Une nouvelle étape dans le feuilleton dramatique de la lutte pour rétablir l'efficacité du permis à points
texte placé sur le site le 30 mai (il sera modifié au cours des prochains jours, mais uniquement sur les aspects techniques et pratiques du communiqué du ministère de l'intérieur du 27 mai)
Dans la gestion de crise au jour le jour dans laquelle le gouvernement s'est engagé depuis le 11 mai, l'épisode du 28 mai a une importance considérable. Il s'agit du premier contact "officiel" entre le ministre de l'intérieur et l'Association Française des Fournisseurs et Utilisateurs de Technologies et d'Aide à la Conduite (AFFTAC).
Pour faciliter la compréhension de mon analyse je reproduis intégralement à la fin de cette page le communiqué publié par le ministère.
Les bases du débat
Il ne faut pas se laisser abuser par certains mots, nous ne sommes pas dans un combat avec des règles et de la sincérité, mais dans un combat de rue. Le simple usage de la dénomination de Fournisseurs et Utilisateurs de Technologies et d'Aide à la Conduite est une information très partielle. Les usagers qui veulent être avertis de la présence d'un radar (fixe ou mobile) ou d'un contrôle assuré par des gendarmes ou des policiers ont pour objectif principal d'éviter de perdre des points de permis et de payer une amende. L'intérêt de l'AFFTAC est de continuer à gagner de l'argent en contribuant à cet objectif, qui est en contradiction évidente la sécurité routière puisqu'il réduit la capacité de dissuasion des contrôles.
L'amalgame entre la notion de "signalement des zones dangereuses" comprises comme des zones à risque élevé d'accidents et "signalement des zones où l'on risque de perdre des points" est au coeur de ce combat entre un gouvernement qui a laissé le Parlement dégrader la dissuasion par le permis à points et des entreprises qui vivent d'une activité capable de réduire le respect des règles (permettre de ne respecter les règles que sur une partie limitée du réseau implique que l'on facilite leur transgression sur la plus grande partie de ce réseau). Ceux qui ont le moindre doute sur les capacités de tels procédés peuvent lire la chronique de Pierre Marcelle publiée dans Libération le 12 avril 2011. Elle est beaucoup plus convaincante que tout ce que je pourrais écrire sur cette double notion de finalité et d'efficacité. Une étude d'Auto-Plus allait dans le même sens, les journalistes de la revue avaient testé les avertissements donnés sur des parcours routiers et ils concluaient à une efficacité remarquable.
Un progrès indiscutable : la fin du signalement des contrôles temporaires et mobiles
L'effet destructeur le plus redoutable des avertisseurs de radars était lié au signalement des contrôles mobiles de la vitesse, que ce soit par des radars automatiques déplaçables ou des jumelles-radars. Après la phase "pédagogique" de signalement des radars fixes destinée à rendre crédible et acceptable une faible tolérance sur les excès de vitesse, il fallait passer à des méthodes de contrôle sans signalement capables de porter la dissuasion sur l'ensemble du réseau routier. En 2010 une circulaire a interdit aux acteurs de la sécurité routière des départements de communiquer à la presse locale les jours de contrôle et les voies concernées (cette mesure n'est toujours pas appliquée dans l'ensemble des départements !). Il était indispensable de mettre un terme au signalement des contrôles mobiles par des réseaux d'usagers transmettant des avertissements par l'intermédiaire de sociétés centralisant les renseignements et les redistribuant à ses abonnés.
L'engagement de ne plus signaler les radars, mais des zones dangereuses rend impossible le signalement des radars mobiles car les zones dangereuses sont définies en utilisant des cumuls d'accidents sur plusieurs années. Il s'agit donc d'un avertissement stable.
Les difficultés à venir
Elles vont concerner deux notions très différentes :
- la définition des zones dangereuses
- les avertissements qui demeureront possibles
La définition des zones dangereuses va nécessairement utiliser les critères déjà utilisés par les services de l'Etat et des départements pour définir les "zones d'accumulation d'accidents". Le SETRA a résumé ces notions dans une fiche (format pdf) sur les ZAAC (zones d'accumulation des accidents corporels) qui permet de comprendre l'intérêt de cette notion.
Plusieurs notions importantes doivent être comprises pour bien gérer ce concept de zones d'accumulation d'accidents :
- plusieurs définitions des ZAAC ont été produites. La plus simple
(circulaire "PRAS" d'août 1998) recense pendant 5 années les zones
de 850 mètres sur lesquelles sont survenus :
- pour le niveau 1, au moins 4 accidents ayant produit au moins 4 victimes graves,
- pour le niveau 2 au moins 7 accidents ayant produit au moins 7 victimes graves,
- pour le niveau 3 au moins 10 accidents ayant produit au moins 10 victimes graves,
- les accidents mortels observés sur ces zones sont minoritaires. Une carte et une description des ZAAC du département de l'Ain (format pdf) permettent de le constater (ce type de document sera la clé des choix qui doivent être effectués au niveau des départements dans les semaines à venir, il sera instructif d'évaluer la qualité de ces documents d'un département à l'autre). Ce département a une accidentalité très intéressante car elle concerne toutes les typologies de voies et de contexte géographique. Pour la période 2004/2008, 64 ZAAC étaient identifiées sur le réseau départemental. Les accidents observés à leur niveau représentaient 16 % des tués et 19,3 % des blessés hospitalisés.
