mars 2007

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Le moment du bilan et des choix, une route pacifiée par le retour à l'efficacité du système de contrôle et de sanctions ou un monde soviétique qui étouffe les libertés décrit par Airy Routier dans
"La France sans permis" ?

Les choix rationnels d'une société pour réduire le malheur humain lié à la maladie, la mort, le handicap, ne sont ni faciles à faire, ni indolores. Le comportement humain étant souvent à l'origine de ce malheur, les décideurs légitimes l'administration et tout ce que l'on regroupe sous le terme d'Etat vont agir pour modifier la situation et réduire le risque. Ils utiliseront l'information, l'éducation et l'associeront à des mesures contraignantes et éventuellement à des sanctions dans le cadre de lois et de règlements. Une société qui fonctionnerait bien sans ces contraintes, en obtenant le comportement voulu par la seule conviction n'existe pas. Dans tous les pays, un code pénal, un code de la route sont des instruments permettant d'organiser le respect des règles par la contrainte. Il s'agit d'une liste d'interdits et de sanctions destinées à dissuader et c'est le respect de ces règles qui assure une liberté fondamentale, celle de pouvoir continuer à vivre dans le meilleur état possible.

Le 7 mars les "Rencontres nationales de sécurité routière" se sont tenues au CNIT de la Défense. 900 personnes ont participé à cette réunion, cette affluence témoignant du changement de statut du problème de la sécurité routière depuis les initiatives présidentielles et gouvernementales de 2002. Dans un discours argumenté, humain et convaincant, le Premier ministre a bien exprimé le succès d'une société et non d'une fraction d'entre elle dans ces résultats. Il a également su dire que cette réduction de plus de 40% de la mortalité routière en 5 ans ne sera pas poursuivie sans un effort permanent. L'objectif est maintenant connu, le combat pour le port de la ceinture est achevé dans les esprits et en voie d'achèvement sur le terrain, celui pour la conduite en dehors d'une imprégnation alcoolique faible est achevé dans les esprits de la majorité des usagers, il y a encore à faire sur le terrain. Le troisième combat majeur est celui concernant la vitesse. Cela a été dit à plusieurs reprises, il faut la ringardiser.

A un moment important de notre vie collective, précédant l'élection présidentielle du 22 avril, de multiples initiatives tentent de modifier les choix publics en obtenant des engagements des candidats. Le groupe de cinq médecins qui ont été à l'origine de la loi Evin votée par le Parlement en 1991 organisant la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme a posé 16 questions et elles sont consultables sur le site www.securite-sanitaire.org . Les réponses et nos commentaires seront sur le site à partir du 20 mars prochain, quand nous connaîtrons les candidats qui pourront participer à l'élection. Plusieurs questions exprimées sous forme de propositions concernent directement ou indirectement la sécurité routière, il s'agit :

Parallèlement à nos initiatives "sécuritaires" d'autres personnes ou organismes tentent de réduire la contrainte exercée sur le groupe par des dispositions législatives ou réglementaires et ce comportement est normal. Certains d'entre eux le font avec des méthodes qui sont le reflet de leur personnalité et ce n'est pas surprenant, on fait avec ce que  l'on est et ce que l'on a. Le livre d'Airy Routier "La France sans permis" est dans ce domaine un document intéressant et il ne faut pas le mépriser du fait de ses dérives diverses. Il faut à l'opposé l'analyser, le comprendre et éventuellement en tirer bénéfice. J'ai écrit en 2005 un livre "Comment tuer l'Etat - Précis de malfaçons et de malfaisances" (éditions Bayard) pour tenter de mieux comprendre et de présenter les mécanismes de l'erreur décisionnelle. Il faut appliquer parallèlement ce type d'analyse aux actes qui visent à provoquer des modifications décisionnelles et ce livre est une occasion exceptionnelle d'accomplir ce travail dans un domaine particulier de la sécurité routière : le système de contrôle et de sanction et notamment le dispositif du permis à points.

