Le bilan de mai 2011 ne donne aucune garantie pour l'avenir proche
Après quatre mois de hausse de la mortalité, la tendance s'inverse et le bilan de mai 2011 est de 317 tués sur les routes (-3,7 %). Depuis le début de l'année, le nombre total de tués à été de 1584, soit une croissance de +125 tués (+8,6 %). Les cinq premiers mois de l'année représentant 36,5 % de la mortalité annuelle, la poursuite jusqu'en décembre de la tendance actuelle aboutirait à une mortalité de 4340 tués (ce mode d'expression des résultats a l'avantage de ne pas être influencé par la comparaison avec l'année précédente).
Les éléments importants
- le mois de mai 2011 avait des caractéristiques calendaires exceptionnelles (pas de pont pour le 1er et le 8 mai, pas de pont de l'Ascension),
- les annonces du CISR du 11 mai (interdiction des avertisseurs de radars et suppression des panneaux de signalisation des radars fixes) ont été affaiblies par une gestion calamiteuse des conditions d'application de ces mesures,
- la communication publique sur la sécurité routière demeure incapable d'utiliser un discours évitant les mythes simplistes et inadaptés. Le débat sur la LOPPSI2 a été pourri par la désinformation sur les causes de la conduite sans permis et l'absence de risque lié aux faibles excès de vitesse. Le débat sur les décisions du 11 mai concernant les avertisseurs de radars est reparti sur une notion dépassée, celle de "zone dangereuse". Son usage dans le débat sur la suppression des avertisseurs de radars montre qu'elle est devenue un instrument symbolique pour la négociation avec le lobby parlementaire et industriel qui veut maintenir les avertisseurs de radars en les habillant d'une caractéristique valorisante - signalement d'une zone dangereuse - ce qui est plus valorisant que : dispositif permettant de ne respecter les limites de vitesse que sur un kilométrage limité du réseau routier et à certains moments.
Le détail
Nous pouvons faire la liste des facteurs qui ont déterminé le résultat, mais il est actuellement impossible de pondérer leur influence, certains d'entre eux étant trop "atypiques" ou mal connus pour permettre de les rattacher à un modèle quantifié ((nous ne connaissons pas l'évolution jour par jour de l'accidentalité du mois de mai qui permettrait de comparer la période du 11 au 24 mai et les 7 jours suivant les annonces contradictoires ou ambiguës du 24 mai). Il est cependant possible d'en établir la liste en distinguant le "connu" de "l'inconnu" :
- le calendrier 2011 était favorable. La comparaison entre le même mois de deux années successives impose l'analyse des caractéristiques de ces deux mois. Le 1er mai et le 8 mai 2010 étaient des samedis (donc sans pont du 1er et du 6 mai), ce qui était favorable, mais l'Ascension était le 13 mai, donc le pont de l'Ascension était en mai et non en juin comme cette année. Autre élément défavorable pour 2010, il y avait cinq week-ends totalement inclus dans le mois de mai, alors qu'en 2011 le samedi 30 avril mettait une partie de la surmortalité du premier week-end sur le mois d'avril (la nuit du vendredi au samedi et du samedi au dimanche sont les plus dangereuses de la semaine).
- le temps a été chaud et sec, les deux facteurs sont défavorables car ils accroissent la circulation, notamment celle des motocyclistes. C'est cette influence de la saisonnalité de la circulation des motos qui a conduit l'Observatoire National Interministériel de Sécurité Routière à remettre en chantier son modèle de traitement des données provisoires (modèle Giboulée) en collaboration avec l'IFSTTAR (Institut Français des Sciences et des Technologies des Transports, de l'Aménagement et des Réseaux). Il va falloir s'habituer à ce nouveau sigle qui résulte de la fusion depuis le 1er janvier 2011 de l'INRETS et du LCPC. La disparition du mot SECURITE a un sens, il exprime le désintérêt de l'ex ministère de l'équipement pour la sécurité routière. Il est tellement plus valorisant de tenir des discours creux sur le développement durable !
- le prix du pétrole était à 115 $ le baril le 29 avril et il est
descendu assez brutalement à 97 $ le 6 mai. Il oscille aux environs
de 100 $ depuis. La baisse du prix à la pompe est toujours
légèrement différée, mais l'effet d'annonce était présent dès le
début du mois de mai.
L'inconnu ou plutôt le "non quantifiable" est la perception par les usagers du débat politique sur la sécurité routière :
- Annonces de décisions nouvelles à l'issue d'un Comité Interministériel de Sécurité Routière (CISR) qui s'est tenu le 11 mai. Deux mesures ont réanimé le conflit entre le Gouvernement et une partie de sa majorité, il s'agit de l'interdiction des avertisseurs de radars qui permettaient d'être prévenu de la présence de contrôles mobiles de la vitesse par des gendarmes et des policiers et de la suppression des panneaux placés avant les radars automatiques fixes.
