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La route

Après avoir affirmé que l’accident est un tout, il est cependant nécessaire de le dissocier en ses composantes pour mieux comprendre comment elles agissent les unes sur les autres. Cette analyse doit commencer par la route et le véhicule qui sont dans l’ensemble plus faciles à sécuriser que l’être humain. L’usager se déplace sur une « infrastructure ». La relation de cet élément avec la sécurité a une double face :

· les particularités de la chaussée (profil, largeur, revêtement) et les obstacles qui la bordent déterminent un risque « local » qui varie constamment au cours d’un trajet. Une route peut être plus dangereuse qu’une autre et ses caractéristiques déterminent un risque  au kilomètre parcouru . Si de nombreux accidents surviennent sur une zone limitée (intersection, courbe, angle mort...), cette partie de l’infrastructure est qualifiée de « point noir ».

Les caractéristiques d’ensemble d’un système de transports et de sa réglementation, incluant le train, l’avion et la batellerie, déterminent l’usage des infrastructures et conditionnent donc également le risque. Le risque d’accident de la route évolue avec l’accroissement de l’exposition au risque.

Nous envisagerons successivement le risque « local » qui dépend des caractéristiques des routes empruntées et le risque « organisationnel » qui dépend du nombre de kilomètres effectués sur les différents types de voies par usagers utilisant des moyens différents (véhicules légers, deux-roues, poids lourds...). 

Le risque « local »

Le nombre de tués ou leurs proportions peuvent être exprimés en fonction du lieu où l’accident s’est produit. En 1997, 2 526 personnes ont été tuées en agglomération (31,6%) et 5 463 hors agglomération (68,4%). Nous connaissons la répartition de ces victimes sur les différents types de voies, 446 tués sur les autoroutes (5,6%), 2 177 sur les routes nationales (27,3%), 4 159 sur les routes départementales (52%) et 1 207 (15,1%) sur les voies communales. 82,6% des tués ont été victimes d’accidents se situant en dehors des intersections.

Le risque est mieux précisé si l’on rapporte la mortalité à une distance parcourue sur une infrastructure aux caractéristiques définies physiquement. Par convention, c’est le nombre de tués pour 100 millions de kilomètres parcourus. En 1996 il a été de 0,56 pour l’ensemble du réseau autoroutier et de 2,55 pour les routes nationales. Le risque sur les autoroutes de liaison est plus élevé que celui observé sur les autoroutes de dégagement limitées à 110 km/h et supportant une circulation plus dense. Le risque est multiplié par 1,6 quand on utilise une route à deux voies par rapport à une route à quatre voies non autoroutière, la route à trois voies se situant à un niveau intermédiaire (x par 1,4 du risque d’être tué).

Les risques liés à l’infrastructure, comme ceux liés à l’usager et à son véhicule, ne sont pas indépendants des deux autres groupes de risques. Ils s’établissent à un niveau qui dépend non seulement des caractéristiques physiques de la voie, mais aussi des catégories de véhicules qui l’utilisent, de la densité de circulation et des conditions dans lesquelles les usagers les utilisent (apprentissage, information, respect des règles, efficacité du système répressif...). Le risque de mourir sur un autoroute peut être trois fois plus faible que sur une route ordinaire à deux voies, il peut devenir six fois plus faible en réduisant les vitesses pratiquées. La courbe de l’évolution des taux de mortalité au kilomètre sur autoroute depuis les décisions de 1973 démontre que, sur une infrastructure aux caractéristiques fixes, la sécurité peut varier dans de larges proportions si l’on modifie d’autres facteurs de risque, tels que la vitesse maximale autorisée. La densité de la circulation sur une autoroute va également influencer le risque alors que les caractéristiques de la voie sont inchangées. Les autoroutes de dégagement supportent une densité de circulation élevée, le risque y est plus faible que sur une autoroute de dégagement car les vitesses de circulation sont réduites par l’accroissement de la densité. L'influence sur la mortalité de la densité de circulation sur les autoroutes de différents pays industrialisés fait l'objet d'une étude particulière présentée sur le site.

Dans ce cas, comme sur les autres types d’infrastructure, la variable la plus importante est la vitesse, ce qui n’est guère surprenant puisque toutes les blessures sont liées à des forces produites par les variations de vitesse subies par le corps humain. Le risque d’être soumis au cours d’un accident à une variation de vitesse élevée, proche de la vitesse de circulation, dépend de l’infrastructure sur laquelle on circule. Il est faible sur un autoroute où tous les véhicules vont dans la même direction, sans intersection, sans arbre ni autre obstacle fixe non protégé à proximité des chaussées. Hors agglomération il est maximal sur une route bordée d’arbres lors d’une perte de contrôle, aux intersections, ou lors d’une collision frontale sur des routes à deux, trois ou quatre voies dont les chaussées ne sont pas séparées. Dans un environnement urbain le risque le plus important pour les automobilistes et les deux roues est en intersection, en particulier sur les voies très larges où les limites de vitesse sont mal respectées. Ces voies sont souvent bordées par des obstacles fixes (arbres, mobilier urbain) et elles sont utilisées par des catégories d’usagers très diverses dont les variations de comportement sont plus importantes que sur une infrastructure spécialisée.