Une des questions posée concernait l'engagement de ne pas amnistier les fautes de conduite après l'élection présidentielle. Les engagements pris par les principaux candidats sur ce sujet sont maintenant connus et l'on peut espérer que la légère remontée de la mortalité sur les routes en décembre, janvier, février ne se poursuivra pas dans les mois à venir. Je produis ci dessous un graphique illustrant cette évolution de la mortalité sur les routes pendant la période précédant les élections présidentielles. Une analyse statistique "simple mais robuste" met en évidence le faible risque encouru en affirmant qu'il y a un lien statistique très fort entre la détérioration de la mortalité par rapport au mois correspondant de l'année précédente et le fait que ce mois se situe dans une période précédant le mois de l'élection présidentielle (moins d'une chance sur mille de se tromper).

evol mortalité amnistie
(note ajoutée le 7 avril : le graphique ci-dessus incorpore les 12 tués de plus par rapport à février 2006 (265 au lieu de 277) ainsi que les résultats de mars (308 tués au lieu de 315) mais je n'ai pas jugé utile d'actualiser l'étude statistique ci-dessous, ajouter ces 2 mois supplémentaires ne modifierait pas les résultats obtenus. il est cependant intéressant de constater que depuis le 7 février aucun espoir d'amnistie ne subsiste plus, émanant d'un des trois candidats dont l'un sera élu président de la République, et que dès le mois suivant les résultats sont à nouveau favorable. Il faut cependant attendre d'avoir l'évolution des mois suivants et surtout les orientations prises par le gouvernement qui sera mis en place après les élections législatives pour pouvoir faire un pronostic sur l'année en cours).

Le graphique ci-dessus exprime l’évolution de la mortalité sur les routes pendant l’année qui précède l’élection présidentielle et l’année de cette élection. Les valeurs sont exprimées en plus ou en moins par rapport au mois équivalent de l’année précédente. Il s’agit des valeurs brutes, sans correction de la saisonnalité ni de l’effet météo.

Il illustre le bilan des gains et des pertes en vies humaines pour les périodes considérées. En se limitant aux quatre premiers mois de l’année de l’élection (seul janvier 2007 peut alors être pris en compte), nous constatons qu’il n’y a que trois mois qui ont permis de constater une légère amélioration (- 4 tués en janvier 2002, -2 en février 1994 et – 4 en avril 2002). Les 9 autres mois indiquent une dégradation avec un excédent de 773 tués, principalement produit par la très forte surmortalité du début 1988. Le bilan de ces périodes est donc un excédent de 762 tués. Ce constat est purement descriptif, il ne permet pas d’attribuer ces 762 tués à l’amnistie, avec un risque d’erreur calculé. Il permet par contre de constater visuellement que l’amélioration régulière de la sécurité routière, qui est une tendance forte depuis l’été 1973 se traduit bien par un grand nombre de « barres » au dessous de l’axe zéro marquant les progrès par rapport à l’année précédente, sauf pendant la période qui précède l’amnistie où ces barres sont au dessus de l’axe zéro, marquant une dégradation.

L’intérêt de ce graphique est de permettre d’observer non seulement la période limitée de quelques mois précédant l’amnistie « espérée et annoncée », mais la période plus longue dont le début correspond au premier article de presse largement diffusé annonçant l’amnistie et tentant de prévoir son étendue. Le début de cette période a varié en 1987, 1994 et 2001 (elle commence avant l’année de l’élection) et il n’y a pas eu un tel phénomène d’annonce en 2006, nous y reviendrons.

Les méthodes statistiques destinées à apprécier l’évolution d’une situation dans le temps sont très variées et il faut avoir à l’esprit leurs objectifs et leurs limites. Nous pouvons distinguer :

L’existence des méthodes complexes particulièrement utiles pour faire des prédictions et mieux comprendre un système et ses déterminants ne doit pas faire oublier que les méthodes les plus « rustiques » sont utilisables et permettent de conclure dans de nombreux cas. Les méthodes d’analyse les plus simples ne visent pas à quantifier la variation attribuable à un facteur d’influence, mais dans un premier temps à reconnaître le caractère significatif de la variation observée.

