les stupéfiants et la conduite

Argumentaire drogue et conduite

Outre le document reproduit ci-dessous, il est possible d'accéder à un diaporama réalisé avec powerpoint et présenté lors de la réunion organisée par l'association ITA (Institut Technique d'Accidentologie) à l'Assemblée Nationale le 15 novembre 2002,  et à un document reproduisant la table des éléments de ce diaporama et les principaux commentaires  faits oralement lors de cette présentation.

La loi adoptée par le Parlement le 23 janvier 2003 (loi du 3 février 2003) et l'ensemble de la législation et de la réglementation produite depuis 1999 sont également accessible sur le site.

Les résultats des recherches de stupéfiants dans les accidents mortels observés en France du 1er octobre 2001 au 30 septembre 2003 ont été publiées dans le British Medical Journal. Une version française de cet article est accessible au format pdf.

Plan

Principaux documents de référence

Chronologie du problème

29 juillet 1991 – Une directive (91/439) du Conseil de la CEE relative au permis de conduire précise que le permis de conduire ne doit pas être « délivré ou renouvelé à tout candidat ou conducteur en état de dépendance vis-à-vis de substances à action psychotrope ou qui sans être dépendant en abuse régulièrement ». Les dispositions ne concernent pas seulement les stupéfiants, les autres psychotropes et les médicaments sont explicitement visés dans le texte de la directive qui ne comporte aucune indication sur les méthodes à mettre en œuvre.

1993 – Décision du CISR du 17 décembre de faire rédiger un « Livre blanc sur les effets des drogues et des médicaments sur la sécurité routière » Ce rapport propose d’organiser la recherche de stupéfiants dans des accidents : (je faisais partie de ce groupe d’experts présidé par le Pr Lagier).

1996 - Proposition de loi de Richard  Dell’Agnola qui est étudiée par la commission des lois mais n’est pas examinée par le Parlement à la suite des élections législatives de 1997 qui provoquent un changement de majorité.

Loi du 18 juin 1999 – recherche de stupéfiants chez tous les conducteurs impliqués dans un accident immédiatement mortel - application à partir du 1.10.2001 avec évaluation pilotée par l’OFDT (observatoire français des drogues et toxicomanies). La loi n’institue pas de délit spécifique de « conduite sous l’emprise de stupéfiants ».

2000 - Publication par le groupe Pompidou (Conseil de l’Europe) du  analysant la situation internationale et faisant la synthèse d’une part des études épidémiologiques et d’autre part des dispositions légales adoptées par différents pays.

2001 - Expertise collective de l’INSERM sur le cannabis comportant un chapitre sur les relations avec le risque d’accident.

Loi du 15 novembre 2001 - possibilité de rechercher les stupéfiants dans tous les accidents corporels (mais sans en faire une obligation) .

Septembre 2002 - Proposition de loi visant à rendre identique le traitement du problème des stupéfiants et de l’alcool au volant. (création d’une sanction pénale spécifique de la conduite sous l’influence de stupéfiants, obligation de faire la recherche de stupéfiants chez tous les impliqués dans un accident corporel, et possibilité d’effectuer des contrôles préventifs, en dehors de toute infraction et de tout accident).

8 octobre 2002 – adoption en première lecture par l’Assemblée nationale de la proposition de loi de Richard Dell Agnola instituant un délit de conduite sous l’influence de stupéfiants, imposant la recherche chez tous les conducteurs impliqués dans un accident corporel, et rendant possible les dépistages préventifs en l’absence d’accident ou d’infraction.

19 décembre 2002 - passage du texte devant le Sénat qui va apporter une modification importante à la proposition de loi en rendant la recherche de stupéfiants facultative dans les accidents corporels, ce qui est un retour aux dispositions de la loi de sécurité quotidienne du 15 novembre 2001. La pénalisation de la conduite sous l'influence des stupéfiants est conservée, ainsi que la possibilité de faire des contrôles préventifs en l'absence d'infraction ou d'accident.