- les accidents observés sur des ZAAC ne sont pas nécessairement liés à une déficience de qualité de l''aménagement routier. Une circulation très élevée sur cette zone peut être l'explication principale. Une intersection parfaitement dessinée hors agglomération peut être une ZAAC du fait de l'importance des tourne à gauche dans les deux sens. Une telle situation est habituellement une indication de remplacement par un giratoire, mais il faut le financer !
- Il ne faut jamais oublier que l'accident est le produit d'une relation inadaptée entre un usager, un véhicule et une infrastructure. Retenir une "cause principale" est souvent une pratique réductrice. Quand une princesse se tue sous le pont de l'Alma, l'un va pointer le fait que son véhicule était inutilement rapide et de ce fait dangereux car il permettait un grand excès de vitesse, un autre le fait que son conducteur était sous l'influence de l'alcool, de médicaments psycho-actifs et roulait trop vite, un autre fera remarquer que la présence d'une succession de piliers en bordure d'une voie sous un tunnel est un vice majeur pour une telle infrastructure, réunir les pieds de ce pilier par un séparateur médian en béton aurait sauvé cette princesse, il n'a toujours pas été réalisé.
- il ne faut donc pas considérer le radar comme une dissuasion de commettre des excès de vitesse dans un nombre limité d'endroits considérés empiriquement comme dangereux, mais comprendre que les usagers commettant des infractions aux limitations de vitesse sur tout le réseau, pouvoir placer n'importe où pendant une durée limitée un radar mobile est la clé de la dissuasion de commettre de tels excès, que la route soit structurellement sure ou non.
Les réunions dans les préfectures vont avoir l'avantage de favoriser la vulgarisation de ces notions élémentaires, en 2011 le problème des points noirs appartient au passé. La difficulté est de gérer le comportement des usagers sur des voies de qualité supportant une densité de circulation importante, sans séparateur médian des deux sens de circulations, avec des usagers qui commettent encore souvent de petits excès de vitesse comme le démontre l'observatoire des vitesses. L'objectif de décideurs qui souhaitent renouer avec le succès et réduire l'accidentalité doit être le développement de la dissuasion sur tout le réseau routier, donc d'éviter que des destructeurs de cette dissuasion interviennent en signalant les lieux de contrôle.
Le débat sur les zones dangereuses et les radars pédagogiques, soutenant l'hypothèse d'une solution miraculeuse qui permettrait de signaler des zones dangereuses (les "avertisseurs de zone dangereuse") et de faire remarquer à certains usagers qu'ils vont trop vite pour obtenir leur ralentissement et réduire ainsi le nombre d'accidents est donc une farce tragique.
Les avertissements qui peuvent rendre service aux abonnés des sociétés qui ont négocié l'accord avec le ministère de l'intérieur sont en nombre limités. Il s'agit principalement de l'état de la circulation (densité, arrivée sur un bouchon) et du signalement d'un éventuel accident. Il faut bien entendu que les détails de l'accord définitif qui sera mis au point entre le ministère et les sociétés signataires de l'accord prévoient les contrôles qui seront mis en place pour éviter que des messages soient détournés de leur sens pour signaler des radars.
Les risques
Le plus important sera l'apparition de contournements de l'accord signé par des méthodes visant à rétablir le signalement des radars déplaçables. Quand des enjeux financiers importants sont concernés, la notion de confiance et de respect des engagements est devenu une hypothèse hasardeuse. Quand des entreprises prétendent agir pour la sécurité routière en signalant les radars mobiles, ces derniers effectuant des contrôles dans les zones dangereuses, elles oublient :
- que les endroits dangereux le sont en permanence et pas seulement quand les gendarmes ou les policiers font des contrôles. Quand on organise un système avec des "éclaireurs" qui signalent si la voie est libre, l'objectif est de renseigner sur la présence d'un radar et non sur la présence d'un risque d'accident.
- que les endroit dangereux ne représentent qu'une faible partie de l'accidentalité et que cette dernière n'est pas nécessairement le fait de caractéristiques structurelles qui la rendraient dangereuse. Il s'agit le plus souvent de voies supportant un trafic élevé. Cette caractéristique a pour conséquence de "sélectionner par l'accident" la fraction des usagers qui ne respectent pas les limitations de vitesse.
