commentaires sur le wp 29 et les limiteurs de vitesse
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10 janvier 2000
La démarche en deux temps de la France auprès de l'organisme des Nations
Unies qui produit les normes intégrées ensuite aux réglementations nationales
(ou à celle de l'Union Européenne) sera lourde de conséquences pour les
décideurs. Les
responsables administratifs et politiques auront un jour à préciser qui a décidé la modification de l'amendement et pour quelles
raisons. Ce chapeau sera difficile à porter car le dépôt de ce texte a démontré la
faisabilité d'une telle mesure et son intérêt (sans cela pourquoi aurait-il été
rédigé et déposé) et il sera beaucoup plus difficile de justifier son retrait
que de défendre son maintien. Tout l'enjeu du débat des prochaines années. Les commentaires ci-dessous sont faits "dans l'état actuel de ma
connaissance du dossier", il est évident que la situation va se modifier jour
après jour et je tenterai d'en faire l'analyse au fur et à mesure de
l'apparition d'éléments nouveaux dans la presse et dans des communiqués
officiels.
Les points qui me paraissent les plus intéressants et parfois les plus
difficiles à commenter aujourd'hui sont les suivants :
- Quelle est l'acceptabilité de la thèse de "l'erreur" ?
Le dossier de l'enregistreur de vitesse est distinct de celui du limiteur de
vitesse et c'est par "erreur" que les deux ont été déposés à Genève auprès
du WP29. Il y a en fait plusieurs interprétations possibles de la notion
d'erreur.
- Le représentant de la France à Genève n'a pas fait attention au texte
qu'il déposait et par malheur sa secrétaire avait rédigé un texte
parfaitement bien construit qui associait et justifiait la limitation de
vitesse et l'enregistrement. Si cela avait été le cas, dans tous les
organismes du monde, on retire précipitamment le texte et on indique sur
le site internet qui le diffuse aux experts : "à notre grand regret, une
erreur matérielle a provoqué la publication d'un texte qui nous avait
été communiqué à tort, le texte à prendre en considération est le
suivant". Suit le nouveau texte déposé officiellement avec toutes les
signatures nécessaires.
- Le représentant de la France auprès du WP29 avait cru bien faire en
déposant le texte associant les deux mesures, rédigé par lui et ses
services, qui était en cours de discussion mais n'avait pas été validé.
Quand les réactions lui sont parvenues à la suite de la diffusion du
texte aux experts, il s'est aperçu du malentendu avec sa hiérarchie,
mais n'a pas cru bon d'indiquer au WP29 qu'il convenait de remplacer le
texte déposé par le "bon texte". Il le fait verbalement au cours de la
réunion du 13 septembre, sans déposer de nouveau texte.
- Le texte déposé était le bon aux yeux des responsables de
l'équipement, les réactions provoquées par ce texte décident les
responsables à le retirer. L'erreur était de nature décisionnelle et non
matérielle. Le changement d'attitude de la France est indiqué
verbalement lors de la réunion du 13 septembre mais, comme dans la
version précédente, la France ne dépose pas de nouveau texte.
Schématiquement il y a eu une erreur mais dans tous les cas elle n'a pas
été corrigée par le dépôt d'un nouveau texte.
- Peut-on considérer le retrait de l'article normalisant un
enregistrement de la vitesse et des actions sur le limiteur de vitesse comme
suffisant pour définir un nouveau texte conservant la limitation de la
vitesse maximale à la construction ?
Le texte lui même conserve des ambiguïtés qui empêchent d'être formel
sur ce point. Il est en effet très différent de choisir "obligatoirement"
une limitation de vitesse entre 50 et 140 km/h ou de conserver la capacité
de décider de ne pas mettre en oeuvre le limiteur de vitesse. La situation
est alors celle que nous connaissons actuellement, le dispositif n'est qu'un
simple régulateur d'allure à l'usage optionnel et l'on voit mal pourquoi il
faut le normaliser. Les constructeurs ont suffisamment d'imagination et de
savoir faire pour le réaliser sans norme. La phrase du représentant de la
France reproduite dans le compte rendu de la réunion du 13 septembre va dans
ce sens. "The expert from France explained that the proposed device
should maintain the speed selected by the driver and did not have the aim of
introducing a general speed limitation". Si la France n'a pas le but
d'introduire une limitation généralisée de la vitesse, c'est que l'usage du
limiteur de vitesse avec une obligation de sélectionner une vitesse entre 50
et 140 est abandonné.
- Quelle est la crédibilité de la possibilité d'action des victimes de
grands excès de vitesse auprès de la Cour de Justice de la République ou
devant les juridictions ordinaires ?
