l'usage de la vérité

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Un livre de désinformation dans un domaine aussi concret et documenté que l’accident de la route ne peut éviter de reconnaître la réalité d’un certain nombre de faits avérés. Ils sont fréquemment exploités et détournés pour être réorientés dans le sens de la vérité de l’auteur. « Voyez comme je suis objectif, je reconnais tel ou tel fait qui semble aller contre l’ensemble de ma démonstration… mais en réalité voilà comment il faut l’interpréter».

 Il faut distinguer plusieurs types d’usage de faits réels dans le livre.

 L’usage ponctuel abusif de faits dans un raisonnement mal construit. J’ai déjà signalé ce comportement à de multiples reprises. Le plus évident consiste à reconnaître l’amélioration de la sécurité routière en France au cours des quatre dernières années et à l’attribuer à une évolution « culturelle » constatée partout en Europe et à des améliorations techniques des véhicules. Ces explications sont en totale contradiction avec la brutalité de l’amélioration survenue en décembre 2002 quand des mesures réglementaires et législatives précises ont été annoncées, redonnant une crédibilité au système de contrôle et de sanction.

 L’usage contradictoire des mêmes faits en des endroits différents du livre. L’auteur reconnaît que le dispositif de contrôle et de sanction automatisé réduit le trafic d’influence et qu'il est donc plus équitable que les pratiques antérieures.  Pour autant il se refuse à admettre que la notion d’équité est un des fondements de la justice et il se plaint constamment que les limitations du recours au juge aient été développées, tout en décrivant longuement ces recours, ce qui témoigne de leur existence. Le dispositif du permis à points est protecteur contre l’arbitraire car c’est la répétition du constat d’infractions qui finira par produire l’annulation du permis et non une infraction isolée. Finalement l’auteur regrette un dispositif sans équité où le trafic d’influence massif était associé, pour ceux qui en avaient les  moyens, à l’usage abusif de tous les recours possibles, tant devant la justice administrative que devant la justice pénale. Le concours d’avocats spécialisés dans ce travail, qui détruisait l’équité au nom de la défense de la liberté individuelle, est vivement recommandé par l'auteur pour développer ce blocage du fonctionnement des institutions. Il faut également rappeler que les décisions des juges n’étaient pas homogènes dans ce champ de la délinquance routière. Dans un ressort judiciaire donné, les habitués savaient que la sévérité des sanctions variait avec les magistrats.

 Le centrage du livre sur sa situation personnelle qui est sans rapport avec celle de la grande majorité des usagers. L’action de la police est ressentie par l’auteur comme un risque pour sa liberté. La majoration de son risque ressenti est la conséquence de son comportement. Avoir roulé de nombreux mois sans permis, avec la peur constante d’un contrôle et d’une éventuelle garde à vue n’est pas une vie de tout repos et l’auteur transpose cette inquiétude qui est celle des « sans permis » sur l’ensemble de la population française. Il généralise sa situation et tente d’effrayer le plus grand nombre de conducteurs possible par sa description d’un monde policier abusif et liberticide, là où il n’y a que le fonctionnement normal des institutions chargées de faire respecter les lois pour la défense de l’intérêt collectif. L’auteur veut construire une représentation sociale majoritaire comme si tous les usagers de la route étaient dans son cas : « Bref il arrivera un moment où les Français n’accepteront plus d’être épiés, chassés, traqués, traités de délinquants parce que le nombre de morts sur la route ne pourra plus le justifier. Où se trouve, pour eux, le point d’équilibre et le point de rupture ? Peut-être aurait-il déjà été atteint ».

 La description de faits réels assortis de critiques fondées et éventuellement de propositions justifiées est présente dans le livre. Je classe dans ce groupe les faits suivants :

L’absence d’équité d’un système répressif fondé sur des amendes fixes et non proportionnelles aux revenus. L’auteur décrit le système récemment mis en œuvre en Suisse et qui définit les amendes en fonction des revenus. Ce dispositif n’est pas adaptable à la partie automatisée du  système de contrôle et de sanction, mais il peut être développé pour les infractions graves sanctionnées par des amendes très élevées et relevant d’une décision judicaire « personnalisée ». L’inégalité d’accès au permis de conduire, alors que ce permis est souvent une condition pour avoir accès à un travail. Il faut développer un système de bourses pour que l’accès au permis de conduire soit facilité. Le dispositif de prêt remboursable actuel est tout à fait inadapté aux milieux les plus défavorisés.
La qualité insuffisante de la signalisation concernant les limitations de vitesse qui peut créer des incompréhensions, voire de véritables pièges quand les vitesses sont à la fois inadaptées et mal signalées. Le livre blanc de sécurité routière de 1990 avait proposé l’expertise des infrastructures par un organisme indépendant, mais nous n’avions pas été suivis. Je reviens constamment à la charge sur ce dossier et le groupe de cinq spécialistes de la sécurité sanitaire qui a été à l’origine de la loi Evin pose une question aux candidats à l’élection présidentielle sur ce problème avec des exemples et des propositions concrètes (elle est accessible sur le site www.securite-sanitaire.org ). Dans ce jeu de travestissement et de détournement des concepts et des faits, il est possible et pédagogique d’utiliser en sens inverse les phrases de l’auteur  et de montrer l’estime qu’Airy Routier porte au permis à points et à la nouvelle politique de sécurité routière :A propos de l’évolution de l’insécurité routière :

En 2006, avec 4700 morts pour 63,4 millions d’habitants, la France fait partie des leaders européens. Elle fait  même la course en tête, si l’on tient compte de sa position centrale en Europe, de son trafic et de l’importance de son réseau routier. Aller plus loin est toujours possible : en 2007, le gouvernement veut limiter à 4200 le nombre des morts ».

A propos du système de contrôle automatisé : Diminuant considérablement les possibilités d’intervention des notables, il est égalitaire. Pour preuve : nombreux sont les hommes politiques, les policiers ou les magistrats dont les permis ont été annulés, alors que ces catégories n’étaient jusque là pratiquement jamais sanctionnées. ». Ces deux affirmations, séparées de leur contexte qui les dévalorise, sont la plus belle reconnaissance possible de la qualité politique et administrative du travail accompli depuis 2002.