L’objectif d’une politique de sécurité routière est donc de fixer la vitesse de circulation au minimum acceptable par les usagers, dans un environnement dont on aura réduit au maximum l’agressivité physique par une politique d’aménagement privilégiant la sécurité. La relation entre l’acquisition des connaissances et leur mise en oeuvre dans le domaine de la sécurité routière est proche de ce qui est observé en médecine. A un moment donné, un savoir-faire est disponible et les prescripteurs doivent l’utiliser. La notion de « bonne pratique » n’apparaît plus seulement comme une attitude recommandée, mais comme une nécessité qui s’impose. La responsabilité d’un médecin est engagée si son attitude s’éloigne de ce qui est reconnu comme étant efficace. La notion de référence médicale opposable développée dans les conventions entre syndicats médicaux et sécurité sociale est une autre forme de cette reconnaissance d’une bonne pratique, la notion de coût s’ajoutant à la notion d’efficacité pour faire choisir la meilleure solution. Plus d’un siècle de jurisprudence a abouti au concept de « l’obligation de moyens » qui impose au médecin d’utiliser le meilleur savoir disponible et reconnu pour traiter son patient. Dans le domaine de la sécurité routière la problématique est la même, mais les pratiques sont encore très éloignées de ce que devrait être cette obligation de moyens. Nous pouvons l’analyser avec des exemples concrets concernant les deux grands types de risques locaux liés à l’infrastructure : le risque sur les sections de rase campagne et le risque en agglomération.

 

Le risque hors agglomération 

La géographie physique et humaine de la France est très favorable au tourisme et à la joie de vivre dans ce pays, elle est défavorable à la sécurité routière. La faible densité de population est un élément important de la qualité de la vie qui a des contreparties. La multiplicité des agglomérations, leur dispersion, imposent un réseau routier très long, avec une part importante de la circulation sur des routes dites secondaires à faible débit où le risque au kilomètre parcouru est élevé pour celui qui les emprunte. Il suffit de regarder une carte associant la géographie humaine et la représentation des infrastructures autoroutières de l’Italie, de l’Allemagne ou de la Grande Bretagne avec l’indication des débits de circulation pour comprendre l’avantage structurel de ces pays sur le nôtre en matière de sécurité routière, même s’il n’explique qu’une partie des différences de mortalité observées. Un nombre limité de grands axes autoroutiers met la majorité de la population à une faible distance d’une infrastructure sûre. Rien de tel en France, le développement des autoroutes a été relativement tardif, longtemps centré sur Paris, et les investissements nécessaires pour obtenir un maillage satisfaisant de l’ensemble du territoire sont plus difficilement finançables par le secteur privé, le coût au kilomètre parcouru par un usager sur un réseau autoroutier augmentant au fur et à mesure de la réalisation des axes les plus fréquentés. En 1993, 10,6% des kilomètres parcourus l’ont été sur des autoroutes de liaison et 6,1% sur des autoroutes de dégagement. D’autre part les investissements pour la sécurité sur le réseau non autoroutier sont insuffisants en qualité et en quantité alors que son rôle demeurera très important une fois les besoins autoroutiers « raisonnables » satisfaits.

Les recherches sur les risques liés à l’infrastructure sont maintenant suffisamment nombreuses et productives pour permettre des applications extensives et obligatoires du savoir-faire acquis. Les défaillances proviennent d’insuffisances réglementaires et de la multiplication des centres de décision locaux qui nuisent à l’homogénéité des réalisations. Les services techniques chargés de promouvoir l’usage des meilleures solutions possibles, en particulier le SETRA (Service d’Etudes Techniques des Routes et Autoroutes), le CETUR (Centre d’Etudes des Transports Urbains) devenu maintenant le CERTU ( Centre d’Etudes sur les Réseaux, les Transports, l’Urbanisme et les constructions publiques) ont produit de multiples documents précisant les règles de bonne réalisation d’une infrastructure mais par un défaut à la fois d’une prise de conscience suffisante et d’une volonté d’agir, les pouvoirs publics n’ont pas su imposer aux différents maîtres d'oeuvre le choix de l’infrastructure la plus adaptée. Plusieurs exemples permettent d’illustrer ces insuffisances.

