accidents mortels de vélo en 1990

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LES ACCIDENTS MORTELS DE VELO EN FRANCE

ANALYSE DE 375 CAS - MARS 1990/FEVRIER 1991

Claude-Marie GOT et Claude GOT

Institut de recherches biomécaniques et accidentologiques

Hôpital Ambroise Paré - 92104 Boulogne - France

Les figures illustrant cette présentation qui avait été faite à l’ECOSA lors d’une réunion à Stockholm et à Helsinki sont disponibles au format powerpoint sous le titre « graphiques ECOSA».

Une prévention des lésions provoquées par les accidents de vélo, en particulier par la promotion du port du casque, doit se fonder sur une bonne connaissance des conditions d'emploi de la bicyclette et des circonstances de production de ces accidents. Les variations d'usage de cet instrument d'un pays industrialisé à l'autre sont plus importantes que pour l'automobile. Il peut être un moyen de transport, une activité sportive ou un loisir. La proportion de morts routières par accident de vélo est de 1,2% aux U.S.A (taux de mortalité : 0,33 morts/100 000 hab/an) , alors qu'elle est proche de 15% en Finlande ou au Danemark (taux de mortalité : 2 et 1,83). La France a une situation intermédiaire avec 3,8% des tués et un taux de mortalité de 0,61 (Figures 1 et 2). La géographie physique ou humaine, les habitudes culturelles, les politiques de circulation mises en oeuvre, donnent à la pratique du vélo des particularismes nationaux qui doivent être connus. Un adulte de 40 ans cyclosportif acceptera plus facilement un casque qu'une femme de 60 ans qui fait ses courses, ou un adolescent qui va à l'école.

Une politique de prévention doit également tenir compte des différences importantes entre les données épidémiologiques disponibles. Des études prenant en compte les accidents mortels, ou les blessés soignés dans les hôpitaux, ou les renseignements communiqués par les compagnies d'assurances produiront des résultats très différents. Nous avons réalisé une étude portant sur des accidents mortels et les données obtenues ne sont pas utilisables pour la compréhension et la prévention des autres types d'accident.

Méthode

Tous les accidents mortels de vélo survenus en France pendant une année (1/3/90 au 28/2/91) ont été recherchés, tant au niveau de la Gendarmerie (réseau routier et agglomérations de moins de 5.000 habitants) que de la Police Nationale (villes de plus de 5.000 habitants). Les fichiers statistiques de ces deux organismes indiquaient que 398 cyclistes avaient été les victimes d'accidents mortels pendant cette période. Nous avons pu étudier 378 d'entre eux soit 95% du total.

Les documents utilisables provenaient de la procédure établie par la Gendarmerie ou la Police, en particulier les témoignages, les plans et les photos de l'accident ainsi que les certificats médicaux établis par les médecins ayant constaté le décès. Il faut remarquer que les autopsies médico-légales sont rarement pratiquées en France en cas d'accident de la route, les renseignements sur les causes de la mort sont donc imprécis dans la majorité des cas.

Notre objectif a été d'identifier les groupes de population exposés au risque d'accident mortel de vélo en fonction de leur âge, de leur sexe, du type de déplacement et surtout de la typologie de l'accident. L'infrastructure routière, les manoeuvres effectuées par le cycliste et les autres usagers impliqués, la violence du choc, les déformations du véhicule sont des éléments utiles pour définir les approches préventives les plus efficaces.

Résultats

Les usagers

L'étude de la répartition entre les classes d'âge ne révèle pas de différences importantes. Les enfants de 4 à 15 ans représentent 24,8% des tués (23,4% avec une limite de l'enfance à 14 ans inclus) (Figure 5). Le nombre plus élevé de victimes après 60 ans peut indiquer une augmentation de la vulnérabilité ou du risque au kilomètre parcouru plutôt qu'un kilométrage annuel plus important, mais cette hypothèse ne peut être prouvée faute de groupe témoin non accidenté.

La proportion de victimes de sexe masculin est toujours plus élevée que celle de sexe féminin : 69,6% des moins de 16 ans sont des garçons, 78,5% des victimes de 16 à 59 ans sont des hommes et cette proportion demeure presque aussi élevée après 60 ans (76,3%). Pour l'ensemble de la population étudiée, la proportion d'hommes est de 76,2% (Figure 10).

Les modalités d'utilisation du vélo et le lieu de l'accident

Ces usagers utilisaient aussi souvent leur vélo dans un but de transport que pour une activité sportive ou de loisir (Figure 3). Ils circulaient rarement la nuit (7,5%). C'est le groupe des jeunes adultes qui est le plus exposé aux accidents de nuit (30%), ce type d'accident est exceptionnel chez l'enfant (4,3%).

