politique de sécurité routière de 1973

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Apolitique1973.html :

la réinterprétation des décisions de 1973 et de leurs effets

La synthèse des procédés utilisés pour dénaturer la signification des décisions politiques de 1973/1974

L'auteur veut prouver que la ceinture de sécurité a été plus efficace que la limitation de vitesse des voitures en 1973 pour réduire la mortalité sur les routes. "L'obligation du port de la ceinture est liée à la sécurité routière alors que la limitation drastique de la vitesse suit des objectifs avant tout économique" (p.35). Il va utiliser une description fausse des mesures de 1973 et en faire une interprétation allant à l'opposé de celle que l'on pouvait en faire, et qui a été produite par des chercheurs dans des documents publiés.
Il convient de rendre d’emblée évidente l’impossibilité d’une telle affirmation, puis de décrire la falsification et l’occultation des preuves du contraire. La procédure est très différente d’une démarche scientifique qui examine des faits pour construire des hypothèses et finalement se rallie à l’une d’entre elles. Le scientifique élague et retient l’essentiel, il recherche la simplicité. La démarche du dogmatique manipulateur est inverse, il affirme la conclusion et construit un monde artificiel et complexe à partir d’éléments imaginaires, de faits réinterprétés ou occultés. Elle est proche de celle du romancier qui invente sa réalité.

mortalité de 1960 à 2002

Ce graphique décrit une réalité approchée avec un niveau de précision très satisfaisant. Elle est établie par des observations différentes et concordantes (les constatations des policiers et des gendarmes qui constatent les accidents et suivent le devenir de ceux qui ne sont pas tués sur le coup, le dénombrement des décès en fonction de leurs causes par l’INSERM). En 2006 par exemple, le nombre de décès de la statistique de l’INSERM a été de 4781, celui de l’ONISR de 4709 et les différences de définition associées aux inévitables erreurs permettent de comprendre cet écart de 1,5%.
Nous connaissons les outils de transport utilisés par les usagers qui ont perdu la vie sur les routes, année après année. Au moment du pic de mortalité de 1972 (16 545 décès), 8627 de ces usagers étaient dans des voitures. En 1974 (13 327 décès), ils étaient 6373. La réduction du nombre global des tués a donc été de 3218 (19,5%) dont 2254 automobilistes et 964 non automobilistes. Ces valeurs permettent de calculer le taux de réduction de la mortalité des automobilistes (26,3%) et des non automobilistes (15,3%).

A ce stade, nous nous limiterons aux conclusions les plus « robustes » sans tenter d’établir un modèle complexe tenant compte de l’évolution des véhicules utilisés ou des kilomètres parcourus pendant ces deux années. Nous savons que le type de véhicule concerné par la généralisation des limitations de vitesse a été l’automobile. La réduction des morts piétons ou utilisateurs de 2 roues et de poids lourds a été principalement attribuable à la réduction de vitesse des voitures. Du fait de cette réduction et en l’absence d’accroissement du port de la ceinture provoqué par la décision d’en rendre le port, la mortalité des automobilistes aurait été réduite au moins par un facteur identique à celui observé pour les non automobilistes. La différence entre une réduction de 15,3% ou de 26,3% de la mortalité des automobilistes représente 914 morts évitées, soit 28,4% de la réduction de la mortalité observée. Nous pouvons résumer ces faits de la façon suivante :
Une inversion brutale de la mortalité sur les routes a été observée en France dans la période 1973/1974, la réduction globale a été de 19,5%
Plusieurs limitations différentes de la vitesse maximale sur différents réseaux ont été décidées pendant cette période
Le port obligatoire de la ceinture de sécurité est intervenu le 1er juillet 1973 (places avant, hors agglomération)
La mortalité des non automobilistes a été réduite de 15,3% et celle des automobilistes de 26.3%
Si la mortalité des automobilistes avait été réduite dans la même proportion que les non automobilistes il y aurait eu 914 automobilistes tués en plus
Ces 964 tués représentent 28,4% de la réduction totale de la mortalité observée.
Avec ces notions à l’esprit nous pouvons faire l’analyse de la description et de l’interprétation produites dans La France sans permis.