23 Janvier 2003 - le texte du Sénat est adopté sans modification par l'Assemblée, ce qui le rend définitif.

Les problèmes
Le surrisque d’accident lié à l’usage de l’alcool est l’objet d’un consensus scientifique mondial, rendu possible par la disponibilité d’une courbe précise de la relation dose-effet qui est admise comme une preuve de l’influence causale du produit sur le risque. Les choix politiques en aval de cette connaissance concernent le niveau de risque accepté. La majorité des pays européens ont fait le choix de 0,50 g/l comme seuil limite correspondant à environ deux fois le risque de provoquer un accident par rapport à des personnes ayant une alcoolémie nulle. La Grande Bretagne et l’Irlande, ont conservé un seuil de 0,80 g/l (risque relatif proche de 4), mais la Suède est au seuil de 0,20 g/l, c’est-à-dire au niveau de l’absence de risque mesurable.

Le surrisque d’accident lié à l’usage de stupéfiants ne fait pas l’objet d’un consensus de même nature pour deux raisons : les produits sont multiples et les études disponibles ne permettent pas de documenter avec facilité un surrisque dans les conditions de la circulation réelle, en se fondant sur des études accidentologiques et toxicologiques comparant un groupe d’accidentés et un groupe témoin représentatif du groupe exposé au risque. L’étendue du débat ne peut être mieux résumée qu’en reproduisant quelques lignes du texte du Conseil de l'Europe précité « Circulation routière et drogues » :

« Il ne semble pas permis d’argumenter raisonnablement en matière de circulation routière et drogue en distinguant de façon schématique, entre drogues, ou substances illicites, et licites (alcool, médicaments…). Ce n’est pas la classification qui importe mais l’utilisation faite des substances en question.

On connaît toujours insuffisamment la dimension réelle du phénomène de la drogue au volant, tout comme on manque d’éléments importants pour déterminer les effets de la consommation des substances en question sur la capacité de conduire. De grandes incertitudes existent aussi en ce qui concerne les mesures de prévention à prendre. Il est donc urgent d’élargir et d’approfondir les recherches dans ces domaines.

Deux options principales s’offrent au législateur : celle basée sur la « tolérance zéro », interdisant toute présence de substances illicites, d’une part, et celle basée sur l’altération de la capacité de conduire (« impairment approach »), d’autre part. Le choix entre ces options n’est pas de nature scientifique mais politique et se fait sur la base de considérations et d’hypothèses complexes. Il paraît utile de suivre et d’analyser attentivement les expériences faites dans les pays membres choisissant l’une ou l’autre approche ».

Comment traiter par une loi le risque routier lié à la prise de produit psycho-actifs ?

Pour faciliter le rapprochement du problème posé par les stupéfiants et l’usage détourné des médicaments de celui de l’alcool qui nous est plus familier, il convient de distinguer trois situations :

Les avantages de la solution « tolérance zéro »

Elle évite d’avoir à établir par des méthodes scientifiques un seuil de risque pour chaque produit. Elle constitue donc une simplification maximale du problème posé. Elle se fonde sur la notion indiscutable qu’une substance psycho-active peut modifier le comportement et donc altérer les capacités de conduite. La justification politique est alors l’affirmation que l'interdiction de toute consommation de produits psycho-actifs ne peut que réduire le risque routier et qu'elle s'impose donc comme la solution générale à ce type de problème, même si cette consommation ne se situe pas à un niveau où le risque est prouvé quantitativement. Cette contrainte instituant le risque zéro est évidemment plus facile à instituer quand les produits concernés sont déjà  « interdits par principe », ce qui est le cas en France pour tous les produits définis comme des "stupéfiants". Elle est très difficile à faire accepter pour des produits très largement consommés tels que l'alcool, et inapplicable pour les médicaments psycho-actifs.

Les inconvénients de la « tolérance zéro »

Comme elle ne peut concerner en pratique que l’usage de stupéfiants et non le détournement de leur usage de psycho-actifs licites tels que les médicaments. Il convient donc d’établir en complément une législation spécifique pour l’usage détourné de produits en vente libre ou sur prescription.