 

Les obstacles fixes rigides

Les pertes de contrôle sur les réseaux non autoroutiers ont des conséquences très graves quand elles provoquent une collision frontale avec un autre véhicule ou contre un obstacle fixe, rigide. Il s’agit le plus souvent d’un arbre, d’un poteau supportant un câble électrique ou téléphonique, d’une pile de pont, d’un mur de clôture ou d’un immeuble. Le risque est d’autant plus élevé que l’obstacle est plus proche de la chaussée et que sa déformation est faible quand il est heurté par un véhicule. Certains de ces obstacles ne peuvent être modifiés ou protégés et la seule solution pour réduire le risque est d’agir sur la vitesse de circulation.

Mais dans de nombreux cas la protection des usagers peut être assurée par une politique de suppression systématique de ces obstacles ou par leur protection. Les arbres en bordure des routes sont un agrément compatible avec la sécurité sur un réseau secondaire quand ils sont plantés au delà d’un fossé ayant des caractéristiques définies pour prévenir leur franchissement tout en évitant les retournements. Dans un pays dont les excédents agricoles contraignent à créer des jachères, nous ne savons pas augmenter de quelques mètres l’emprise d’une voie pour créer des plantations dénuées de risque. Les mêmes remarques peuvent être formulées pour les multiples poteaux implantés à des distances de la chaussée incompatibles avec la sécurité. Quand une plantation a une ancienneté qui lui confère une valeur sentimentale ou esthétique, elle peut être protégée par une glissière de sécurité si la largeur de la chaussée le permet (pour avoir une efficacité optimale une glissière ne doit pas être au contact immédiat d’un arbre afin de pouvoir assurer une protection en se déformant). Si la chaussée est trop étroite il faut envisager son doublement en maintenant une seule voie à sens unique entre les alignements d’arbres à conserver. Si aucune de ces solutions n’est possible ou si leur coût est trop important, il faut réduire la vitesse de circulation pour signaler à l’usager le surrisque et limiter le danger auquel il est exposé.

Quand un choix de sécurité a été fait, il faut traiter tout le segment concerné de façon homogène et utiliser des procédures normalisées. Nous disposons de normes sur les glissières de sécurité qui peuvent être placées devant une plantation d’arbres, mais pas sur les circonstances qui devraient imposer leur mise en place. Aucun interdit ne concerne la plantation ou la replantation d’arbres entre la chaussée et le fossé bordant une voie située hors d’une agglomération en l’absence d’une protection. Nous sommes en présence d’une carence de notre système décisionnel, or il est impossible d’engendrer de la sécurité sur les routes si les meilleures solutions ne sont pas retenues sur chaque segment particulier de nos infrastructures.

 

Le risque en intersection

La bonne utilisation des moyens financiers destinés à améliorer les routes (circulation et sécurité) fait privilégier les voies les plus utilisées. Des passages inférieurs ou supérieurs supprimant les intersections rapprocheront ces voies des autoroutes, mais le coût en sera élevé. A l’opposé, quand une intersection concerne deux voies à faible débit de circulation, la seule possibilité pratique est de mettre en place une bonne signalisation, toute autre solution produirait des résultats sans proportion avec l’investissement à réaliser pour modifier physiquement le carrefour. Le cas le plus intéressant est également le plus fréquent, une voie supportant un trafic moyen croise une autre voie dont le trafic ne peut être négligé, quelle solution faut-il retenir ? en particulier quand une réfection de la chaussée peut fournir l’opportunité de modifications pour un coût réduit.

Pour traiter une intersection à niveau, le prescripteur a le choix entre trois solutions principales

Les feux de signalisation ont des indications principalement urbaines. Ils sont mis en place quand la densité de la circulation provoque des conflits entre les usagers provenant des différentes voies, induisant des blocages de la circulation et des accidents. C’est la solution qui s’impose quand le carrefour ne peut être modifié du fait d’habitations existantes ou si les flux de circulation sont tels qu’un mini-giratoire rendrait difficile l’accès au carrefour de certaines voies. Quand on dispose de place, en particulier en rase campagne, le giratoire a remplacé d’une part les intersections équipées de feux et surtout les carrefours complexes avec des îlots séparateurs et des zones de stockage de véhicules, combinées à des panneaux de signalisation établissant des règles de priorité. Ces carrefours complexes ont représenté à une certaine époque une étape dans le traitement de l’insécurité routière en intersection, comme un médicament imparfait et provoquant de nombreux effets secondaires dangereux peut être utilisé en l’absence d’un produit plus sûr et plus efficace. Le problème posé actuellement est le suivant : ces carrefours complexes ont-ils encore des indications pour traiter des intersections ou faut-il les faire disparaître au profit des giratoires ?

