résumé
- téléphoner en conduisant est une activité dangereuse. La conduite exige de l'attention et une aptitude à réagir rapidement à des événements imprévus qui doivent être interprétés à leur juste valeur dans des délais courts. Si les neurones sont utilisés ailleurs, le risque est accru.
- téléphoner est interdit par un réglement spécifique depuis mars 2003 quand le téléphone est tenu à la main, mais le texte en vigueur n'interdit pas les téléphones laissant les mains libres.
- Un rapport sur ce sujet a été produit à l'attention du CNSR qui l'a examiné dans sa séance du 3 avril 2007
- une nouvelle expertise, portant notamment sur l'usage du téléphone "mains libres" est en cours de réalisation par l'INRETS et l'INSERM.
Le problème
Conduire est une activité qui exige une adaptation permanente à un environnement qui peut se modifier rapidement et de façon imprévisible. Cela n'exclut pas la possibilité de comportements relativement automatisés, notamment sur des parcours quotidiens. Tous les usagers ont l'expérience d'un arrivée à leur point de destination sans le moindre souvenir des événements de leur parcours. Ces automatismes comportementaux quand "il ne se passe rien" n'excluent pas, heureusement, la capacité de mobiliser toutes ses capacités d'adaptation quand des événements imprévus se manifestent. Notre capacité de réagir dans des délais très courts est incompatible avec des tâches qui mobilisent non seulement notre attention, mais également notre "cerveau décisionnel". Ecouter une émission de radio en conduisant est une activité passive, nous n'intervenons pas dans l'émission, nous l'écoutons. Téléphoner est une activité qui exige une capacité de répondre, donc de faire des choix et c'est pour cela que le risque de téléphoner en conduisant s'est révélé redoutable.
Une conversation avec un passager est déja un facteur de risque en conduisant, mais il est limité par le fait que le passager est dans la même situation que le conducteur. Il sait se taire dans un passage délicat et le conducteur sait qu'il peut attendre avant de donner une suite à leur conversation, l'interlocuteur ne va pas disparaître parce que la batterie de son portable est faible ou parce qu'il s'engage sous un tunnel. Il n'y a pas de pression du temps dans la conversation avec un passager, il n'y a pas de décision urgente à prendre, il n'y a pas une personne qui vous parle, sans savoir à quelles exigences de conduite vous êtes soumis.
Le développement très rapide de l'usage de la téléphonie mobile a provoqué un ensemble d'études destinées à évaluer l'accroissement du risque lors de l'usage du téléphone en conduisant. Les unes utilisaient des simulateurs de conduite et elles ont mis en évidence cette hiérarchie du risque qui s'accroit en allant du conducteur seul au conducteur qui téléphone, le conducteur qui écoute la radio ou celui qui parle avec un passager se situant à des niveaux intermédiaires.
le réglement
Le traitement réglementaire de ce risque en France a d'abord été pris en compte par des dispositions générales du code de la route (article R.412-6) indiquant que "Tout conducteur doit se tenir constamment en état et en position d'exécuter commodément et sans délai toutes les manoeuvres qui lui incombent. Ses possibilités de mouvement et son champ de vision ne doivent pas être réduits par le nombre ou la position des passagers, par les objets transportés ou par l'apposition d'objets non transparents sur les vitres."
L'interdiction spécifique de téléphoner en conduisant a été introduite dans le code de la route en mars 2003 par l'article R.412-6-1 créé par le décret n°2003-293 du 31 mars 2003 - art. 4 JORF 1er avril 2003 : "L'usage d'un téléphone tenu en main par le conducteur d'un véhicule en circulation est interdit. Le fait, pour tout conducteur, de contrevenir aux dispositions du présent article est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe. Cette contravention donne lieu de plein droit à la réduction de deux points du permis de conduire."
Le développement des connaissances a permis ensuite de caractériser le risque lié à l'usage en conduisant du téléphone laissant les mains libres (dit téléphone "kit mains libres"). Ce risque n'était pas une suprise, le problème de la conduite n'est pas un problème de "mains", il est possible de changer de vitesse, d'actionner des commandes, tout en conduisant. Tenir un téléphone à l'oreille n'est pas un geste exigeant une activité cérébrale et visuelle, c'est une position stable. Le problème est que lors d'une conversation téléphonique en conduisant "la tête est ailleurs" commen le disait un très bon slogan de la délégation interministérielle à la sécurité routière.