Le vélo utilisé était un vélo "ordinaire" dans 56% des accidents, un vélo de course ou de randonnée dans 30,7%, un vélo de cross (bicross ou VTT) dans 9,3%, un mini-vélo (vélo pliant) dans 2,6%. Le type était inconnu dans 1.4% des accidents.

Les accidents mortels étudiés se sont produits le plus souvent en dehors des agglomérations (59%), le cycliste circulant sur des routes nationales (13,5%), ou plus fréquemment sur des voies secondaires, départementales ou vicinales (43,4%). Exceptionnellement il utilisait un chemin n'appartenant pas à la voirie ordinaire (2,1%), qu'il s'agisse d'une voie forestière ou d'un chemin privé (Figure 4).

La typologie des accidents

La connaissance des conditions de survenue des accidents mortels est une condition préalable au développement d'une politique de sécurité routière pour les cyclistes. Alors que la prévention des lésions de toutes gravités provoquées par les chutes repose principalement sur le port du casque, la prévention des accidents mortels impose d'autres mesures dont l'importance est indiquée par l'analyse typologique des accidents.

Les valeurs que nous rapportons ci-dessous concernent les accidents. Elles diffèrent peu de celles qui pourraient être calculées avec les victimes car les 378 cyclistes tués l'ont été dans 375 accidents. Trois accidents ont provoqué la mort de deux cyclistes, deux fois il s'agissait d'une perte de contrôle d'un véhicule automobile se déportant vers la gauche de la chaussée, dans le troisième les deux cyclistes allaient dans le même sens que le véhicule qui les a heurtés par l'arrière. Il faut également signaler que deux automobilistes ont été tués dans ces 375 accidents.

Nous avons classé les accidents observés en trois groupes :

Pour faciliter la lecture des graphiques, nous avons illustré ces configurations par des schémas et nous désignons les plus fréquentes sur les graphiques par des abréviations dont le sens est indiqué dans le texte.

Les typologies fréquente : 330 cas soit 88% des accidents (Figures 13, 14 et 15.

Les typologies rares  : 37 cas soit 10% des accidents

Les typologies exceptionnelles  : 8 cas soit 2% des accidents

La typologie des accidents peut être liée à un ou plusieurs des autres facteurs analysés. Il n'est pas surprenant de noter la fréquence des heurts des cyclistes par l'arrière dans les accidents de nuit (38,6% de cette configuration), mais il est plus surprenant de constater que ce type de choc demeure plus fréquent le jour que la nuit, l'automobiliste indiquant qu'il n'a pas vu le cycliste ou que celui-ci a fait un écart, ce qui est difficile à documenter objectivement (Figure 18).

L'accident provoqué par un cycliste qui tourne à gauche sans avoir perçu l'arrivée d'un véhicule qui s'apprêtait à le dépasser implique des personnes âgées (60% de cette configuration alors que ce groupe d'âge représente 31,2% des victimes). Les enfants sont plus rarement accidentés dans cette configuration alors qu'ils partagent avec les personnes âgées le surrisque d'être impliqués dans un accident mortel en intersection avec un véhicule qui a la priorité (Figure 16). 

Les typologies des accidents survenant en agglomération sont dans l'ensemble peu différentes de celles observées hors agglomération. Des dix typologies fréquentes indiquées ci-dessus (Figure 19), seules trois diffèrent significativement :

Les lésions et leur mode de production

Le délai séparant l'accident de la mort est un indicateur indirect de la violence du choc. Dans 54% des cas la mort est survenue immédiatement ou dans l'heure qui a suivi l'accident, le délai a varié de 1 heure à 24 heures dans 32,5% des cas et a dépassé 24 heures dans 13,5%.

La comparaison entre la typologie de l'accident, le délai séparant l'accident de la mort et les déformations observables au niveau du véhicule permettent d'individualiser des typologies d'accident responsables de traumatismes particulièrement sévères provoquant le plus souvent le décès avant l'intervention des secours. Les accidents d'intersection, les pertes de contrôle du véhicule ou du vélo suivies d'un choc frontal et les accidents dans lesquels le cycliste est heurté par l'arrière appartiennent à cette catégorie. Dans ces configurations la présence une fois sur deux de déformations au niveau du pavillon du véhicule, du pare brise ou sur un des montants latéraux du pare brise indique une vitesse de collision importante. Dans 65% des chocs provoquant une déformation du pavillon du véhicule, le décès est survenu au cours de la première heure qui a suivi l'accident.