L’argument qui est encore développé pour récuser un giratoire au profit d’un aménagement plus traditionnel du carrefour (îlots de séparation des flux de circulation, stockage des véhicules qui changent de direction...) est l’inégalité du débit de véhicules entre les voies, par exemple une route à grande circulation croisant une voie secondaire. Il faut ralentir beaucoup d’usagers sur la voie principale pour obtenir une réduction du nombre de blessés et de tués d’autant plus faible que la différence de circulation entre les deux voies est importante. Il faut remarquer qu’un giratoire ne provoquera pas de réduction du débit sur la voie principale, mais il réduira la vitesse des usagers qui passeront le carrefour (il ne faut pas confondre débit et vitesse, le débit d’une voie classique est maximal pour une vitesse se situant entre 40 et 50 km/h, au-delà les distances entre les véhicules doivent augmenter plus que la vitesse et le débit se réduit). Un passage de 90 km/h à 30 km/h sur environ 250 mètres, le passage d’un giratoire, puis la reprise de la vitesse initiale sur la même distance après l’intersection font perdre environ 20 secondes à un usager. En contrepartie le risque d’accident corporel ou mortel est divisé environ par 2,5, ce qui est un gain considérable, comparable à l’efficacité de la ceinture de sécurité pour un occupant de véhicule léger. Il faut en outre envisager le rôle de ralentisseur du giratoire qui n’est pas négligeable. Quand une route à grande circulation croise de nombreuses voies secondaires, une succession de giratoires réduit la vitesse de base sur l’axe principal et la diminution de la fréquence des accidents se situe à la fois sur les segments séparant les intersections et au niveau de ces dernières.

Les éléments déterminant le choix peuvent être formulés de la façon suivante : quel débit minimal sur la voie principale et quelle proportion de ce débit sur la ou les voies secondaires faut-il exiger pour justifier un giratoire à une intersection ? Une autre formulation plus complète est de demander quel prix (exprimé en temps de transport accru) on accepte de payer pour une réduction de 2,5 du risque que l’on prend en traversant une intersection ? Le problème est rarement posé de façon aussi explicite, ce sont les routines locales qui prévalent, voire les options personnelles de celui qui conçoit la réfection d’une infrastructure. Le savoir est cependant disponible, un manuel de la « sécurité des routes et des rues » a été publié en 1992 par le SETRA et le CETUR. Il indique : « Les carrefours giratoires dont la sécurité est excellente doivent être utilisés en priorité sur les carrefours les plus chargés en trafic secondaire. Du strict point de vue de la sécurité, ce type de carrefour aboutit a un meilleur bilan d’accident dès que le trafic secondaire atteint 1/20 environ du trafic principal sur les carrefours à quatre branches et environ 1/10 du trafic principal sur les carrefours à trois branches sur routes à deux ou trois voies ».

Quand une nouvelle voie est créée, le problème du coût financier de l’aménagement n’intervient pas, un carrefour complexe est aussi onéreux qu’un giratoire. Il s’agit uniquement du choix entre vitesse et sécurité. Les exemples sont nombreux de choix de la solution la moins sûre lors d’une réfection de chaussée et d’intersection postérieure à l’acquisition des connaissances sur l’efficacité des giratoires. Il faut que nous réformions ces comportements arbitraires et exiger des maîtres d’ouvrages la justification technique et accidentologique des choix effectués, en respectant des critères et des savoir-faire homogènes.

Ces exemples concernant les obstacles verticaux ou les intersections font apparaître une notion qui domine la réalisation des infrastructures, celle de cohérence. Si les obstacles, les courbes, les intersections imposent un niveau de vitesse défini pour que les usagers utilisent cette partie d’infrastructure sans risque notable, il faut que toute cette section soit traitée de façon homogène et fasse apparaître sans ambiguïté à l’usager le type de voie qu’il utilise et la vitesse de circulation choisie. Cette reconnaissance sera d’autant plus facile qu’une normalisation aura défini un nombre limité de types de voies et leurs caractéristiques.

Il est facile de reconnaître une route protégée, isolée de son environnement, qu’il s’agisse d’une autoroute ou d’une voie rapide du réseau national ou départemental, les carrefours à niveau sont remplacés par des carrefours dénivelés (passages supérieurs ou inférieurs) avec des bretelles d’accès aux voies qui la rejoignent ou la croisent. Les habitations n’ont pas d’accès direct sur ces routes protégées qui ont une sécurité maximale malgré une vitesse de circulation relativement élevée. La circulation des cyclistes est dangereuse sur ces infrastructures quand elles n’ont pas un statut d’autoroute interdisant les deux roues non immatriculés. L’existence de deux voies dans chaque sens provoque fréquemment des heurts de vélos par l’arrière quand le véhicule qui est sur la voie de droite ne peut se déporter pour doubler le cycliste, la chaussée de gauche étant occupée par un véhicule qui le dépasse. La seule solution acceptable est la réalisation d’une piste cyclable séparée de la chaussée où circulent les véhicules à quatre roues. Un bande cyclable n’est pas satisfaisante quand les véhicules à quatre roues ont une vitesse de circulation élevée.

