commentaires sur le cisr de décembre 2002

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Cette première analyse a été placée sur le site dans la soirée du 18 décembre. Elle sera maintenue sans modifications autres que des modifications orthographiques.

Le fait le plus intéressant dans le relevé de décisions de ce CISR est l'amorce d'un rejet du concept de véhicule inutilement rapide. Il faut remarquer que certaines phrases traitant cet aspect sont dans le premier texte et ne sont pas dans le second, il est probable qu'elles n'étaient pas encore décidées au moment où le texte long a été élaboré et qu'elles font partie des ultimes arbitrages. C'est notamment le cas du contrôle des vitesses moyennes sur les autoroutes par les tickets de péage, et  de la volonté de la France de faire prendre en compte la limitation de vitesse à la construction pour tous les types de véhicules au niveau européen. Les trois premières phrases suivantes sont extraites du communiqué de presse, la quatrième du second communiqué :

Il s'agit d'une rupture dans l'évolution vers des véhicules toujours plus puissants et rapides, dont les caractéristiques sont en contradiction totale avec les règles sur les limites de vitesse. L'autoroute est moins dangereuse au kilomètre parcouru que le réseau non autoroutier, mais elle est l'école de la vitesse, elle habitue à rouler vite et incite à acheter, donc à produire, des véhicules inutilement puissants et lourds, agressifs et dangereux pour les utilisateurs de véhicules plus légers. Une étude récente, reprenant la même méthodologie qu'une étude précédente faite par les constructeurs, confirme que dans les chocs frontaux entre des véhicules de moins de 800 kg et des véhicules de plus de 1200 kg, le risque d'être tué est six fois plus élevé dans le véhicule léger. Associée aux boîtes noires sur les véhicules de l'Etat, et à une attitude cohérente au niveau européen en faveur d'une limitation de la vitesse de tous les véhicules à la construction, cette mesure indique une mutation dans la gestion de la sécurité routière. Le Gouvernement a fait le choix de pacifier nos autoroutes par le contrôle des vitesses moyennes. Si cette mesure recommandée en 1988 dans le livre blanc de sécurité routière avait été adoptée plus tôt et appliquée de façon exhaustive, les pompiers de Loriol seraient encore en vie. La possibilité instituée par la loi de fonder le constat d'une infraction par  la  mesure de la vitesse moyenne aura inévitablement des applications sur le réseau non concédé et ne relevant pas d'un péage. Les caméras numériques couplées à un ordinateur qui lit les plaques d'immatriculation se révéleront moins onéreuses que la caméra couplée à un radar dont l'usage sera principalement sur le réseau secondaire.

A côté de cette rupture dans une évolution dépourvue de toute rationalité vers des véhicules de plus en plus puissants, qui est un test de la volonté d'agir, le CISR contient de multiples propositions qui appellent toutes un commentaire.

Le développement du système de contrôle automatisé des fautes de conduite (vitesse excessive, non respect des feux et des distances de sécurité) est décrit comme un ensemble cohérent et non comme la simple mise en service des nouvelles caméras numériques couplées à des radars. Il était très important d'affirmer qu'il convenait de concevoir cette automatisation comme un ensemble d'actes liés les uns aux autres par des procédures automatisées capables d'éviter les goulots d'étranglement. L'expérience du tunnel du Mont Blanc et d'autres ont prouvé que si le système ne pouvait pas traiter dans des délais rapides les contraventions établies par un contrôle permanent de tous les véhicules, la dissuasion s'affaiblissait. Le bénéfice apporté par les dispositifs capables de traiter des milliers d'infractions sans la contrainte de manipulation des caméras traditionnelles qui doivent être rechargées et dont les films doivent être traités en partie manuellement était alors en grande partie perdu. La création d'une structure dédiée au développement de ces formes de contrôle est très importante. Nous avons pris du retard dans l'usage de ces nouveaux dispositifs du fait de l'insuffisance des moyens d'étude et de veille technologique dans les services du ministère de l'équipement. Cette structure peut être la première étape vers la création d'un établissement public de sécurité routière ayant en charge tous les problèmes techniques "transversaux" qui concernent plusieurs ministères et pas seulement celui de l'équipement.

