la dérive

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Pages 53 à 67

La dérive folle du permis à points

La première partie de ce chapitre oppose le permis à points français échappant à toute appréciation judiciaire et les permis à points d’autres pays qui permettraient de moduler le nombre de points retirés en fonction des antécédents de l’usager et de la nature de l’infraction commise. Cette affirmation est fausse (F-13), le principe du permis à points est de créer un dispositif adapté à une délinquance de masse dans lequel seule la répétition des infractions provoque une sanction lourde et qui n'est pas destinée à prendre en compte de façon personnalisée les infractions les moins graves. Dans ce type de délinquance, soit le recours au juge est facilité et le système se bloque, soit il est impossible ou très restreint et il peut fonctionner. Vouloir rendre des dispositifs inefficaces a toujours été l’objectif des délinquants d’habitude et Airy Routier exprime bien cet objectif en décrivant sa conception d’une loi sur un permis à points qui serait acceptable car pratiquement dépourvue d’efficacité. Il faut trouver un équilibre entre les délits les plus graves qui sont traités par le juge et les délits les plus fréquents qui ne posent pas de problème d'interprétation judiciaire qui sont traités par le retrait de points.

L’usage d’une phrase telle que « dans tous les autres pays du monde, il revient au juge de doser le nombre de points retirés en fonction de la nature de l’infraction » traduit bien l’aptitude exceptionnelle de l’auteur à affirmer les mensonges les plus énormes. La lecture des législations des pays proches de la France et dont les textes sont accessibles dans notre langue permet de constater la mise en œuvre de dispositions qui sont faites pour dissuader la contestation sans fondement. Soit l’usager accepte le paiement de l’amende et les points sont retirés automatiquement, soit il ne paie pas et il finira par payer une amende majorée à la suite d’une décision judiciaire ou verra sa bonne foi reconnue et les points ne seront pas retirés. Qu’un filtre soit placé en amont avec une caution ou que l’usager s’engage à ses risques et périls et se retrouve avec une sanction finale plus sévère n’introduit pas des différences d’équité notables. Tous ces dispositifs ont été conçus pour remplacer une justice « personnalisée » qui était incapable de gérer équitablement ce contentieux de masse. Présenter la situation française comme unique au monde par son automaticité et l'absence de recours ne correspond pas à la réalité. L'auteur développe d'ailleurs longuement dans son livre les usages abusifs possibles des recours pour en recommander l'usage, ce qui affirme bien leur existence, simplement la voie du recours est protégée par des mécanismes dissuadant les recours abusifs pour éviter le blocage du système.

L’auteur relate ensuite à sa façon le conflit avec les routiers de l’été 1992, lors de la mise en œuvre effective du permis à points. Le 2 juillet 1992 les routiers français bloquent les routes pour obtenir d’avoir un capital de points plus important que celui alloué aux autres usagers et Geneviève Jurgensen rencontre le Président Mitterrand au nom de la Ligue contre la violence routière. Le président de la République revient de Sarajevo et Airy Routier indique que « sa tête est restée en Bosnie. Geneviève Jurgensen se demande même s’il sait que la France entière est bloquée. Seule façon de retenir son attention : comme elle connaît l’existence de Mazarine, elle lui lance : « Et s’il arrivait la même chose à votre fille ? ». Elle gagne la partie : François Mitterrand déclare que « le gouvernement ne reculera pas d’un pouce sur le permis à points » ; le 8 juillet les routes sont dégagées manu militari avec force CRS et même des chars d’assaut AMX ».

J'ai connu Geneviève Jurgensen avant même qu'elle ne fonde la Ligue contre la violence routière, créée trois ans après la mort de ses deux filles dans un accident de la route. Dès novembre 1981, elle m'a appelé sans me connaître pour me demander si j'accepterais de faire partie des personnalités qu'elle recherchait pour soutenir sa candidature aux législatives partielles du mois de janvier suivant. J'ai dit oui et je fus son premier soutien. On connaît la suite. Les occasions de travailler ensemble ont été multiples, et nous n'avons pas toujours eu les mêmes approches, ce qui est normal, l'une dans le rôle d'une militante, moi dans celui d'un expert.

En 1988, notamment, nous avons siégé côte à côte, assidûment, dans la commission qui a produit le Livre blanc pour la sécurité routière à la demande du Premier ministre Michel Rocard. Imaginer Geneviève Jurgensen dans la peau de la goujate qui interpellerait François Mitterrand en empiétant sur sa vie privée et en jouant de la sensiblerie est tout simplement ridicule. En outre elle n’aurait pas utilisé une provocation aussi dangereuse, car elle est tout sauf idiote et ce type de remarque risquait de faire échouer cet entretien particulièrement important pour l’avenir du permis à points.