A l’opposé de ce type de route se situe la voie départementale ou communale supportant un faible trafic. Elle doit être correctement signalée, en particulier pour éviter les pièges réalisés par des ruptures brutales de profil qui surprennent l’usager.

La situation intermédiaire est celle qui pose actuellement le plus de problèmes et qui est traitée avec le plus d’hétérogénéité. Elle concerne les voies départementales dont le trafic ne justifie pas de gros investissements, mais où il est indispensable de modérer la vitesse par des éléments d’infrastructure adaptés, en particulier à l’entrée des agglomérations. Le rond point demeure la meilleure solution en intersection. Ces voies doivent être bordées par une bande cyclable dès que la circulation des deux roues lents est significative.

 

Le risque en agglomération

La coexistence dans une circulation urbaine d’usagers aux vitesses et aux comportements très différents (piétons, deux-roues lents, véhicules de livraison, transports en commun de surface effectuant de fréquents arrêts...) et la nature de l’environnement (intersections, mauvaise visibilité du fait des habitations, nombreux obstacles verticaux tels que les arbres, les lampadaires, les feux de signalisation) imposent une circulation lente (exceptionnellement 70, le plus souvent 50, mais dans les centres-villes 30 km/h devient la meilleure solution en dehors des voies principales). La difficulté est de mettre en accord l’infrastructure avec la vitesse souhaitée, c’est-à-dire de donner une lisibilité à la rue pour obtenir que les vitesses de sécurité soient respectées. Un grand boulevard avec quatre voire six voies de circulation avec une limitation de la vitesse à 50 km/h est un non-sens urbanistique. Si le boulevard est considéré comme une voie de transit avec une vitesse de base de 70 km/h, il doit être traité comme tel, des passages inférieurs ou supérieurs permettront la circulation des piétons, les deux-roues lents ont une voie qui leur est réservée et les intersections sont traitées avec des souterrains ou des giratoires (exemple du boulevard périphérique d’une agglomération de taille moyenne). Si les distances à parcourir ne justifient pas le maintien d’une vitesse relativement élevée, il faut que le 50 km/h qui est la norme retenue en ville soit imposé par une infrastructure dissuadant une vitesse supérieure. La multiplication des mini-giratoires, le rétrécissement de la chaussée, des trajectoires imposées par des chicanes, des plans de circulation dissuadant le transit au profit de la circulation locale sont des méthodes qui vont dans le sens d’une sécurité « structurelle » imposant sa logique aux usagers. Il faut éviter la discordance entre la vitesse suggérée par l’infrastructure et la vitesse souhaitée.

Quand il est impératif de ralentir la vitesse à un niveau proche de 30 km/h, en particulier dans le centre-ville, à proximité des zones piétonnes, devant une sortie d’école, ou dans des quartiers résidentiels, des dispositifs spécifiques peuvent être utilisés, en particulier les ralentisseurs en relief par rapport à la chaussée (dos d’âne, gendarme couché). Ce mode de ralentissement a été l’objet du premier débat concret dans notre pays sur la normalisation des équipements routiers. Les différents acteurs de la sécurité routière ont implanté des ralentisseurs dans le plus grand désordre en commettant deux types d’erreurs, les unes concernent la pertinence (mettre un ralentisseur dans un endroit qui relève d’un autre mode de limitation de la vitesse), les autres la réalisation (faire un mauvais ralentisseur). Dans le pire des cas la méthode pouvait se révéler inefficace et même dangereuse. Un ralentisseur doit être implanté sur une longueur de chaussée suffisante pour que les véhicules qui le passent lentement ressentent simplement une ondulation de la chaussée et non un obstacle provoquant un choc. Les ralentisseurs « bon marché » sont agressifs pour les suspensions et les éléments de direction tout en étant inefficaces quand ils ont une faible hauteur, ils sont efficaces mais potentiellement dangereux quand ils sont à la fois hauts et courts. Il s’agit d’un équipement dont la normalisation s’imposait (longueur d’implantation, caractéristiques du raccordement avec la chaussée qui doit être progressif, hauteur de la dénivellation), elle s’est faite en deux temps. Il s’est d’abord agi d’une recommandation publiée dès 1985. La hauteur de la dénivellation devait être de 10 centimètres, la longueur pour atteindre cette dénivellation de 1mètre. Malgré cette recommandation, des ralentisseurs aux formes très diverses se sont multiplié. Finalement une décision a été prise en 1994 pour rendre obligatoires les conditions d’implantation d’un ralentisseur et ses caractéristiques physiques. Les responsables des infrastructures ont eu une année pour mettre en conformité les ralentisseurs les plus fantaisistes, mais ils disposaient d’un délai de cinq ans pour ceux qui étaient plus proches de la norme. Actuellement tous les ralentisseurs doivent être conformes au savoir-faire fixé par cette normalisation. Quinze ans auront été nécessaires pour passer de la connaissance à l’application pratique, les derniers ralentisseurs non conformes à la norme devaient avoir disparu en 1999, mais, faute d’un contrôle systématique, des dispositifs qui ne la respectent pas sont encore présents plusieurs années après cette échéance.