Le rôle de l'alcool

Une alcoolisation dépassant la limite légale de 0,80 g/l de l'un des impliqués est présente dans environ 40% des accidents mortels de la circulation en France. Il faut remarquer la fréquence élevée des cas où nous ne connaissons pas l'état d'imprégnation alcoolique des usagers impliqués, la loi qui en fait obligation n'étant pas correctement appliquée. Dans les cas où ce facteur était connu, 14,05% des cyclistes impliqués avaient une alcoolémie dépassant le taux légal (17 sur 121) et 9,4% des automobilistes (31/329). Dans les 119 accidents pour lesquels nous connaissons les résultats chez tous les impliqués, une alcoolémie dépassant le taux légal était présente dans 24,4% des cas (Figure 8).

La responsabilité des cyclistes et des autres usagers

Il est habituellement facile de déterminer le responsable de chacun de ces accidents au regard du code de la route. Nous avons pu le faire dans 321 cas. Cela ne signifie pas que la réalité soit toujours en accord avec les constatations faites qui peuvent être partielles. Un cycliste peut être tué à un carrefour où il n'était pas prioritaire par un véhicule en excès de vitesse et cette dernière est plus difficile à déterminer que la règle de priorité.

Dans 52,9 % des cas le cycliste avait la totalité de la responsabilité (ce groupe inclut les 7,5% de chutes), le conducteur du véhicule à moteur était responsable de l'accident dans 32% des cas.  Dans 15,1% des accidents, nous avons estimé que les responsabilités étaient partagées (Figure 7).

Il faut remarquer l'influence très importante de l'âge sur cette évaluation de la responsabilité : 80,7% des enfants tués dans des accidents de vélo étaient en infraction, 60,6% des adultes de 60 ans et plus étaient également responsables de l'accident (Figure 17).

Commentaires

Nous pouvons comparer cette étude à celle réalisée dans le cadre de l'EHLASS (European Home and Leisure Accident Surveillance System) qui recense toutes les blessures accidentelles soignées dans des hôpitaux (Dr Christine Duval - Direction Générale de la Santé - avril 1993). Les différences mettent en évidence l'importance des critères d'entrée dans une étude épidémiologique. L'étude EHLASS regroupe 6785 cas avec seulement 4 décès. Les chutes sans intervention d'un autre usager représentent 90% des cas, 86% des accidents sont survenus au cours d'une activité de sport ou de loisir et dans 67,5% des cas les blessés étaient des enfants de moins de 15 ans. Deux tiers des blessures étaient des plaies ou des contusions et 38% étaient situées au niveau de la tête.

Il est donc possible d'opposer :

La prévention de ces deux types d'accidents repose sur des méthodes qui auront des effets variables et souvent complémentaires. Les accidents d'enfant sont liés à l'apprentissage de l'équilibre et de la conduite du vélo, mais aussi à l'apprentissage du risque, l'enfant teste ses limites et celles de l'outil qu'il utilise. Le casque est l'outil de protection qu'il faut privilégier dans ce cas, les chutes de la hauteur d'un enfant étant incapables de produire un dommage crânien s'il est équipé d'un casque correctement fixé. L'accident mortel pose des problèmes différents : la violence des chocs, l'intervention des véhicules à moteurs dans plus de 9 cas sur dix, imposent des méthodes de protection plus diversifiées. La réduction de la vitesse des véhicules susceptibles de les heurter, l'organisation de la circulation, en particulier au niveau des intersections, la signalisation des cyclistes la nuit, sont des moyens plus difficiles à mettre en oeuvre que le port du casque mais dont l'efficacité peut être plus importante.

L'évolution de la mortalité des cyclistes en France au cours des 25 dernières années n'a pas été parallèle à celle de la mortalité pour d'autres types d'usagers. Pour les automobilistes, le taux de mortalité maximum a été atteint en 1972, la limitation de la vitesse et le port obligatoire de la ceinture agissant efficacement à partir de 1973. Le nombre de cyclistes tués était de 789 en 1970, il a décru jusqu'à 558 en 1975, puis a subi un nouvel accroissement, atteignant 646 en 1980.  Depuis la décroissance est régulière, ce nombre passant au dessous de 500 en 1984 (478) et au dessous de 400 tués en 1991 (364). Faute d'évaluation fiable de l'usage de la bicyclette, nous sommes incapables de faire la part de la réduction de l'usage du vélo comme moyen de transport et d'une éventuelle modification du risque en fonction du nombre de kilomètres parcourus.