J’ai demandé à Geneviève Jurgensen quelle était sa version de cet entretien. Elle m’a indiqué que «l'entretien a duré 45 minutes, sans témoin. Je n'ai eu aucun mal à intéresser le président à la cause, même si en effet il n'était au départ guère au courant. Je l'y ai intéressé par un moyen simple: faire porter la discussion avec les routiers sur leurs conditions de travail. A cela, Mitterrand a mordu tout de suite, d'où sa phrase que j'ai citée à la presse qui l'a beaucoup reprise: "Ce sont les serfs de notre époque". Un entretien comparable avec le Premier ministre, Pierre Bérégovoy, qui m'a demandé de venir à Matignon le surlendemain de l'entretien avec Mitterrand, a débouché sur la même conclusion. D'où, ensuite, les négociations fructueuses avec les représentants des routiers, qui ont débouché sur l'amélioration de leurs conditions de travail.». Une commission pour le réaménagement du permis à points a été constituée, elle a doublé le nombre de points tout en doublant le nombre de points retirés pour toutes les infractions sauf le dépassement de moins de 20 km/h de la vitesse autorisée, ce qui était une juste adaptation du dispositif.

Une telle impudence dans le mensonge laisse pantois. Comment Airy Routier pouvait-il imaginer qu’une pareille affabulation allait laisser Geneviève Jurgensen sans réaction ? Ce sont avec de tels faux (F-14) que l’auteur montre à quel point il se moque de tout ce qui pourra être dit de son livre, l’important est de faire peur aux conducteurs et d’accentuer les convictions de ceux qui ont les mêmes idées que lui. Quand une secte se constitue et que des textes sont diffusés par ses fondateurs, les lecteurs « normaux » et dotés d’un minimum de rationalité sont stupéfaits de constater le niveau de nullité de ces écrits. Les documents de base affirment des dogmes et utilisent des besoins affectifs pour obtenir une adhésion. Il faut comprendre qu’Airy Routier utilise les mêmes trucs que l’église de scientologie ou le messie cosmo-planétaire Gilbert Bourdin. Le conditionnement sectaire repose sur la répétition de concepts simples appuyés sur des affirmations sans preuve qui permettent d’occuper une « niche sociale » vacante, par analogie avec les niches écologiques qui seront occupées par une espèce animale.

Il y a un retour dans ce chapitre sur l’erreur logique concernant le risque lié aux « faibles excès » : « Tel qu’il a fonctionné jusqu’en 2002, le permis à points a, globalement, rempli sa fonction. Les mailles du filet permettaient d’attraper les gros poissons tout en laissant passer les petits. Dont j’étais ». C’est justement parce qu’il ne remplissait pas sa fonction que la mortalité sur les routes a stagné dans la période qui a précédé la réforme de 2002 (moins de 3% de réduction de la mortalité entre 1997 et 2002). Après avoir affirmé dès le début de son livre que les chauffards faisant de grands excès de vitesse ont disparu, il aurait dû admettre que c’est le comportement plus « modérément excessif » d’un très grand nombre de conducteurs qu’il fallait modifier et que la diminution des tolérances sur les dépassements de vitesse a été un élément très important pour débloquer la situation et provoquer les progrès très importants des dernières années. L’erreur logique est évidente (L-8).

Ce chapitre contient des propos très caractéristiques de la position que peut avoir un automobiliste expérimenté face à l’application des règles. Le fait de se considérer comme un usager expérimenté conduisant bien permet d’écrire « je suis convaincu de n’être ni un chauffard, ni un mauvais conducteur » et dans les lignes qui suivent : « j’ai roulé vite, trop vite au regard de la loi, lorsque les conditions le permettaient », « Puis j’ai roulé moins vite comme beaucoup d’automobilistes, avant même la vague de répression ». Dans cette même page il utilise à nouveau sa méthode de sélection des faits qui confortent ses raisonnements fautifs (cet argument a déjà été qualifié de faute logique L-3). « La vitesse moyenne sur autoroute n’a cessé de baisser depuis 2002 (131 km/h en 2002, 123 en 2003, 121 en 2004, 120 en 2005), pour remonter un peu en 2006 (123 km/h). Or le nombre de tués sur autoroute a augmenté en 2005, l’année où la vitesse était la plus basse ! 30% des accidents mortels seraient liés à l’assoupissement !» On comprend bien le but de la manœuvre, affirmer qu’il n’y a pas de lien entre la vitesse moyenne sur les autoroutes et l’accidentalité, suggérer ensuite que lorsque l’on roule doucement sur autoroute on somnole et que c’est un facteur d’accident.

L’observatoire des vitesses publie des valeurs de vitesse mesurées en un certain nombre de points des différents réseaux routiers. Comme toute mesure d’un échantillon elle est susceptible de présenter des variations aléatoires non significatives et il faut toujours replacer les valeurs mesurées dans la série de mesures. Airy Routier le fait bien en ce qui concerne l’évolution des vitesses moyennes mesurées en donnant les valeurs de 2002 à 2006, il se garde bien de le faire pour la mortalité sur les autoroutes de liaison en citant uniquement la valeur qui va dans le sens de qu’il veut montrer et non dans le sens de la réalité observée. Il fallait écrire : « Par rapport à 2002 la réduction de la mortalité constatée fin 2005 a été de 38,5% sur l’ensemble des réseaux autoroutiers, de 36,2% sur les autoroutes de liaison et de 43,2% pour les autoroutes de dégagement. Pendant cette période la vitesse moyenne et les dépassements de plus de 10 km/h de la vitesse autorisée ont diminué ». En citant uniquement l’accroissement de la mortalité sur les autoroutes de liaison en 2005 par rapport à 2004, sans indiquer que la proportion de dépassements de plus de 10 km/h s’était accrue sur ce réseau pendant cette période, ni que l’année 2004 avait été marquée par une très forte baisse par rapport à 2003 (-34,5%), Airy Routier exprime sa volonté de désinformer et non une simple inaptitude à exploiter les données. Il ne se situe pas du côté de la malfaçon, mais sans la moindre ambiguïté dans celui de la malfaisance. Son interprétation du risque de somnolence quand on roule plus lentement est un grand classique de la désinformation sur la mortalité observée sur le réseau autoroutier. Il est évident qu’un certain nombre d’accidents sont liés à la fatigue pouvant conduire à la somnolence et éventuellement à l’endormissement.

