elle est le fait de pays dans lesquels le développement de la circulation est un fait relativement récent et en évolution rapide, ce qui s’accompagne toujours d’un accroissement important de la mortalité routière. L’Espagne a connu ce phénomène et elle a su réagir rapidement avec une baisse très importante de son taux de mortalité par accident de la circulation et maintenant l'Espagne est à un niveau de risque nettement plus faible (54).