Le problème clé dans le développement de ces dispositifs sera leur financement, notamment celui de l'automatisation de la chaîne se situant en aval du constat. Le choix d'une montée en charge progressive, avec un premier plan de trois ans et 1000 caméras, puis un autofinancement partiel fondé sur l'affectation du produit des amendes au développement de ce type de contrôle est une solution intéressante pour ne pas avoir à accorder un financement initial important, mais cette facilité va retarder la montée en charge. Il faudra plusieurs millions d'infractions constatées pour que le produit des amendes permette une accélération de la diffusion de ces procédures. Il serait important que les contrôles des vitesses moyennes sur les autoroutes avec les tickets de péage, qui peut être mis en oeuvre sur tout le réseau autoroutier dans des délais courts, contribue à alimenter ce fond d'investissement. Quand le péage n'est pas assuré par des tickets, mais par d'autres méthodes de recouvrement, il conviendra de mettre en place les contrôles gérés à distance par ordinateur, avec des identifications des plaques d'immatriculation par des caméras numériques, comme cela a été développé dans d'autres pays, notamment en Hollande. Outre la refonte du fichier des permis de conduire, indispensable pour remédier aux dysfonctionnements actuels du système de retrait de points, il faudra être particulièrement attentif à la mise à niveau du fichier des immatriculations dont la qualité est insuffisante, de nombreuses adresses sont fausses ou périmées et il est nécessaire d'assurer une vérification des informations qu'il contient, notamment en croisant ces données avec les adresses utilisées pour l'envoi des attestations d'assurances.

L'amélioration du traitement du contentieux routier était la partie la plus "annoncée" du CISR. Elle reprend largement les mesures préconisées dans le rapport de Pierre Pélissier. L'extension de l'amende forfaitaire et la nécessité de verser le montant de l'amende avant contestation sont de bonnes méthodes pour faciliter les recouvrements et dissuader les recours abusifs.

Assurer le développement de  l'équipement des policiers et des gendarmes avec des véhicules banalisés, des éthylotests électroniques, des éthylomètres embarqués est indispensable, mais le manque de précisions quand aux sommes nécessaires et aux budgets alloués met bien en évidence la défaut principal de ce plan gouvernemental qui est l'insuffisance de moyens pour le financer. Le plan subit les conséquences de la réduction de la croissance et des ressources de l'Etat, aggravée par la catastrophe budgétaire provoquée par le délire de grandeur des gestionnaires de France Télécom. Pour le déficit et les dettes de cette entreprise l'unité de compte est le milliard d'euros, pour le budget de la sécurité routière c'est le million.

L'aggravation des sanctions, exprimée sous forme d'années de prison supplémentaires fait partie d'une gesticulation sécuritaire qui atteint vite ses limites. Chaque jour en France il y a plus de conducteurs sous l'emprise d'un état alcoolique que de places dans les prisons françaises et quand un tribunal correctionnel consacre une journée entière aux contrôles préventifs d'alcoolémie, tous les mis en examen repartent libres. La prison n'a pas sa place dans la pratique des tribunaux pour ce genre d'infraction. Tout le monde sait bien que le retrait de points, et finalement la perte du permis, sont les seules sanctions utilisées avec l'amende. C'est seulement en cas de blessures ou de mort d'une victime que la prison intervient, et encore, le sursis demeure fréquent. Le retrait de 3 points pour des alcoolémies entre 0,50 et 0,80 g/l ou pour le non port de la ceinture, de deux points pour l'usage du téléphone au volant sont de bonnes mesures. L'alcoolémie zéro réclamée par certains faisait partie des projets absurdes dans le pays le plus consommateur d'alcool au monde et qui n'arrive pas à contrôler les taux actuels. Il ne faut pas oublier que la Grande Bretagne a toujours un seuil légal à 0,8 g/l et qu'il y a environ 400 accidents mortels avec alcoolémie au delà de ce taux alors qu'avec nos 3000 tués dans des accidents  avec alcoolémie élevée nous démontrons que le problème n'est pas le seuil mais la crédibilité des contrôles et des sanctions. Quand nous ferons des contrôles principalement la nuit, le week-end, et avec des éthylotests électroniques, nos progrès seront plus rapides dans ce domaine qu'en légiférant sur le taux d'alcoolémie zéro. Il faut remarquer par ailleurs qu'en soutenant sa majorité parlementaire qui vient de rétablir partiellement le privilège des bouilleurs de cru, ce qui facilitera l'accès à l'alcool bon marché de production artisanale, le Gouvernement fait preuve d'une incohérence complète dans sa gestion du problème de santé publique posé par l'alcool.