descriptions et interprétations d'Airy Routier (p. 34 et 35) rappel des faits
"La France fut le premier pays européen à imposer la ceinture. Pierre Messmer décidait en même temps, pour la première fois en France, d’instaurer des limitations de vitesse : 110 km/h sur ces autoroutes qui commençaient à mailler la France et avaient été conçues pour une vitesse moyenne de 140 km/h" Les décisions appliquées en juillet 1973 associaient au port obligatoire de la ceinture aux places avant une limitation de la vitesse à 110 km/h sur les voies à grande circulation et à 100 km/h sur le reste du réseau. Elles ne concernaient pas le réseau autoroutier. Par ailleurs, ce réseau autoroutier était conçu pour une vitesse maximale et non moyenne de 140 km/h.
"Sur ce point l’objectif affiché était moins la sécurité routière que les économies d’énergie. Car 1973 est aussi l’année du premier choc pétrolier, aussi violent qu’inattendu, provoqué par l’OPEP après la guerre du Kippour". La limitation de vitesse de juillet sur la quasi-totalité du réseau sauf les autoroutes n'avait pas un objectif économique lié au premier choc pétrolier puisque ce dernier surviendra lors de la guerre du kippour (événement violent et inattendu) se produisant le 6 octobre 1973 trois mois après. La limitation de vitesse à 120 km/h sur les autoroutes a été appliquée le 3 décembre 1973.
"Rétrospectivement il apparaît clairement que l'obligation du port de la ceinture fut la mesure décisive. A époque le lobby de la sécurité routière, qui se renforçait puissamment, mit cependant l'accent sur le rôle des limitations de vitesse. Il hurlera au bout de quelque temps lorsque le choc pétrolier une fois encaissé, le gouvernement décidera de rehausser les limitations à leur valeur d'aujourd'hui. Sans d'ailleurs provoquer une augmentation du nombre de tués". Au moment du choc pétrolier la vitesse sur les autoroutes n'était pas limitée. Le taux de mortalité était de 3,6 tués par 100 millions de kilomètres parcourus. Quand la vitesse a été abaissée à 120 km/h (et non 110) ce taux s'est abaissé à 1,5 soit une réduction de plus de 50% de la mortalité. Le 13 mars 1974 la vitesse a été augmentée à 140 et le taux de mortalité est remonté à 2,1 puis le 6 novembre 1974 la vitesse a été abaissée à 130 et le taux est redescendu à 1,5 tué.

Une fois constatée l’incompatibilité entre la chronologie des faits, la mortalité observée et la qualification du port obligatoire de la ceinture de « mesure décisive », nous pouvons approfondir notre analyse et passer d’une interprétation globale à une interprétation plus analytique de ces deux années tenant compte des faits suivants :

Un graphique publié à de multiples reprises depuis cette période (notamment dans le livre blanc de la sécurité routière de 1990 et dans l'ouvrage de Cohen et collaborateurs : Limitations de vitesse, les décisions publiques et leurs effets – Editions Hermès 1998 page 69.) illustre ces décisions, leur calendrier et leurs conséquences dans le domaine de la mortalité sur les autoroutes (Dlimitationsvitesse1973Cohen.pdf)

mortalité sur les autoroutes en 1973/1974

Ce graphique met en évidence une mortalité de :
1.    3,6 par cent millions de kilomètres parcourus dans la période à vitesse libre,
2.    un abaissement à la valeur 1,5 pendant la période de limitation à 120 km/h qui a débuté le 3 décembre 1973,
3.    une remontée à 2,1 lors du passage de la vitesse maximale à140 km/h en mars 1974
4.    un retour à la valeur 1,5 lors du choix final de 130 km/h. Il faut remarquer que la durée de la limitation à 120 km/h a été très courte pendant le trimestre d’hiver, elle est très significative statistiquement mais l’intervalle de confiance est plus large que pour les valeurs antérieures et postérieures qui ont porté sur des périodes plus longues.