Quand le risque lié à l’usage isolé d’un produit n’est pas évalué avec précision à l’aide des données disponibles dans la littérature scientifique, la condamnation ne repose pas sur une preuve quantifiée mais sur la volonté du législateur. Nous nous situons alors dans un domaine où la décision est purement politique. Il s’agit d’une application du principe de précaution (face à un risque plausible, mais non documenté avec précision, il est nécessaire d’agir sans attendre des preuves indiscutables) et cette pratique dans le domaine de la sécurité routière va avoir un intérêt considérable pour ceux qui envisagent des actions pénales à l’encontre des décideurs qui n’agissent pas, alors que le risque est prouvé (risque des voitures inutilement rapides et de ce fait dangereuses). D’une certaine façon, en plaçant la barre de l’intervention publique aussi haut dans le domaine des comportements humains, le législateur va faciliter la prise en compte de risques majeurs pour la sécurité routière que les gestionnaires de ce domaine n’abordent pas pour éviter des conflits purement économiques et politiques. Il est en effet nécessaire d’agir avec cohérence dans ce domaine, comme dans tous ceux concernés par la notion d’homicide ou de blessures involontaires. Pourquoi agirait-on sur certains risques au nom du « principe de précaution » (prise de décision face à un risque incertain mais plausible), et demeurerait-on indifférent face à des risque prouvés. Par exemple pourquoi serait-il nécessaire de créer un délit de conduite sous l’influence de stupéfiants, tout en demeurant passif face à la mise en circulation de véhicules qui peuvent rouler à plus de 200 km/h ? Ces performances n’ont pas d’autre intérêt que de permettre de transgresser la réglementation sur les limites de vitesse et elles devraient donc être interdites, le surrisque d’accident provoqué par ces véhicules étant parfaitement documenté par les assureurs (livre blanc de sécurité routière de 1989 recommandant la limitation de vitesse à la construction).

Les avantages d’une législation fondée sur « la perte de compétence ».

Elle rejoint la vieille notion « d’ivresse manifeste » qui, dans le cas de l’alcool, prouvait en quelque sorte l’excès de consommation et fondait la sanction. La conduite étant un comportement relativement élaboré exigeant des compétences diverses (attention, coordination des mouvements, jugement etc.), sa perturbation peut être reconnue par un observateur expérimenté (conduite « erratique » caractérisée par des déplacements transversaux irréguliers et anormalement amples, qui traduit soit un endormissement débutant, soit une altération du comportement par un produit psycho-actif) et , notamment dans le cas où le dépistage de l’alcool se révèle négatif, provoquer d’autres dépistages de produits susceptibles d’altérer le comportement à l’aide d’une batterie de tests, voire par une prise de sang si tous les tests disponibles sont négatifs alors que le trouble du comportement est patent.

Les inconvénients d’une législation fondée sur la perte de compétence.

Les signes d’une altération de la conduite, voire d’une véritable « ivresse » peuvent ne se manifester qu’après une consommation très importante d’un produit psycho-actif , bien au delà du seuil de risque mesurable par les études épidémiologiques. Ce constat a motivé dans le cas de l’alcool le choix d’un seuil légal très en dessous de celui provoquant des signes observables. Il est évident que la « preuve par le comportement », fait que l’on peut être sous l’influence de stupéfiants ou de médicaments détournés de leur usage sans que cela soit observable cliniquement. La méthode est donc peu « sensible », elle ne permettra pas de retirer de la circulation un conducteur dont le comportement peut provoquer un surrisque d'accident.

Les avantages d’une législation fondée sur un risque documenté par les études épidémiologiques.

L’interdit légal, et surtout la sévérité de la sanction se fondent sur un surrisque documenté. Quand la loi crée un délit de conduite sous l’influence de l’alcool au delà de 0,8 g/l, elle se fonde sur la preuve d’un accroissement important du risque d’être impliqué dans un accident de la route à un tel niveau. En outre, dans le cas de l’alcool :

- la méthode est facile à mettre en œuvre du fait de la disponibilité d’appareils de dépistage dans l’air expiré (éthylotests) et d’appareils de mesure (éthylomètres) produisant une preuve utilisable par les tribunaux,

- la relation entre le risque d’être impliqué dans un accident, et la concentration de l’alcool dans le sang ou dans l’air expiré, est bien établie.