Au cours de la même année 2003, qui est celle de l'introduction dans le code de la route d'une interdiction spécifique du téléphone tenu à la main, la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles de la Cnamts adopte le 5 novembre 2003 un code de bonnes pratiques destiné aux entreprises qui proscrit l'usage de toutes les formes de téléphonie au volant. Ce choix est important et il montre que les problèmes de responsabilité des employeurs incitent à la prise en compte du risque réel, sans se laisser influencer par la notion de commodités accessibles aux salariés d'une entreprise, même quand l'intérêt de ces commodités est indiscutable.
l'examen du problème par le CNSR
Pour sortir de cette contradiction, la première démarche a consisté à demander à l'Observatoire interministériel de sécurité routière de produire une étude sur l'usage du téléphone au conduisant. Elle a été réalisée par Jean Chapelon et Pierre Sibi de l’Observatoire national interministériel de sécurité routière, avec les conseils de Corinne Brusque et Marie-Pierre Bruyas (INRETS). Elle a ensuite été soumise au comité des experts de la sécurité routière, qui l’a examinée le 21 février 2007 et à pu exprimer ses remarques. Le texte de cette étude est disponible sur ce site.(étude de l'ONISR de 2007 sur "le téléphone portable au volant").
La phase suivante commence à sortir des limites des "bonnes pratiques" et de la rationalité . Le rapport sera discuté au cours de la séance du 3 avril 2007 et un communiqué a été publié à l'issue de cette séance. Les deux phrases clés sont les suivantes :
- "Cette étude exploite les résultats d’une récente recherche australienne, qui a montré un risque d’accident multiplié par environ 4 lorsque l’on téléphone au volant, même en utilisant un kit mains-libres. Ainsi l’ONISR évalue à environ 7% à 8% l’enjeu de l’utilisation du téléphone au volant sur le nombre total des accidents de la route en France, cet enjeu se répartissant de façon équilibrée entre le téléphone tenu en main et le kit mains-libres."
- "Le CNSR estime que les usagers n’ont, pour beaucoup d’entre eux, pas conscience du risque du kit mains-libres, résultant notamment de l’altération de l’attention à la conduite. Bien au contraire, l’interdiction par le Code de la route du seul usage du téléphone tenu en main accrédite la croyance que l’utilisation du téléphone portable avec un kit mains-libres en conduisant ne présenterait pas de danger particulier."
Autrement dit le CNSR prend acte d'un risque pratiquement identique quand un conducteur utilise un téléphone tenu à l'oreille ou laissant les mains libres. Cependant il ne recommande pas aux pouvoirs publics de mettre en cohérence la réglementation et d'étendre au téléphone mains libres l'interdiction d'usage en conduisant. Ce communiqué ne décrit pas ce qui s'est passé lors de la discussion. Les comptes rendus des séances du CNSR ayant été régulièrement mis en ligne sur le site du ministère de l'équipement et adressés à tous les membres du CNSR, je peux faire état de la partie du compte rendu de la séance du 3 avril 2007 concernant le téléphone "kit mains libres". Il faut remarquer que dans un premier temps le CNSR a adopté par 11 voix contre 10 une recommandation étendant au téléphone "mains libres" l'interdiction existant pour le téléphone tenu à la main. Dans un second temps et après une nouvelle discussion cette recommandation légèrement modifiée a été rejetée par 11 voix contre 10.
une nouvelle expertise est en cours
Depuis cette séance, rien n'a bougé, une demande d'expertise a été faite dans le cadre d'un groupe réunissant l'INRETS et l'INSERM. Nous attendons son rapport. Demander de nouvelles analyses est une démarche commode pour retarder une décision difficile, non par déficit de connaissances, mais par la quantité et la "qualité" des opposants. Les gens qui se sentent "importants" veulent tout savoir et tout diriger à tout moment. Leur égo et leur pouvoir s'accomodent mal d'une contrainte au nom de la sécurité. Cette dernière leur apparaît comme une exigence excessive par rapport à l'importance qu'ils s'accordent.
Dans les mois à venir, ce dossier sera un bon test de la volonté gouvernementale d'agir pour la sécurité routière. Il est difficile d'imaginer que le nouveau groupe d'experts consulté dise autre chose que ce qui est admis par la communauté des accidentologistes : toutes les formes de téléphonie sont dangereuses lorsque l'ont conduit. La seule décision possible sera alors d'harmoniser dans des délais courts la réglementation et les connaissances en modifiant l'article R.412-6-1 : "L'usage d'un téléphone, tenu en main ou non, par le conducteur d'un véhicule en circulation est interdit". Ce choix aurait du être fait depuis plusieurs années.