Dans un tel contexte, il ne faut accorder aucune confiance aux partenaires avec lesquels le Gouvernement va avoir à négocier, qu'ils s'agissent des élus qui se sont placés dans le camp du déni et de la dégradation de la loi, des associations qui prétendent défendre les usagers alors qu'elle contribuent à dégrader la sécurité et des entreprises qui font passer leurs bénéfices avant la vie de leurs concitoyens. Il faut que les négociateurs exigent des garanties et élèvent des protections. La liste est facile à établir :
- l'accord sur ce qui est autorisé et ce qui est interdit doit être exhaustif et précis.
- la traçabilité des signalements doit être assurée (elle est actuellement réalisée, les fournisseurs de données sur la situation des radars mobiles sont capables de noter la qualité de leurs informateurs),
- les gendarmes et les policiers doivent avoir accès aux renseignements fournis comme le sont les abonnés à ces systèmes d'alerte. Cette situation leur permettra de repérer immédiatement le signalement d'un de leurs contrôles mobiles,
- une loi très courte et très simple doit concrétiser les interdits. Si les partenaires sont de bonne foi, ils ne peuvent pas s'opposer à une telle mesure puisqu'elle ne serait que le garde fou dissuadant les transgressions de l'accord par des sanctions sévères. Il faut également avoir à l'esprit l'avantage d'une législation pour protéger les entreprises qui jouent le jeu et respectent les accords conclus. Elles seraient à l'abri de la concurrence déloyale des concurrents tentant de construire des systèmes continuant de localiser des contrôles mobiles.
Conclusions (provisoires !)
Copiant son mode de fonctionnement sur les séries télévisées qui doivent maintenir l'intérêt du spectateur, la gestion d'un dispositif destiné à conserver la liberté de vivre et d'avoir l'usage de ses membres devient comparable à Dallas. Chaque nouvelle séquence exprime de la cupidité, de la mauvaise foi, des passions, du déni de réalité et surtout des incertitudes qui vont permettre un nouveau rebondissement lors de l'épisode suivant. Cette politique spectacle vivant au jour le jour contribue à déconsidérer les politiques et dégrade le fonctionnement de notre démocratie.
Nous ne sommes pas à deux mois près, il est préférable de sortir par le haut de cette crise en se donnant le temps de réfléchir et de décider, comme cela avait été fait pendant le second semestre 2002, quand des ministres et une administration compétents et responsables avaient élaboré le plan qui a divisé par deux la mortalité sur les routes sans entraver notre liberté de déplacement. N'oublions jamais que 90% des usagers ont tous leurs points ou en ont perdu moins de quatre.
Chaque fois qu'une nouvelle annonce significative sera faite, je tenterai de l'analyser dans des délais courts, comme je l'ai fait depuis le début de ce mauvais feuilleton initié en septembre 2010 par le groupe de sénateurs irresponsables qui a soutenu l'amendement Fouché.
*************************
Paris, vendredi 27 mai 2011
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
CLAUDE GUEANT et les représentants de l'Association Française des
Fournisseurs et Utilisateurs de Technologies et d'Aide à la Conduite
(AFFTAC), sont parvenus à un accord lors d'une réunion au ministère de
l'Intérieur.
L'objectif d'améliorer la sécurité sur nos routes est un objectif
partagé par tous les participants et la réunion de travail, très
constructive, a permis à chacun d'exprimer son analyse de la situation
et ses propositions.
Le ministre a ainsi rappelé que l'interdiction d'avertir de la position
exacte des radars est une décision du CISR prise afin de faire respecter
les limitations de vitesse sur tout le territoire et de sauver davantage
de vies. Elle est du reste cohérente avec la décision d'enlever les
panneaux signalant les radars fixes.
L'AFFTAC a fait valoir le souci préventif et informatif des différents
produits actuellement commercialisés, communautaires ou non.
Les participants ont convenu d'engager un travail en commun en vue de
développer un ensemble de fonctionnalités contribuant à améliorer la
sécurité routière. Les services de l'Etat apporteront ainsi leur appui à
la diffusion de l'information, qu'il s'agisse des vitesses autorisées,
de l'état du trafic ou de la lutte contre la somnolence.
S'agissant du respect de la limitation de vitesse, il a été convenu que
les avertisseurs de radars seront transformés en assistant d'aide à la
conduite permettant de signaler les zones dangereuses. En complément des
radars pédagogiques qui seront placés sur des secteurs routiers
accidentogènes, les zones dangereuses seront ainsi signalées sur la
longueur de l'itinéraire afin de permettre aux automobilistes d'adapter
leur vitesse en fonction des limitations et des circonstances.
Les travaux vont se poursuivre entre les services de l'Etat et l'AFFTAC
afin d'améliorer la sécurité sur nos routes, grâce au développement de
technologies d'aides à la conduite et dans le respect des décisions
gouvernementales.
Un protocole d'accord sera conclu dans les prochaines semaines afin de
concrétiser cette coopération.