- Les réactions de la fraction de l'UMP qui s'était déjà
manifestée lors du vote de la LOPPSI 2 pour obtenir
l'affaiblissement du permis à points ont provoqué des déclarations
contradictoires puis imprécises.
- la suppression des panneaux est différée dans l'attente de réunions au niveau départemental pour définir des "zones dangereuses". L'annonce a été faite le 24 mai par le ministre de l'intérieur, Claude Guéant, qui a indiqué au journal de 20 heures de FR2 que : " Il a été décidé que les spécialistes de la sécurité routière au plan départemental se réuniraient pour déterminer les points sur lesquels les radars pédagogiques seraient installés et effectivement cela demande quelques jours, quelques jours seulement. Nous sommes le 11 juin, les panneaux sont toujours en place et nous ne connaissons pas le calendrier de leur suppression. J'ai analysé cette annonce dans la page 24 mai 2011
- négociations avec le collectif des entreprises qui commercialisent des appareils et des applications assurant l'avertissement de la présence de radars (Association Française des Fournisseurs et utilisateurs de Technologies d'Aide à la Conduite -AFFTAC). Un communiqué du ministre de l'intérieur à commenté la nature de cette négociation et j'ai analysé ce communiqué dans la page : 27 mai 2011 - le communiqué de l'intérieur.
Il est impossible actuellement de mesurer les effets contradictoires d'une annonce "sécuritaire", suivie deux semaines plus tard d'annonces qui créent la confusion. Si les mots et les phrases utilisées dans le communiqué du 27 mai du ministère de l'intérieur ont un sens, il sera impossible pour les membres de l'AFFTAC de continuer à signaler les contrôles mobiles et c'est l'enjeu majeur de la décision du CISR du 11 mai dernier. Le signalement de "zones dangereuses" ne peut être qu'un signalement permanent et non le signalement du danger produit par la présence d'un contrôle mobile qui va faire perdre des points à l'usager en excès de vitesse !
Tout va donc dépendre du calendrier de l'application des décisions du CISR et de leur interprétation. Les usagers pouvaient croire le soir du 11 mai que les effets d'affaiblissement du permis à points par la LOPPSI2 étaient effacés et qu'il était nécessaire d'être à nouveau plus attentif aux règles limitant la vitesse. A partir du 24 mai, ils pouvaient comprendre que l'application de ces décisions était différée dans le temps et que leur signification ne correspondait pas à ce qui avait été annoncé. Si ce constat et cette interprétation se confirment, l'accidentalité peut croître à nouveau en juin et au cours de l'été. Si des annonces précises sur le calendrier de l'application et la suppression de l'avertissement des radars mobiles sont faites, les bons résultats de mai peuvent se prolonger.
Ceux qui n'imaginent pas la réactivité des usagers à un effet d'annonce n'ont rien compris à la puissance de la médiatisation de certaines informations. L'annonce du risque potentiel des concombres espagnols a réduit dans des proportions très importantes la vente de plusieurs catégories de légumes frais en Europe, de façon totalement irrationnelle, sans tenir compte de leurs lieux de production. Dans le domaine de la sécurité routière, nous savons qu'un effet d'annonce recherché pour lui même, sans accompagnement concret est dépourvu d'effet. Le meilleur exemple est le premier CISR du Gouvernement Jospin en 1997 qui fixait un objectif de réduction de 50% de la mortalité en 5 ans, sans mesure capable de rendre crédible cette annonce. La réduction a été de 2,2% entre mai 1997 et mai 2002. A l'opposé, un ensemble de mesures concrètes et crédibles a été annoncé lors du CISR de décembre 2002 et l'accidentalité s'est effondrée immédiatement de 30% par mois. L'efficacité d'une prévention par la dissuasion de commettre des infractions dépend de la représentation personnelle du risque d'être sanctionné. Si l'annonce médiatisée du 11 mai ne se concrétise pas dans des délais courts, la situation se détériorera à nouveau. Quand on connaîtra la date à laquelle les avertissements de la présence d'un radar seront interrompus par les membres de l'AFFTAC, nous aurons une preuve de la détermination du gouvernement.
