introduction à l'analyse d'un livre

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Autopsie d’une imposture

 Le livre d’Airy Routier : « La France sans permis »

Claude Got

 Introduction

Depuis l’été 1973 qui a marqué le début de la régression de la mortalité sur nos routes, les décisions gouvernementales et leur application ont été constamment l’objet d’attaques virulentes de la part de conducteurs habituellement passionnés par l’outil automobile, mais incapables d’intégrer la notion de respect des règles et des autres usagers dans leur conduite. Ces contestataires ont toujours utilisé les mêmes « raisonnements » pour tenter de prouver qu’ils avaient raison et dissuader les gouvernants de poursuivre en l’accentuant une politique qui produit des résultats évidents. A leurs yeux, les délinquants de la route, ce sont les autres et il faut éviter de persécuter les « honnêtes gens » qui prennent des libertés avec le code de la route sans le moindre risque pour autrui puisqu’ils conduisent bien et que leurs voitures sont de plus en plus sûres !

Malgré ses succès, la politique de sécurité routière des cinq dernières années est particulièrement attaquée par ceux qui ne supportent pas que l’on tente de modifier leur comportement de « délinquant routier d’habitude ». Leur situation est devenue ingérable du fait de l’association :

- du permis à points qui dissuade le cumul des fautes,

- de la réduction des tolérances sur le respect des limites de vitesse,

- de la suppression des indulgences (qui était devenu un véritable trafic d’influence),

- du contrôle sanction automatisé (CSA) qui a permis le contrôle d’une délinquance de masse

Ce retour à l’application des règles fait qu’une proportion croissante de conducteurs déviants sont arrivés au stade de l’annulation de leur permis et tentent par tous les moyens de rameuter à leur cause perdue la proportion également croissante de conducteurs, dans l’ensemble respectueux des règles, mais qui ont perdu des points du fait d’un moment d’inattention, d’une signalisation mal faite ou peu pertinente. La manœuvre est simple, elle consiste à démontrer que le dispositif mis en place est une « « machine à broyer les honnêtes citoyens devenus des délinquants ». La tactique qui consiste à recruter des partisans pour leur faire défendre une cause qui n’est pas la leur est un grand classique de la stratégie des cyniques asociaux, nous y sommes habitués, elle a été mise en œuvre dans tous les combats destinés à s'opposer aux progrès de santé publique.

La parution le 8 mars dernier d’un livre écrit par Airy Routier, rédacteur en chef de la rubrique « Enquêtes » du Nouvel Observateur a marqué une étape supplémentaire dans ce genre d’écrit par l’ampleur de l’usage de la désinformation. Depuis « l’effroyable imposture » de Thierry Meyssan, on sait qu’une société submergée par la quantité d’information disponible n’est pas à l’abri de ce type de dérive. Il semble même que l’abondance de l’information, sa diversité, favorise son usage déviant. Un flot déferlant est plus difficilement contrôlable qu’un cours d’eau paisible et régulier. Dans un tel contexte, il me semble qu’une analyse de la désinformation dans le domaine de la sécurité routière devenait nécessaire et qu’il était utile de la fonder sur un exemple concret. Le livre de Thierry Routier étant un modèle dans ce genre particulier, je l’ai retenu pour cet essai. Dans de multiples activités d’expertise en santé publique j’ai eu à travailler sur des erreurs décisionnelles et donc à comprendre les mécanismes de l’erreur (Comment tuer l’Etat – Précis de malfaçons et de malfaisances : Bayard éditions 2005). Les pratiques utilisées dans la presse et les livres dans un but de manipulation ne sont pas différents de ceux mis en œuvre par l’industrie du tabac ou de l’amiante. La compréhension de la manière de mal faire est à mes yeux une procédure indispensable pour améliorer une pratique de prévention des risques. Elle est en outre une obligation éthique pour un scientifique. Christian de Duve, prix Nobel de médecine nous rappelait récemment qu’ « il est de notre devoir à nous scientifiques, de défendre la vérité contre les faussaires ». Cette obligation est également écrite dans le code de déontologie des épidémiologistes.