Une des difficultés de l’analyse consiste à définir la période pendant laquelle le facteur évalué a pu exercer un effet. Si un producteur de lessive fait une publicité pendant six mois pour ses produits et suit les ventes pendant cette période et après l’interruption des messages publicitaires, l’analyse des résultats va lui permettre de savoir s’il y a eu un accroissement significatif des ventes et des techniques plus élaborées vont estimer la fraction de cet accroissement attribuable à la publicité pendant la période concernée (et éventuellement après la fin ce cette dernière), affectée d’un risque d’erreur comme toute évaluation de nature probabiliste. La conclusion sera du type : « il y a eu un accroissement significatif des ventes pendant la période où cette publicité a été faite, elle a été de 20% ». La méthode permet d’indiquer l’intervalle de confiance de cette conclusion.

Dans le cas de l’anticipation possible de l’amnistie, nous écartons les effets possibles de la première élection présidentielle au suffrage universel (1965), personne ne pouvait prévoir qu’elle serait suivie d’une amnistie, il faut également écarter les élections de 1969 et 1974 qui n’étaient pas prévues (démission de de Gaulle et décès de Georges Pompidou) et celle de 1981, qui était à la date prévue, mais qui n’avait pas provoqué dans les mois précédant l’élection la publication d’articles « indiquant » cette perspective de pardon des fautes à venir (cela a été vérifié en reprenant les collections des deux principales revues automobiles de cette période). Nous retenons les quatre dernières élections avec pour les trois premières un repère de début d’intervention qui est précis. Il s’agit de la première publication dans la presse automobile spécialisée d’un article de plusieurs pages, annonçant l’amnistie à venir, expliquant dans le détail ce que l’on peut en attendre (avec parfois des erreurs de prévision majeures, cela a été le cas en 2001/2002) et comment s’y prendre pour jouer la montre et atteindre le moment où l’amnistie sera effective sans avoir payé ses arriérés de contraventions. Le repère de fin de la période peut être discuté ; le texte de la loi retient habituellement la date de prise de fonction du président élu, mais on peut se poser la question de la connaissance par les usagers de cette référence. Ils lisent à nouveau des commentaires sur la loi d’amnistie en juillet, voire en août, quand le Parlement adopte la loi. Il est intéressant de faire les comparaisons en prenant ces deux repères et en observant si les résultats obtenus sont identiques ou différents avec une fin de période en mai ou en juillet.

La situation est un peu différente pour l’élection de 2007 puisqu’il n’y a pas eu au cours des 10 premiers mois de 2006 d’articles identiques à ceux de 1987,1994 et 2001, susceptibles de rassurer les usagers sur les risques de sanctions liés à leurs écarts à la règle. Nous pouvons tout au plus retenir que parmi les deux candidats retenus comme les adversaires vraisemblables du second tour, l’un Nicolas Sarkozy a affirmé précocement son opposition à toute amnistie, alors que Ségolène Royal dont on attendait la décision en novembre 2006, après son investiture par son parti, ne s’est pas prononcée à la date qu’elle avait indiquée et a donné un « mauvais signal » le 12 novembre 2006 en laissant entendre qu’il fallait discuter les modalités du permis à points à la suite d’une question sur la sévérité alléguée des sanctions concernant les faibles excès de vitesse. L’espoir d’une réglementation moins sévère et d’une amnistie a pu alors renaître, renforcé par son refus de prendre position quand la question lui a été posée à nouveau explicitement (Auto-Plus du 9 janvier 2007 et Nouvelle République du centre ouest du 14 janvier).

Nous utiliserons la série chronologique mensuelle des tués sur les routes depuis l’été 1973 qui a marqué la première rupture dans l’évolution de l’accidentalité (port obligatoire de la ceinture et limitations de vitesse en juillet 1973), soit une période de 33 ans et 7 mois (403 mois). Les mois « d’espoir plausible de pardon » avec les repères indiqués ci-dessus sont au nombre de 30 si l’on retient mai comme la fin de la période (6 + 8 + 14 + 2) et de 36 si l’on retient juillet (bien entendu pour l’élection qui se prépare le repère provisoire de fin de période est janvier 2007 et seuls les mois de décembre et de janvier sont retenus dans le total, l’espoir étant apparu « crédible » en novembre 2006). Nous pouvons donc comparer les mois « hors espoir plausible et signalé d’une amnistie » aux mois avec cet espoir. Les premiers sont au nombre de 403 – 30 = 373 ou de 367  avec juillet comme date butoir.