Les inconvénients d’une législation fondée sur un risque documenté par les études épidémiologiques.

La notion de risque documenté est de nature probabiliste, même si un conducteur conduit avec 2 g/l d’alcoolémie ce qui produit une multiplication du risque d’accident par un facteur proche de 100, il peut parfaitement être impliqué dans un accident provoqué par un autre conducteur ayant perdu le contrôle de sa voiture. La probabilité est évidemment faible mais elle existe, et ce sont les circonstances de l’accident qui vont permettre au juge d’adapter la sanction en fonction du contexte accidentologique. Quand un seuil légal est très bas comme en Suède pour l’alcool, la proportion de conducteurs sanctionnés sans que la perturbation de leur comportement soit en cause est plus élevée, le choix se rapproche même du concept de risque zéro pour des conducteurs qui ont une alcoolémie proche du seuil de 0,20 g/l retenu dans ce pays.

Le problème le plus difficile est posé par les produits consommés fréquemment et pour lequel le risque est mal quantifié par les études épidémiologiques. C’est à l’évidence la situation à laquelle nous sommes confrontés avec le cannabis quand il est utilisé seul. L’expertise collective de l’INSERM avait conclu à un risque encore insuffisamment documenté, les surrisques observés étant nuls ou faibles quand le produit est utilisé seul, dans des conditions de consommation et de circulation réelles. Il faut en effet toujours se référer à la réalité observée. Suivant la quantité de produit actif consommé, l’usage du cannabis va produire une perturbation du comportement très variable, allant jusqu’à une ivresse à l’évidence très dangereuse pour la conduite. Nous sommes dans une situation qui est, par certains de ses aspects, comparable à celle de l’alcool, un verre de vin et dix verres ne provoquent pas les mêmes effets. Des résultats variant entre l’absence de surrisque et un surrisque de 2,5 placent dans une situation proche du risque relatif admis généralement pour l’alcool au seuil légal de 0.5 g/l (plusieurs pays européens ont encore un seuil légal de 0,8 g/l). Il est difficile d’affirmer que le surrisque alcool est acceptable au niveau 2 à 4 pour l’alcool en Europe (sauf pour la Suède) et qu’un surrisque entre 0 et 2,5 est inacceptable pour le cannabis et justifie la création d’un délit. Si dans les conditions de l’usage du cannabis en France le surrisque n’est pas établi par des études épidémiologiques concordantes, nous avons indiqué que la décision d’établir une sanction indique le choix du « risque nul » et relève du principe de « tolérance zéro »et implique qu’une proportion importante des conducteurs sanctionnés ne se situaient pas dans la « fraction d’accidents attribuables » à la consommation du produit concerné.

Les aspects pratiques et économiques de la recherche de produits psycho-actifs dans les accidents de la route.

La loi du 18 juin 1999 a institué la recherche de stupéfiants dans les accidents mortels à partir du 1er octobre 2001, celle du 15 novembre 2001 a étendu la possibilité de recherche aux autres accidents corporels (sans en faire une obligation). La proposition de loi de M. Dell’Agnola, sous sa forme initiale adoptée en première lecture pas l’Assemblée étendait l’obligation de recherche de stupéfiants à tous les conducteurs impliqués dans un accident corporel, et la rendait possible à titre préventif en dehors de toute infraction et accident, comme l’avait fait la loi de 1978, modifiée en 1990, pour l’alcool. Actuellement environ 6 millions de tests sont effectués pour l’alcool dans ce cadre législatif. Ces pratiques ont déjà provoqué un accroissement important du travail des policiers et des gendarmes alors que les conditions de la pratique des tests de dépistage est facilitée par leur autonomie totale dans le contexte de contrôles préventifs. Ils n’ont pas besoin de se rendre auprès d’un médecin ou à l’hôpital pour faire un éthylotest ni pour faire une mesure du taux d’alcoolémie avec un éthylomètre, ce dernier étant disponible dans une brigade de gendarmerie ou dans un commissariat de police et pouvant même maintenant être embarqué dans un véhicule. Pour les stupéfiants, la situation réglementaire actuelle est bien différente, en cas d’accident, il faut mobiliser, en plus des intervenants habituels sur les lieux de l’accident, un véhicule avec son chauffeur et au minimum un autre fonctionnaire pour conduire tous les impliqués vers l’hôpital le plus proche ou dans un cabinet médical. Il faut ensuite établir les réquisitions, attendre le résultat des tests urinaires, éventuellement faire les prises de sang en cas de test positif ou d’impossibilité d’uriner, puis ensuite ramener tout le monde sur les lieux de l’accident. En pratique cela double les effectifs de policiers ou de gendarmes intervenant lors d’un accident dans lequel les conducteurs impliqués sont l’objet d’une telle recherche. Pour les recherches préventives, il est évidemment impossible d’avoir une pratique systématique sur un groupe d’usagers passant à un point donné comme pour l’alcool, il s’agira d’usagers « sélectionnés », bien que cela n'ait pas été précisé dans la proposition de loi et le coût est bien entendu proportionnel au nombre d’usagers dépistés. Si l’on souhaite que la mesure soit dissuasive, les contrôles devront être nombreux et le coût sera en rapport avec le niveau de la dissuasion souhaité.