Les erreurs factuelles dans la description des événements de cette période par Airy Routier concernent la chronologie de ces décisions, les niveaux de vitesse sur autoroutes, leurs conséquences et les motivations de ces décisions.

Le choix de limiter la vitesse sur le réseau non autoroutier où était observée la quasi-totalité des accidents mortels et d’associer à cette mesure le port obligatoire de la ceinture n’avait pas le moindre objectif économique. Elle a été prise fin juin 1973 et appliquée le 1er juillet, trois mois avant la crise pétrolière provoquée par la guerre du Kippour. Elle était préparée depuis trois ans à la suite de la conférence sur la sécurité routière décidée par le Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas. C’est deux mois après le début de la pénurie relative d’essence, donc cinq mois après les limitations de vitesse hors autoroute, que le Gouvernement a décidé d’étendre la réduction de la vitesse maximale sur le réseau autoroutier encore très réduit en France, mais qui était le réseau où cette mesure était la plus productrice d’économies de carburant au kilomètre parcouru. En outre il  a abaissé de 100 à 90 km/h la limite autorisée sur l’ensemble du réseau et c’est cette mesure qui a eu l’impact le plus important sur la mortalité. Il faut avoir à l’esprit le faible kilométrage d’autoroutes en 1973 et la faible proportion de tués sur ce réseau : 530 tués en 1973 (3,2% des tués) et 342 en 1974 (2.6%). (Dmortaliteautoroutes1972_1974.pdf)

Airy Routier ajoute aux erreurs factuelles une erreur logique en affirmant deux conclusions contradictoires. Pour réduire l’importance de la limitation de la vitesse dans le succès de la politique de sécurité routière initiée en juillet 1973, il indique que : “ Rétrospectivement il apparaît clairement que l’obligation du port de la ceinture fut la mesure décisive ”. Dans le même chapitre, l’auteur se plaint de la prise simultanée de deux décisions (limitation de vitesse et port obligatoire de la ceinture), ce qui ne permettrait pas de dissocier l’efficacité de l’une et de l’autre. “ Cette pratique de la double ou triple décision sera systématiquement utilisée par la suite, de sorte qu’on ne pourra jamais tester l’effet exact des limitations de vitesse ” (FSP p.35)

Affirmer une chose et son contraire est une méthode employée à plusieurs reprises dans le livre. Ne pas respecter le principe de non-contradiction caractérise l’inconsistance dans le langage des logiciens.

Nous pouvons à ce stade de l’analyse faire la liste des procédés utilisés par Airy Routier pour construire sa réalité :

De façon plus résumée :

Conclusions
Cette partie du livre d’Airy Routier est un exemple de déconstruction/reconstruction d’un ensemble de mesures objectives (décisions réglementaires de 1973/1974) et de l’interprétation de leurs effets. Le but est de démontrer que c’est le port obligatoire de la ceinture qui a été à l’origine de l’inversion de l’évolution de la mortalité sur les routes à partir de 1973 et non les limitations de vitesse. Dans ce but les prémisses sont modifiées pour permettre des conclusions inexactes. Tout ce qui est contraire à l’interprétation de l’auteur est passé sous silence. Six procédures abusives sont utilisées conjointement pour produire ces conclusions invalides. C’est cette association qui exclut une démarche simplement ignorante, nous avons affaire à une reconstruction très structurée. La courbe de l’évolution de la mortalité routière en France a été marquée par une inversion brutale et intense de la tendance au cours de l’année 1973 et il y avait plus de 3000 tués en moins fin 1974. Les analyses produites par la recherche en sécurité routière attribuent cette réduction de la mortalité à l’effet conjoint des limitations de vitesse et du port de la ceinture de sécurité, la part la plus importante revenant aux limitations de vitesse.
Plus de trente ans après, il est facile de réécrire l’histoire à l’usage de lecteurs qui n’iront pas vérifier les dates ni lire les publications analysant les faits et qui ne remettront pas en cause les conclusions d’Airy Routier.