Les possibilités d'action sur la mortalité des cyclistes relèvent de trois types d'actions complémentaires :

Les actions sur les autres usagers

Réduire la vitesse de circulation est un objectif prioritaire. L'abaissement de 60 à 50 km/h de la vitesse maximale en agglomération en décembre 1990 a été une mesure importante mais le respect des limitations de vitesse est encore mal assuré en France et l'on constate que de nombreux accidents mortels de cyclistes sont liés à des vitesses excessives des véhicules qui les heurtent. Malgré les oppositions actuelles, nous savons qu'une circulation "pacifiée" mettra en oeuvre des limitations de vitesse des véhicules légers à la construction, ou des régulateurs de vitesse plus élaborés (avec des modulations ville/route/autoroute) et des enregistreurs qui assureront le respect de ces limitations. Il faudra malheureusement encore de nombreuses années pour que ces mesures déjà appliquées aux cyclomoteurs et aux poids-lourds soient étendues aux véhicules légers.

Améliorer l'organisation de la circulation par des actions sur l'infrastructure

La fréquence et la gravité des accidents en intersection imposent une meilleure conception de leur aménagement fondée sur l'usage du rond-point. Cet aménagement ne supprime pas les conflits entre le cycliste et les véhicules à moteurs, mais il réduit les différences de vitesse entre les usagers et remplace une grande partie des collisions graves contre la partie avant des véhicules en chutes dont la gravité est beaucoup plus faible.

La fréquence élevée des accidents mortels provoqués par un véhicule automobile heurtant par l'arrière un cycliste roulant à droite de la chaussée pose un problème d'aménagement plus difficile. Seules les pistes cyclables ou les bandes cyclables (bande d'environ un mètre de largeur séparée de la chaussée par une simple ligne continue peinte) sont capables de limiter ce type d'accident. La réduction de la circulation des vélos et des cyclomoteurs n'incite pas les responsables de l'infrastructure à développer ce type d'équipement. Il faut cependant insister sur la nécessité des bandes cyclables quand un séparateur de circulation médian aggrave les risques de conflits entre les automobilistes ou les poids-lourds et les cyclistes, les usagers de véhicules à moteur  ne pouvant plus se déporter à gauche pour effectuer un dépassement en laissant une distance suffisante aux cyclistes. Il est important  que les systèmes destinés à  modérer la vitesse des véhicules à quatre roues ne créent pas des risques ou des dissuasions supplémentaires pour les deux roues lents. Outre la mauvaise conception des îlots séparateurs de circulation, il faut insister sur les réalisations défectueuses de ralentisseurs ou de bandes sonores. Des profils ou des reliefs inadaptés en font des obstacles dangereux pour des cycles équipés de pneus gonflés à des pressions élevées (4 à 6 bars) et une normalisation de ces équipements est une urgence pour le pouvoir administratif.

En agglomération, l'établissement de plans de circulation favorisant l'utilisation par les cyclistes d'itinéraires privilégiés est un moyen efficace de développer l'usage du vélo tout en assurant la protection des cyclistes par une réduction et un ralentissement du trafic des autres usagers. Comme le développement des zones piétonnes, il implique des choix de société portant sur la protection de l'environnement et l'amélioration de la qualité de vie qui émergent lentement. Il est illusoire d'envisager un progrès de l'usage du vélo et de sa sécurité dans des agglomérations où l'on continue à donner la priorité à la circulation des véhicules à moteur. Les pistes cyclables ne sont pas toujours réalisables et elles n'accroissent la sécurité que dans des conditions bien définies (grandes distances entre les intersections évitant la compensation de l'abaissement du risque hors intersection par un accroissement dans les intersections).

Les actions spécifiques sur le cycliste et le vélo

Deux apparaissent prioritaires :

Les actions sur la bicyclette ne peuvent avoir qu'une efficacité limitée. Il faut insister sur l'intérêt du rétroviseur chez les personnes âgées qui manquent d'aptitude à la perception des véhicules à moteur effectuant un dépassement.

Conclusions

Moins de 2% des accidents mortels de la route survenant en France concernent des cyclistes. Cette faible proportion ne doit pas faire négliger leur prévention. Celle-ci repose sur :

des mesures générales :

Une politique plus spécifique associant :

des créations de pistes ou de bandes cyclables dans les zones de forte densité de circulation cycliste et automobile, un aménagement d'itinéraires sur lesquels la circulation automobile est restreinte dans les grandes agglomérations,

une incitation au port du casque, à l'équipement des vélos des personnes âgées avec des rétroviseurs, une obligation d'usage des baudriers rétro-réfléchissants la nuit.