C’est pour lutter contre l’arbitraire des petits pouvoirs locaux et promouvoir une conception normalisée et optimisée des infrastructures que les rédacteurs du livre blanc de sécurité routière de 1988 ont proposé une inspection des infrastructures par des organismes de contrôle extérieurs aux réalisateurs de l’infrastructure. Cet objectif n’a jamais été atteint, un début de normalisation a été obtenu pour certaines réalisations mais nous n’en sommes pas encore au stade de la normalisation des indications de leur mise en oeuvre qui est le véritable objectif. Il ne suffit par de normaliser au niveau européen la signalisation ou les glissières de sécurité, il faut faire des réunions de consensus sur les bonnes pratiques, les publier et en faire des références opposables aux responsables des infrastructures, en particulier quand des accidents surviennent sur des équipements réalisés après la détermination de ces références. En 1998 l’Assemblée Nationale a introduit dans une loi de sécurité routière cette notion fondamentale de normalisation des infrastructures et de leur expertise par des organismes indépendants. Cette disposition a été supprimée par le Sénat en utilisant l’argument du risque d’augmenter la responsabilité des élus locaux. C’est comme si l’on refusait de normaliser une prise de courant pour ne pas mettre en cause la responsabilité de l’installateur ! Actuellement les infrastructures nouvelles sont soumises à des vérifications visant à optimiser la sécurité, mais ce sont bien entendu les infrastructures anciennes qui posent des problèmes.

 

Le risque organisationnel

Chaque pays subit des contraintes liées à sa géographie physique et humaine ainsi qu’à l’histoire du développement de ses transports. Il doit maintenant intégrer des exigences relativement nouvelles, une plus grande sécurité, la réduction des nuisances sonores et de la pollution, qui s’ajoutent aux conditions initiales dominées par les notions de vitesse et de coût du transport.

Par leur aptitude à minimiser le transit des poids lourds à travers leur territoire, la Suisse et l'Autriche ont contrôlé le risque lié au développement du trafic des poids lourds. Les résultats obtenus sont coûteux et à court terme, l’investissement de sommes identiques dans d’autres domaines de la sécurité des transports et de la protection de l’environnement pouvait produire des bénéfices plus importants, mais la pression de l’opinion publique peut être décisive dans l’aboutissement de ce type de projet qui va à l'encontre du développement régulier et important du transport routier. A long terme la dissasion du trafic des poids lourds par des taxations, des prix de péage dissuasifs ou des interdits peut avoir un effet favorable important à la fois sur les nuisances (bruit, pollution) et sur la sécurité routière. L'accident survenu dans le tunnel du Mont Blanc, a relancé en France le débat sur le ferroutage et à hâté la décision concernant le projet de nouveau tunnel entre la France et l'Italie. Cela s'est fait avec des arguments bizarres, comme si le transfert sur voie ferrée réduisait le risque d'incendies dans les tunnels, alors que celui qui est survenu dans le tunnel sous la manche a démontré que tous les tunnels, routiers ou ferroviaires étaient exposés aux incendies, la seule garantie efficace étant un tunnel de service ventilé avec une pression supérieure à celle du tunnel principal. La sécurité dans les grands tunnels alpins ne sera pas assuré par un ferroutage qui mettra dix ou quinze ans pour faire passer une fraction de la circulation, mais par la réalisation rapide d'une galerie de service dans tous les tunnels dépassant une certaine longueur.