Renforcer la lutte contre le débridage des moteurs de cyclomoteurs est une bonne chose, mais ou en est leur immatriculation qui est la mesure qui permettra de faciliter les contrôles ? L'annonce de cette immatriculation sans cesse différée fut le symbole de l'inefficacité du gouvernement précédent, elle fut décidée lors du premier CISR du gouvernement Jospin en 1997, elle n'est toujours pas effective, faute de moyens dans les préfectures pour la mettre en oeuvre. Là encore le déficit de financement apparaît patent.

La suppression des permis blancs est une excellente mesure, régulièrement réclamée à juste titre par les associations de victimes. Elle supprimait en grande partie le caractère dissuasif de la suspension. Il est important qu'elle ne soit pas limitée aux accidents avec blessures graves, cette suppression doit concerner toutes les infractions graves.

Les stages de récupération de points me laissent toujours sceptiques, trop de conducteurs infractionnistes les considèrent comme une sanction financière comme une autre qui ne touche en rien leurs certitudes de n'être pas dangereux quand ils commettent des infractions, notamment aux limitations de vitesse. L’interdiction de conduire certains véhicules est une mesure beaucoup plus dissuasive. Quand un tribunal pourra infliger une peine complémentaire sous la forme d'une interdiction de conduire une véhicule de plus de 60 chevaux par exemple, un nouveau marché du véhicule de luxe peu puissant va s'ouvrir aux constructeurs et nous irons vers des relations plus raisonnables entre la liberté de se déplacer et la liberté de produire des véhicules potentiellement dangereux entre les mains de conducteurs qui estiment conduire "mieux que la moyenne". Bien entendu la sanction doit également s'appliquer aux motocyclistes, ma première moto avait une puissance de 4,5 chevaux, ce fut une chance pour moi !

Le permis probatoire était une mesure attendue. Je n'ai pas d'idée a priori sur son efficacité, mais je ne connais pas les études qui ont pu être faites sur cette mesure avec des techniques avant/après. Il sera très important de surveiller l'accidentalité en fonction de l'ancienneté de permis dans les années qui vont suivre l'adoption de cette mesure. Si elle est efficace nous devrions observer une réduction relative de la part de l'accidentalité des conducteurs novices soumis à cette disposition. Rendez-vous dans deux ou trois ans pour savoir s'il s'agissait d'une bonne idée.

La visite médicale pour les personnes de plus de 75 ans est également une mesure dont nous ne connaissons pas l'efficacité. Plusieurs pays ont institué une telle obligation et aucun n'a pu évaluer une efficacité significative. L'accident est toujours la relation entre une aptitude et une prise de risque. Il est possible d'avoir une aptitude réduite et de réduire encore plus sa prise de risque, avec finalement un bon résultat. Il s'agit d'une mesure qui doit être accompagnée d'une évaluation très bien conçue et bien conduite. Il faudra y associer les assureurs pour documenter exhaustivement l'accidentalité en fonction de l'âge, tant pour les accidents matériels que corporels. Si la mesure ne réduit pas l'accidentalité relative des personnes de plus de 75 ans, cela signifiera que telle qu'elle a ét������ mise en oeuvre, la mesure n'a pas fait ses preuves et constituait une brimade inutile et un facteur éventuel de désocialisation d'une personne âgée.