Quand une cause d’accident régresse sur un type de voie, les autres peuvent ne pas s’accroître en nombre tout en augmentant en proportion. Si les accidents par excès de vitesse régressent, ceux liés aux autres causes s’accroissent quand on les exprime en pourcentage. Les constatations déjà citées de la réduction de 36 tués par milliard de kilomètres parcourus sur les autoroutes en France l’année qui a précédé la fixation d’une limitation de vitesse à 15 tués lors de la fixation à 130 km/h à la fin de la première crise pétrolière, réduisent à néant l'hypothèse du danger d’une réduction des vitesses sur les autoroutes qui accroîtrait l'inattention. Le gain de sécurité produit par la réduction des vitesses est incontestable et il a été observé sur tous les réseaux routiers du monde où cette situation a été documentée. Les quelques exceptions qui ont été montées en épingle pour tenter de nier cette évidence, notamment l’exemple de désinformation célèbre dans les milieux accidentologistes de l’évolution de la mortalité sur les autoroutes du Montana, se sont toutes dégonflées avec l'analyse des faits. Les vitesses réelles n’étaient pas documentées dans le Montana et l’absence de volonté locale d’appliquer les réductions de vitesse fixées au niveau fédéral pendant la crise pétrolière a été établie.

Malgré l’évolution de la conduite de l’auteur vers une modération relative, l’association de l’accroissement du nombre des infractions provoquant un retrait de points à son comportement va lui faire perdre progressivement ses 12 points. La description de cette évolution des sanctions, leur chronologie et la nature des infractions sanctionnées est une des rares partie du livre dépourvue de mensonges, elle recopie le code de la route ou des documents publiés par l’ONISR. La gestion du permis à points est devenue de plus en plus sévère pour être plus efficace, c’est une évidence. Imaginer que les succès des cinq dernières années pourraient être liés à une autre cause que l’accroissement du risque de sanction est absurde et dans cette partie du texte, Airy Routier reconnaît ce qu’il conteste par ailleurs, notamment dans les  phrases suivantes «La répression douce, la menace latente, les avertissements ont fait leur effet. Assagi, j’étais persuadé de ne plus avoir, à l’avenir, de problèmes avec le permis à points, j’étais naïf ». Sa sagesse était encore très relative et il exprime bien avoir été toujours en retard dans la compréhension d’un système évolutif. Il y a deux pages dans ce chapitre qui sont d’une  lucidité et d’une sincérité évidentes. Le refus d’accepter cette évolution de la société et des pouvoirs publics vers la recherche d’un meilleur respect de la loi a conduit l’auteur en garde à vue. Le dernier épisode est sa tentative désespérée de se justifier dans un livre manipulateur fondé sur le mensonge et les fautes de raisonnement.

L’affirmation en fin de chapitre que « le piège principal a concerné les téléphones portables » est intéressante, car cette infraction est l’exemple type de l’infraction volontaire. Il est possible de faire un excès de vitesse involontaire, soit parce qu’une voiture très silencieuse, inutilement rapide, favorise cette dérive, soit parce que l’on n’a pas vu un panneau de signalisation. Il est également possible de passer un feu rouge par inadvertance, lorsque sur un parcours inconnu l’attention est centrée sur la recherche de panneaux indicateurs de direction, ou quand un poids lourd masque le feu. Il est impossible par contre d’affirmer que l’on n’a pas téléphoné volontairement ou pris une communication volontairement. Quand Airy Routier conteste les études sur le risque lié au téléphone portable au volant « Quelles études, quels chercheurs ? », il exprime une nouvelle fois son ignorance délibérée de l’accidentologie (F-15). Surtout ne pas savoir et ne pas se renseigner est clairement la devise de l’auteur, c’est tout un programme pour un journaliste !

Dans le dernier paragraphe du chapitre, l’auteur nous indique que « Ultime paradoxe : faut-il éteindre son téléphone portable avant de prendre la route ? non car il peut être utile en cas d’accident pour prévenir les secours affirme Dominique Perben, selon qui  74% des Français considèrent qu’avoir un téléphone mobile dans sa voiture leur procure un sentiment de sécurité. Comment s’y retrouver ? ». Allez je ne vais pas faire tout le travail ! trouvez l’erreur de raisonnement (L-8).