Quand j'ai analysé les effets sur l'accidentalité de l'anticipation d'une amnistie présidentielle, des critiques ne reposant sur aucune étude statistique sérieuse ont été exprimées. Cet effet est maintenant reconnu. Les 4 dernières élections présidentielles ont toutes produites un accroissement de la mortalité routière dans la période précédant l'élection. Le début de cette détérioration de la sécurité routière correspondait aux dates d'annonce dans les médias d'une amnistie en perspective, notamment dans la presse "automobiles", avec des pages de description de l'attitude à avoir pour bénéficier de cette amnistie (ne rien reconnaître, ne pas payer, faire traîner la procédure).
Les causes de la mortalité sur les routes sont connues. Elles peuvent être encore précisées, mais depuis le développement des études d'accidents à la fin des années soixante nous savons que.
- certains facteurs ont un effet favorable très important, il s'agit de l'amélioration des infrastructures et des véhicules. Leur effet est régulier et lent. Cette caractéristique ne permet pas de les faire intervenir dans l'interprétation d'un résultat mensuel ou annuel,
- la vitesse est le facteur commun indissociable de la notion de risque d'accident. Dans un environnement donné, ce risque est une fonction croissante de la vitesse. En l'absence de déplacement le risque est nul, à une vitesse très élevée il s'approche du risque un. Entre les deux un compromis social tente d'assurer un déplacement dans un temps donné tout en minimisant le risque,
- la vitesse se combine à de multiples facteurs humains. L'expérience de la conduite, l'attention, la vigilance, l'absence de perturbation par des produits psycho-actifs ou des activités réduisant l'attention (téléphoner), la volonté de respecter les règles et les autres usagers vont contribuer à déterminer le niveau de risque,
- l'exposition au risque, c'est à dire le kilométrage parcouru est un facteur très important dont nous avons une connaissance assez précise par des comptages, les ventes de carburants, des sondages. Nos connaissances dans ce domaine sont insuffisantes pour les deux roues. La caractéristique des dernières années est une stabilisation du kilométrage parcouru par les voitures légères. La circulation des poids lourds est plus labile, étroitement dépendante de l'économie, elle est à nouveau croissante avec la sortie de crise.
- l'effet du calendrier, les variations climatiques, sont bien étudiées mais nous avons vu qu'il faut améliorer les modèles utilisés pour mieux intégrer les variations très importantes de la circulation des motos.
L'intervention dans le débat de la notion de "zone dangereuse", avec la volonté de la lier à la présence d'un radar (il ne devrait y avoir de radars que dans les zones dangereuses !), pour justifier la poursuite du signalement des radars est un prétexte sans fondement accidentologique. J'ai expliqué pourquoi dans dans la page : 27 mai 2011 - le communiqué de l'intérieur. Les routes sont structurellement de plus en plus sûres et les zones d'accumulation d'accidents se réduisent. La dissuasion des excès de vitesse doit être exercée sur la totalité du réseau et vouloir la limiter à une fraction réduite des routes exprime uniquement la volonté de réduire l'efficacité de cette dissuasion. Quand les départements auront identifié les "zones dangereuses", il sera facile de calculer la fraction de tués sur les routes observée sur ces zones au cours des dernières années (ou avant l'implantation d'un radar fixe) et de porter un jugement sur la pertinence de la démarche. Nous connaissons la réponse, la réduction de la mortalité sur les routes passe par le respect des limitations de vitesse sur l'ensemble du réseau, à tout moment, et pas seulement en certains points durant des périodes limitées.
Le code de la route est à la base du compromis social établissant des contraintes, tout en permettant d'exercer une liberté de se déplacer. L'enjeu d'un CISR est à ce niveau. Ceux qui veulent caricaturer le système en opposant les chauffards et les bons citoyens n'ont rien compris à la notion de continuité des comportements humains face à des enjeux de sécurité personnelle et collective. Nous pouvons tous perdre un, deux, trois points de permis sur les routes, 90% des usagers sont dans cette situation d'une perte nulle ou minime de leur capital de points. Ceux qui ont perdu leurs 12 points ou s'approchent de cette situation critique ont des comportements qu'il faut dissuader. Le dispositif du permis à points est une forme de sursis adapté à cette délinquance d'habitude. L'affaiblissement de ce dispositif avec des arguments d'une démagogie dangereuse témoigne d'une incompréhension complète de l'efficacité de la prévention par la dissuasion de la transgression des règles dans un tel domaine.
Nous saurons à la fin de l'été si le Gouvernement a le courage de mettre en oeuvre les décisions annoncées le 11 mai. Le risque existe qu'il s'aplatisse face à une minorité profondément asociale, capable d'utiliser les services de sociétés qui font des bénéfices en empêchant des gendarmes et des policiers d'effectuer une de leurs missions qui est de faire respecter les règles.