Comment accorder une volonté politique d’agir dans ce domaine à la rationalité dans l’usage des moyens publics et la conservation d’un minimum de cohérence dans l’usage de la « dissuasion judiciaire ».

Il est fréquent de vouloir compenser une lenteur à agir à une certaine période par une précipitation non fondée dix ans plus tard. Je suis persuadé que les recommandations de la commission qui a été réunie en 1993 pour analyser le risque routier lié à l’usage de stupéfiants et d’autres produits psycho-actifs et proposer la création d’une législation spécifique étaient fondées et raisonnables, et qu’elles ont encore dix ans plus tard les mêmes qualités.

La loi de 1999, appliquée en octobre 2001, a eu le mérite d’entamer le processus de recherche de stupéfiants dans les accidents, elle a prévu une étude épidémiologique des résultats pour aider le législateur à faire évoluer les dispositions législatives et cela me paraît indispensable. Elle a été limitée aux accidents mortels. La loi du 15 novembre 2001 a permis d’étendre cette recherche à tous les accidents corporels, sans fixer de critères pour cette recherche. La proposition de loi de M. Dell’Agnola visait à étendre la possibilité de recherche en dehors de tout accident ou infraction. Sa formulation a posé trois problèmes très différents concernant :

Le Gouvernement a été rapidement alerté sur ces difficultés et, lors du débat devant l'Assemblée Nationale le 8 octobre, le ministre de la Justice M.Perben a indiqué son souci de faire évoluer le texte au cours de son trajet parlementaire, notamment dans la phrase : « Vous prévoyez enfin des contrôles aléatoires qui ne donneront lieu à des épreuves de dépistage qu'en présence de raisons plausibles laissant penser que le conducteur a fait usage de stupéfiants. Je me demande si cette condition ne devrait pas être retenue aussi pour les accidents corporels : le dépistage resterait alors facultatif, seules des raisons plausibles de soupçonner le conducteur le rendant obligatoire. Cette question pourra être approfondie au cours de la navette. En l'état, le texte me paraît en effet pouvoir être adopté par l'Assemblée. »

C'est la solution proposée par le Garde des Sceaux qui a été retenue par le Sénat lors de l'étude du texte le 19 décembre 2002 et l'Assemblé Nationale lors de l'examen du texte en seconde lecture le 23 janvier 2003 n'a pas modifié les dispositions adoptées par le Sénat qui sont donc devenues définitives.  Les dispositions les plus importantes sont reproduites ci-dessous (le texte de la loi est reproduit intégralement dans la page du site : loi du 3 février 2003).

« Art. L. 235‑2. ‑ Les officiers ou agents de police judiciaire font procéder, sur le conducteur ou l'accompagnateur de l'élève conducteur impliqué dans un accident mortel de la circulation, à des épreuves de dépistage en vue d'établir si cette personne conduisait en ayant fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants. Il en est de même si la personne est impliquée dans un accident de la circulation ayant occasionné un dommage corporel, lorsqu'il existe à son encontre une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a fait usage de stupéfiants.