Ceux qui affirment que cette éventualité n'est pas à redouter ne
semblent pas avoir connaissance de l'évolution de la situation dans d'autres
domaines ministériels. Nous ne sommes pas dans le cadre du principe de
précaution (attitude à avoir vis-à-vis d'un risque hypothétique) mais dans
celui de la prévention (réduire un risque documenté avec des méthodes
efficaces). Il ne s'agit pas non plus d'un risque couru par celui qui
transgresse une règle (risque du fumeur ou du buveur "informé"). Il s'agit
du devoir de l'Etat et de ses responsables politiques de mettre en oeuvre
les méthodes qui permettent de prévenir un dommage corporel. La question est
de savoir à partir de quel moment un responsable est négligent ou imprudent
en ne faisant rien ou en utilisant des méthodes dont l'efficacité est
inférieure à celles qu'il pourrait mettre en oeuvre. Le débat se focalise
alors sur les avantages et les inconvénients de ces choix décisionnels. Il
est par exemple possible d'accepter un risque qui est indissociable d'une
situation présentant par ailleurs des avantages. Conserver un alignement
d'arbres sur une voie peut être considéré comme un avantage dans le domaine
de l'environnement, justifiant le risque d'accroissement de la mortalité en
cas de perte de contrôle. Dans le domaine de la vitesse, construire des
véhicules qui roulent à 200 km/h n'a aucune justification, cette vitesse
étant largement au delà de la limite légale la plus élevée. Dans le premier
procès du sang contaminé, le reproche fait aux ministres était de ne pas
avoir pris suffisamment tôt une mesure efficace (la réalisation d'un test de
dépistage sur les dons du sang), malgré les imperfections du test au
printemps 1985. Un autre procès est actuellement en cours d'instruction
auprès de la cour de justice de la république, il s'agit de celui de
l'ancien ministre de la santé, Claude Evin, auquel les plaignants reprochent
de n'avoir pas fait rechercher par les établissements de soins les personnes
transfusées entre 1981 et 1985, pour les inciter à faire pratiquer des tests
de dépistage (dans le but de prévenir la contamination d'autres personnes ou
de bénéficier de traitements quand ils sont apparus). Nous atteignons alors
le domaine de l'obligation d'optimisation des résultats. Un ministre
deviendrait négligent ou imprudent quand il ne prendrait pas une mesure
efficace et d'un coût acceptable. Dans le cas de Claude Evin l'évaluation du
rapport coût/efficacité de la mesure n'a pas été encore faite, sans que cela
ait retardé sa mise en examen. Que les élus ou les responsables
gouvernementaux s'inquiètent de ce contrôle judiciaire de leurs actes
potentiellement dommageables est une chose, la possibilité pour les victimes
d'y avoir recours en est une autre. C'est souvent l'incapacité de faire
prendre en compte certaines exigences qui produit le recours au judiciaire.
Il y a plus de dix ans que des consultations par sondage avaient montré que
les personnes consultées estimaient anormal que des véhicules puissent
atteindre une vitesse dépassant largement la vitesse maximale autorisée. Qui
a tenu compte de cette opinion majoritaire ?
20 janvier 2000
Le conseil d'orientation de l'observatoire de sécurité routière
vote sur un texte conseillant au gouvernement de maintenir le lien entre les
enregistreurs de vitesse (boîtes noires) et les limiteurs de vitesse.
24 mars 2000
Rapport de la commission économique pour
l'Europe des Nations Unies du 24 mars 2000
(120ème session du WP29). Le point intéressant de ce rapport est à
nouveau l'attitude de l'Allemagne s'opposant explicitement à ce que les
limiteurs de vitesse soient reconnus comme des facteurs de sécurité et
normalisés. A ce niveau de négation de l'évidence, tout commentaire est
superflu.
10 juin 2001
Le débat se poursuit devant le groupe spécialisé des Nations Unies et les
positions sont maintenant relativement claires. l'Allemagne, le Japon et l'OICA
sont clairement opposés au projet de norme concernant les limiteurs de vitesse.
Le représentant de l'Europe souhaite la poursuite de la discussion au niveau
technique alors que les opposants affirment qu'il s'agit d'une option politique.
Il est évident que l'option politique sera le choix de l'Union ou de tout autre
pays d'adopter la norme et de l'imposer aux véhicules. Le rôle du WP29 et des
Nations Unies est de produire un texte utile et de qualité et non d'intervenir
dans le choix politique. Bien entendu les opposants jouent la montre et veulent
retarder le plus possible l'adoption d'une norme qu'il sera ensuite difficile de
ne pas adopter. Il est intéressant de noter que les niveaux de prudence
sont différents suivant les intervenants, certains se contentent d'exprimer leur
opposition à une norme mais n'expliquent pas leur attitude (Japon, OICA), à
l'opposé l'Allemagne est beaucoup plus imprudente en affichant des positions
tellement dépourvues de crédibilité qu'elles apportent la preuve que la
justification de sa position n'a rien à voir avec la sécurité routière,
mais se fonde uniquement sur des intérêts économiques qu'elle ne veut bien
entendu pas mettre en avant.