Pour analyser l’efficacité de tels choix, il est indispensable de comprendre l’évolution des politiques de transport et leurs conséquences. Les caractéristiques des routes et les conditions réglementaires de leur usage (vitesses, charges autorisées, réglementation du travail...), les taxations des différents modes de transport (taxes sur les carburants, taxes à l’essieu, TVA...) influencent les temps de transport et le coût. Les pouvoirs publics semblent avoir la possibilité de privilégier la route en créant des conditions favorables à sa productivité, ou de tenter de limiter son développement au profit d’autres modes de transport par une réglementation et une politique des prix favorables à la sécurité et la protection de l’environnement. Nous savons que leur marge de manoeuvre est devenue très faible, la route est le moyen de transport dominant, pour les individus comme pour les marchandises ; elle le restera du fait des avantages qu’elle présente. La mondialisation de la concurrence dissuadera un Gouvernement de placer les entreprises nationales dans une situation qui les handicaperait par rapport à celles des pays voisins. Les accords européens vont également dans le sens d’un renoncement à une politique nationale très différente de celles de nos principaux associés et concurrents. Ces freins institutionnels ou liés à la concurrence impliquent que nous redéfinissions les conditions de la sécurité dans le système de transport qui restera dominant : la route. Ce constat réaliste n’exclut pas de favoriser le développement d’autres modes de transports moins dangereux que l’instrument individuel motorisé, mais il est vain d’espérer des résultats importants de ces restructurations dans le domaine de la sécurité routière. Leurs effets seront lents et minimes, peu d’usagers étant disposés à assumer le coût et les inconvénients du renoncement aux transports individuels.

La majorité de la population de notre pays vit dans des grandes agglomérations qui regroupent des activités industrielles et des services dont le développement est facilité par la mobilité de l’emploi. L’importance de la formation et la diversité des emplois ont également contribué à la concentration de spécialistes dans les grands centres. Les contreparties de cette évolution sont à la hauteur des avantages qu’elle produit, les agglomérations atteignent des dimensions inhumaines, les temps de transport représentent un gaspillage et une fatigue de plus en plus mal supportés par une population dont les conditions d’existence se sont par ailleurs considérablement améliorées. Le transport automobile a été un élément essentiel de cette évolution. L’éloignement d’une population dans des banlieues de plus en plus lointaines (la distance réduisant les coûts des terrains et donnant accès à la maison individuelle) a accru les difficultés de réalisation du réseau de transport en communs, les investissements pour développer ces derniers courant sans succès après des besoins qui évoluent plus vite qu’eux. Faire croire à un habitant de la banlieue parisienne, lyonnaise, ou toulousaine, qui doit se rendre dans une autre partie périphérique de l’agglomération qu’il doit utiliser les transports en commun est une affirmation que l’on formule plus facilement si l’on ne se trouve pas quotidiennement confronté à cette situation. Son temps de transport sera multiplié par deux ou par quatre par rapport à l’automobile car la taille de ces juxtapositions d’agglomérations et le développement de leurs pôles d’activité sont devenus incompatibles avec l’usage prédominant d’un réseau de transports en commun orienté de la périphérie vers le centre. La multiplication des lieux de destination et des lieux de départ sur des surfaces de plus en plus grandes accroît les combinaisons possibles et rend les transports en commun totalement mal adaptés à ces nouvelles structures urbaines. Il est tentant de créer le ralentissement par la congestion du réseau qui est inévitable si la demande de déplacement s’accroît sur une infrastructure qui n’évolue pas. Cette solution n’est pas rationnelle, elle est responsable d’un gaspillage de carburant, de pollution et d’une perte de liberté de l’usager qui se trouve prisonnier d’un système fondé sur la mobilité et le transport individuel et qui ne dispose pas d’un produit de substitution capable de répondre à sa demande. Il est plus rationnel de créer les infrastructures routières permettant d’assurer une circulation fluide tout en la limitant par des dissuasions spécifiques aux centres des agglomérations (limitation et paiement du stationnement, zones piétonnes) associées à des actions d’aménagement du territoire qui réduisent les avantages des agglomérations aux dimensions excessives et à des dispositions générales (vitesses basses) qui contribuent également à limiter l’intérêt du gigantisme en matière d’urbanisation.

Un tel programme suppose une politique urbaine difficile à coordonner dans un pays où le découpage communal a morcelé la prise de décision à un niveau extrême. Le bouclage de l’autoroute A86 à l’ouest de Paris a montré comment un groupe particulièrement favorisé dans ses conditions de vie pouvait bloquer un projet d’intérêt général, alors que celui-ci avait pu être mené à bien dans les zones de l’agglomération parisienne où les habitants étaient moins aptes à défendre leur pré carré. Les favorisés de la banlieue ouest veulent pouvoir utiliser leur voiture individuelle pour aller à leur travail, gagner un aéroport ou un golf, ils ne veulent pas que les autoroutes approchent de leur lieu de résidence, et finissent par obtenir leur passage souterrain, pour un coût très élevé qui aura pour conséquence le péage. Ils refusent également la réduction de la vitesse des véhicules alors qu’il s’agit de la méthode la moins coûteuse pour diminuer les nuisances sonores d’une voie rapide urbaine. Ces attitudes montrent les limites de la rationalité et de la solidarité d’une population confrontée à ces difficultés.