Nous pouvons alors construire le tableau à deux lignes et deux colonnes suivant fondé sur la comparaison entre la mortalité routière d’un mois donné et celle du mois correspondant de l’année précédente :

  Mois avec espoir d’amnistie Mois sans espoir d’amnistie total
Mortalité accrue 22 119 141
Mortalité réduite 8 254 262
total 30 373 403

Et en prenant comme référence de fin de période le mois de juillet inclus, soit six mois supplémentaires pour les amnisties de 1988, 1995 et 2002.

  Mois avec espoir d’amnistie Mois sans espoir d’amnistie total
Mortalité accrue 26 115 141
Mortalité réduite 10 252 262
total 36 367 403

Ces tableaux correspondent à une période de 33 ans et demi qui a connu une diminution importante de la mortalité (de 17 000  à  5 000 tués) cette diminution s’est faite irrégulièrement d’un mois sur l’autre, à la fois du fait du hasard (variations aléatoires) mais également du fait des multiples autres facteurs déterminant le système (circulation, effets de calendrier, effets de la météo, décisions politiques, crédibilité des contrôles et des sanctions, évolution de l’infrastructure, du port de la ceinture, des véhicules etc). Dans l’ensemble et pour la période hors espoir d’une amnistie, nous avons observé 252 mois de baisse de la mortalité par rapport au mois correspondant de l’année précédente et 115 mois de hausse de la mortalité (2.2 fois plus de mois de réduction que de mois de hausse), alors que pendant les périodes d’espoir d’amnistie, le rapport s’inversait avec 26 mois de mortalité accrue et 10 mois de réduction (2,6 fois plus de mois de hausse que de baisse). Autrement dit il y a plus de cinq fois plus de risque d’avoir une croissance de la mortalité dans les mois qui précèdent l’amnistie que dans les mois se situant en dehors de cette période.

Un test statistique simple peut être appliqué à ce tableau à deux lignes et deux colonnes pour évaluer le risque d’erreur auquel on s’expose en affirmant que, pendant les périodes qui ont été définies, le risque que les différences observées soient liées au hasard est inférieur à une certaine valeur, il s’agit du test du chi2. Il s’obtient par le calcul suivant :

Pour le premier tableau (les valeurs entre parenthèses sont les valeurs calculées si la proportion était inchangée sur l’ensemble de la période, soit 141 accroissements de la mortalité et 262 réductions ou stabilité (un seul mois était identique au mois de l’année précédente) :

  Mois avec espoir d’amnistie Mois sans espoir d’amnistie total
Mortalité accrue 22 (10.50) 119 (130.50) 141
Mortalité réduite 8 (19.50) 254 (242.50) 262
total 30 373 403

La différence entre les valeurs observées et les valeurs calculées est de 11.5 pour chaque case.

chi2 =  (11.52 /10.5) + (11.52 /19.5) + (11.52 /130.50) + (11.52 /242.50) =  12.6 + 6.78 + 1.01 + 0.55 = 20.93

Cette valeur de 20.93 représente moins d’une chance sur mille de se tromper en affirmant que les différences de variations de la mortalité entre les groupes de mois retenus ne sont pas liées au hasard (l’étude de Régis Bourbonnais et de Thierry Granger portant sur l’amnistie de 1988 et celle de 1995 avec des méthodes d’analyse de séries chronologiques plus élaborées concluait avec un risque d’erreur inférieur à 4.5 pour 1000). Le résultat n’aurait pas été très différent en prenant comme référence de la période concernée 1980/2006 au lieu de 1973/2006, la proportion de mois de hausse et de mois de baisse de la mortalité ayant peu varié sur ces périodes longues.

  Mois avec espoir d’amnistie Mois sans espoir d’amnistie total
Mortalité accrue 26 (12.60) 115 (128.40) 141
Mortalité réduite 10 (23.40) 252 (238.60) 262
total 36 367 403

chi2 = 14.25 + 7.67 + 1.4 + 0.75 = 24.07 ce qui accroît encore la signification de la différence observée.