Les nouvelles approches impliquant les collectivités locales noient un peu divers problèmes de natures très différentes. Un de ces problèmes est majeur, celui des obstacles fixes rigides en bordure de chaussée. On pouvait attendre une phrase clé créant l'expertise de l'infrastructure routière par un organisme indépendant des maîtres d'oeuvre et des maîtres d'ouvrage. Elle n'y est pas, dommage, encore du temps perdu. Imaginez que la mesure proposée dans le livre blanc de sécurité routière de 1988 ait été acceptée à l'époque, un accidentologiste aurait parcouru les quais parisiens et, passant sous le tunnel de l'Alma, aurait immédiatement remarqué que placer des piliers de bétons verticaux en bordure de la chaussée n'était pas une bonne pratique. Il aurait conclu à la nécessité de couler un muret de béton entre ces obstacles dangereux. Cet aménagement aurait coûté quelques dizaines de milliers d'euros et en 2002 une princesse serait encore parmi nous à faire la joie des amateurs de la presse people. Cette mesure fait peur car elle est imaginée comme une machine à faire mettre en examen les élus locaux qui ne pourraient assurer le financement des corrections d'infrastructure considérées comme urgentes. J'avais proposé un dispositif permettant d'assurer des financements complémentaires quand la charge des travaux dépasserait la capacité d'investissement de la collectivité concernée, cela n'a pas été retenu. Ce plan de sécurité routière ne doit pas coûter trop cher, nous l'avons bien compris.

Equiper les véhicules neufs de l'Etat avec des boîtes noires est une très bonne mesure. Là encore il sera important de suivre l'accidentalité des véhicules équipées par rapport à celles non équipées. Il est curieux d'avoir exclu les véhicules d'intervention en urgence d'enregistreurs d'événements, ce sont des véhicules particulièrement exposés au risque d'accident et les autorités berlinoises avaient commencé par mettre des boîtes noires sur ce type de véhicule, avec des résultats particulièrement spectaculaires. Il faut que le véhicule soit classé comme outil de travail dans les entreprises et soumis à des règles strictes. Dommage que cela n'ait pas été dit explicitement.

Sur la prise en compte du rôle des médicaments dans les accidents, le texte est très bizarre, "Il sera demandé aux services hospitaliers accueillant les blessés de détecter avec précision la présence et le rôle de l’alcool, de la drogue et de médicament dans l’accident.". Les services hospitaliers ont des budgets serrés, les urgences sont surchargées, ils ne rechercheront rien du tout. Si l'on veut avoir une appréciation objective du rôle des médicaments dans les accidents il faut faire comme pour les drogues, instituer dans la loi une recherche systématique des médicaments dans les accidents mortels, et la compléter par une recherche dans les accidents corporels en cas de trouble du comportement avec éthylotest négatif. Toute autre procédure est inadaptée. Il faut un grand nombre d'accidents pour mettre en évidence avec des techniques épidémiologiques sérieuses quelle est la fraction d'accidents attribuable aux médicaments. Si l'on ne veut pas mettre en oeuvre ces méthodes, c'est que l'on ne souhaite pas documenter ce risque.

Sur le développement de la recherche, j'ai tellement de choses à dire que je ne vais pas le faire ce soir, je complèterai et je modifierai éventuellement ce texte de commentaires dans les jours à venir.

Conclusions à chaud.

Le relevé de décisions est beaucoup plus intéressant que je ne l'imaginais,
Il contient des amorces de rupture dans notre culture absurde de valorisation du véhicule inutilement puissant, lourd et dangereux, il faudra voir comment cela se concrétisera,
Toute la partie concernant l'amélioration des contrôles et du système de sanctions me semble  bien conçue.
Le gros défaut est l'insuffisance des financements prévus.
Pas de réorganisation de la délégation interministérielle la replaçant à son juste niveau, c'est à dire l'interministériel auprès des services du Premier ministre, appuyée sur une Agence française de sécurité routière,
La vrai révolution serait de profiter de la privatisation d'Air France pour affecter des fonds importants à l'accélération du processus décrit dans le relevé de décision de ce CISR. Il est possible que dans quelques années ce Comité interministériel apparaisse comme la seconde révolution dans la prise en compte de la sécurité routière en France, la première étant celle de 1973. Il est également possible que faute de financement à un niveau suffisant, faute de qualité dans la gestion des détails, ce projet ne produise pas ce que l'on peut en espérer.