Ce constat de la relative irréversibilité du développement du transport individuel dans des véhicules légers et du transport de marchandises par la route ne doit pas faire renoncer à une action dans ce domaine, mais au contraire la susciter sans se lancer dans des alternatives peu crédibles. Il est toujours possible de diminuer le risque routier par une réduction de la vitesse sans altérer notablement le service rendu. Une réduction de la vitesse des poids lourds irait en particulier dans le sens d’un affaiblissement de la pollution et d’une augmentation de l’emploi qui se conjugueraient avec la réduction du risque accidentel. La masse des poids lourds modernes, leur puissance les rendent particulièrement agressifs dans les accidents en série sur autoroute et aucune amélioration de leurs structures ne permettra de réduire cette agressivité. La seule solution est de réduire leur vitesse de circulation.

Conclusions

Nous ne pouvons pas espérer une amélioration de la sécurité routière en France à court ou moyen terme par une action volontariste réorientant la politique des transports. Ces actions sont longues, coûteuses et elles comportent un risque d’augmentation des charges des entreprises qui fera reculer les pouvoirs publics. Il est tout aussi illusoire d’espérer une réduction de la circulation par une politique d’augmentation du prix de l’essence ou du fioul obtenue par la taxation (TIPP ou TVA), l'accroissement  . Si l’exposition au risque n’est pas modifiable par une réduction de l’usage de l’infrastructure, le seul espoir d’amélioration proviendra d’actions conjointes sur les comportements, les véhicules et l’infrastructure. Cette dernière doit assurer le maximum de sécurité techniquement possible et finançable par la collectivité. Il est indispensable d’abandonner un système décisionnel qui disperse les responsabilités et de s’organiser pour que l’infrastructure soit évaluée, normalisée et optimisée.

Evaluée en créant un organisme indépendant de ceux qui réalisent les infrastructures et dont la mission serait d’évaluer leur conformité au savoir-faire du moment et aux normes. Cette évaluation interviendrait dès le stade du projet pour les infrastructures nouvelles, elle serait suivie d’une vérification au moment de la mise en service. Une surveillance permanente des résultats serait effectuée par des organismes indépendants des maîtres d’ouvrage, au niveau du département pour le réseau dépendant du conseil général et des communes, au niveau national pour les autoroutes et les routes nationales.

Normalisée en fixant les règles de réalisation des infrastructures les plus usuelles, en particulier de tous les aménagements destinés à assurer la sécurité ; non seulement les ralentisseurs, mais les giratoires, les chicanes, les séparateurs de circulation, les obstacles fixes rigides, doivent répondre à des exigences assurant la meilleure sécurité possible. Des délais peuvent être accordés pour la mise en conformité des équipements existants et non conformes aux normes, comme cela a été fait pour les ralentisseurs.

Optimisée en fixant les règles du choix entre les différents types d’infrastructures possibles. Il faut interdire les carrefours complexes quand un giratoire est possible, il faut imposer la mise en place de systèmes assurant la sécurité en agglomération. Chaque fois qu’une infrastructure nouvelle ou un aménagement a prouvé sa supériorité dans le domaine de la sécurité, ses caractéristiques doivent s’imposer pour chaque nouvelle réalisation de route ou réfection d’infrastructures anciennes dans un contexte identique.

Ces exigences doivent être satisfaites pour nous faire sortir d’une conception révolue de l’amélioration des routes qui se limite au traitement des zones à risque élevé. Il faut développer une recherche permanente de la meilleure solution possible pour toutes les infrastructures existantes, en hiérarchisant les risques et en optimisant l’usage des moyens. En l’absence d’une telle politique nous conserverons un risque élevé sur l’ensemble du réseau. Il n’y aura plus de points noirs, mais les accidents surviendront de façon diffuse sur un réseau qui n’aura pas la sécurité maximale que l’on aurait pu lui conférer pour un coût équivalent. Les industriels savent que l’amélioration de la qualité est une tâche permanente reposant sur une action portant sur chaque étape de la fabrication d’un produit. Les médecins savent que les services qui obtiennent les meilleurs résultats thérapeutiques tentent de maîtriser tous les facteurs de risque sans se limiter à l’élimination des praticiens incompétents ou dangereux. Sur la route la transition n’est pas encore faite entre ces deux cultures, il y a des milliers de morts à éviter en passant de la suppression des zones dangereuses à la recherche du « zéro défaut ». Cette dernière approche est la seule acceptable dans le domaine de la sécurité routière. Ce n’est pas une obligation de résultats, c’est un état d’esprit.

Les cinq points les plus importants pour assurer une sécurité par l’infrastructure