« Les officiers ou agents de police judiciaire peuvent également faire procéder à ces mêmes épreuves sur tout conducteur ou tout accompagnateur d'élève conducteur, soit qui est impliqué dans un accident quelconque de la circulation, soit qui est l'auteur présumé de l'une des infractions au présent code punies de la peine de suspension du permis de conduire, ou relatives à la vitesse des véhicules ou au port de la ceinture de sécurité ou du casque, soit à l'encontre duquel il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'il a fait usage de stupéfiants.

Ces dispositions législatives ne constituent qu'une étape dans un processus très évolutif du fait du développement des connaissances sur les risques routiers liés à l'usage de ces produits, mais aussi de l'évolution des tests de dépistage de leur usage. Même si les tests pratiqués sur la sueur, la salive ou les larmes sont été longtemps moins sensibles et spécifiques que les analyses sanguines, il est évident que pour des raisons pratiques c'est l'amélioration de la qualité de ces tests réalisables au bord de la route par les policiers et les gendarmes qui permettra une mise en oeuvre réelle de la dissuasion de la conduite sous l'influence des stupéfiants. Tant qu'il faudra avoir systématiquement recours aux médecins, c'est à dire imposer aux policiers, aux gendarmes et aux impliqués des déplacements longs et des attentes également longues (les urgences hospitalières sont dans un état de fonctionnement à la limite de la rupture dans de nombreux établissements), la recherche de stupéfiants  ne pourra être appliquée que dans un nombre limité de cas, en pratique les accidents mortels et les situations dans lesquelles un usager a un comportement manifestement anormal alors que l'éthylotest est négatif. C'est cette solution qui a été retenue par le législateur en 2003 et elle était la seule raisonnable.

Depuis la publication de la loi de 2003, le ministère de l'intérieur a annoncé périodiquement l'usage de tests salivaires pour dépister le produit actif du cannabis. Il y avait une ambiguïté profonde dans la présentation de cet usage car les communiqués parlaient d'expérimentation ou simplement de tests mis à la disposition des unités de police et de gendarmerie, sans que l'arrêté définissant réglementairement les tests utilisables ait été modifié. Si l'on fait une expérimentation il faut publier la méthode et les résultats, notamment présenter les résultats comparativement à ceux des tests urinaires définis par la réglementation. Cela n'est possible que si l'on fait simultanément un test salivaire et un test urinaire. Si l'expérimentation se limite aux tests salivaires suivis d'une prise de sang qui confirme ou infirme la présence de dérivés du cannabis, elle ne peut que préciser la proportion de cas où les résultats sont concordants (notion de spécificité, si le test est très spécifique, la prise de sang confirme sa positivité dans la très grande majorité des cas, c'est à dire que les "faux positifs" sont rares). En l'absence de comparaison avec un test urinaire, il est impossible de savoir combien de tests ont été positifs avec les urines et négatifs avec le test salivaire (notion de sensibilité, quand le test est très sensible, il y a peu de "faux négatifs", s'il est peu sensible de nombreux consommateurs seront déclarés négatifs).

Ces notions ne sont pas d'importance secondaire. Si le dépistage du cannabis est peu sensible avec les tests salivaires, un grand nombre de consommateurs de cannabis propageront la notion que les tests ne sont pas "dangereux" et qu'il est possible de conduire après avoir fumé sans risquer la prison. L'égalité face à la loi disparaît si les méthodes de test qui provoquent  la réalisation de la prise de sang et la sanction judiciaire en aval n'ont pas les mêmes aptitudes à dépister l'usage. Avec un test urinaire l'usager consommateur pouvait être positif alors qu'il ne l'était pas avec le test salivaire. Cette phase d'incertitude est maintenant terminée, tout au moins au niveau des textes réglementaires, l'arrêté homologuant les tests salivaire est paru (arrêté du 24 juillet 2008). Il sera intéressant de comparer dans les mois à venir la sensibilité des tests salivaires pour le cannabis par rapport aux tests urinaires homologués depuis 2001.