Comment interpréter les données de l'Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales (ONDRP) ?
La compréhension des déterminants de la sécurité routière est rendue difficile par la multiplicité des informations quantifiées mises à la disposition des journalistes, des politiques et du public. Le "on fait dire n'importe quoi aux chiffres" ne qualifie pas habituellement un défaut inhérent à la qualité des statistiques, mais le défaut d'analyse, la négligence ou la perversion de ceux qui les utilisent sans précaution ou pour tromper. Les commentaires qui ont été produits lors de la publication du Bulletin mensuel de mars 2011 de l'ONDRP illustrent cette problèmatique. Il est nécssaire de comprendre le mécanisme d'une telle dérive. Elle est en grande partie liée à la quantité d'informations reçues par les médias qui seront répercutées avec une importance qui n'est pas toujours accordée à leur pertinence.
Il faut suivre le cheminement d'une information pour comprendre la dérive qui fait passer des faits à leur interprétation abusive.
1ère étape : le bulletin de l'ONDRP définit et rencense les faits constatés. Dans le domaine des délits routiers, Il présentait dans son numéro de mars 2011 deux tableaux accompagnés de commentaires. Le premier de ces deux tableaux est reproduit ci-dessous.
Il est évident que tous les délits recensés se sont accrus en nombre de janvier/février 2011 par rapport à janvier/février 2010. Il faut remarquer que :
- des variations importantes existent entre les mois d'une même année. Le rapport entre les grands excès de vitesse d'août 2010 et de janvier 2010 est de 1661/724 = 2,3 et l'accroissement de 129% ! Personne n'aurait l'idée d'affirmer qu'il s'agissait là d'une augmentation du nombre d'excès de vitesse sur les routes, il s'agitssait simplement d'une activité accrue des actions de contrôles. Nous connaissons les variations de l'accidentalité et de la circulation (consommation de carburant) d'un mois à l'autre et elles sont sans commune mesure avec ces variations de la délinquance constatée.
- ces variations mensuelles sont différentes pour les
trois grands groupes de délits (ou de contraventions de 5ème classe
pour les grands excès de vitesse). L'amplitude est pour 2010 de :
- 1 à 2,43 pour les grands excès de vitesse (1759 en août et 724 en janvier)
- 1 à 1,31 pour les conduites sans permis (8267 en mars et 6294 en décembre)
- 1 à 1,34 pour les conduites sous l'emprise d'un état alcoolique ou de produits stupéfiants (17 555 en mai et 13 080 en décembre)
Ces différences entre les mois d'une même année, ou entre les mois identiques de deux années différentes, permettent de distinguer deux types de contrôles aboutissant au constat d'une infraction. Dans le cas du contrôle de l'alcoolémie ou de la validité du permis il faut une relation personnalisée avec l'usager qui doit souffler dans l'éthylotest ou montrer son permis de conduire. Un contrôle de vitesse est d'une nature toute différente, ce n'est pas l'usager qui est contrôlé directement, mais son véhicule, sans qu'il soit nécessaire de le stopper. Le temps de travail du policier ou du gendarme est très différent (en dehors bien entendu du dispositif de radars automatiques). Autrement dit, si un gouvernement qui a mal géré le dossier du permis à points et n''a pu éviter son affaiblissement, veut tenter de masquer son erreur en accroissant les contrôles pour éviter de faire apparaître son laxisme, il va donner des instructions dans ce sens aux gendarmes et aux policiers. Le résultat sera un accroissement de tous les délits, mais cette augmentation sera plus importante pour ceux qui sont faciles à constater. En pratique, la croissance a été de 60 % pour les grands excès de vitesse en janvier 2011 par rapport à janvier 2010, alors que la croissance des délits "alcool/stupéfiants" a été de 22,1% et de la conduite sans permis de 20,4 %. Cela correspond bien aux conditions différentes de la pratique de ces deux types de contrôle. Il était également possible d'être attentif au fait que les délits "alcool/stupéfiants" et "conduite sans permis" ne sont pas des formes de délinquance qui se modifient à court terme. La conduite sous l'influence de l'alcool constatée lors des accidents n'a pas bougé en proportion pendant la période de division par deux de la mortalité entre 2002 et maintenant.
Il convient de remarquer que les résultats de l'ONDRP ont été publiés avec des réserves qui attiraient l'attention sur l'impossibilité de passer d'une augmentation des délits constatés à celle des délits commis. Les paragraphes importants du bulletin de mars 2011 étaient les suivants :
"Ces délits sont constatés par les policiers et les gendarmes à
la suite de contrôles d’alcoolémie ou de stupéfiants. Le nombre de
délits enregistrés dépend de celui des dépistages positifs. Il ne peut
être interprété qu’avec une donnée complémentaire : le nombre total de
dépistages. En l’absence de cette information, on ne peut pas savoir si
l’augmentation du nombre des délits de conduite sous l’emprise de
stupéfiants enregistrés est la conséquence d’une hausse des contrôles ou
d’une hausse du taux de contrôles positifs à nombre de contrôle
constant, voire d’une combinaison des 2 facteurs.
En 2010, un peu moins de 90 000 délits de « conduite sans permis » ont
été enregistrés par la police et la gendarmerie. En 2009, 95 607
l’avaient été. En un an, ce nombre a baissé de 6,1 %, soit 5 821 délits
enregistrés en moins. Cette baisse, si elle s’était produite dans un
contexte comparable entre 2009 et 2010, avec en particulier une activité
de contrôle des permis égale, pourrait indiquer un recul de la
proportion de personnes roulant sans permis. Cependant, comme dans
l’exemple précédent, sans des données d’activité, on ne peut pas la
mettre en perspective.
Il en est de même pour les délits et contraventions de « grands excès de
vitesse » dont le nombre est passé de 15 364 en 2009 à 14 743 en 2010,
soit - 4 %. On ne sait pas si cette baisse s’est produite alors que les
contrôles de vitesse ont été plus ou moins nombreux en 2010 par rapport
à 2009."
Seconde étape : Un dépêche de l'AFP du 16 mars 2011 indique :
"Alcool et drogue au volant, grands excès de vitesse, conduite sans
permis : le retour des mauvaises habitudes des automobilistes français
semble se confirmer, avec l'annonce mercredi d'une flambée
Chiffre le plus frappant, le nombre de grands excès de vitesse
(50 km/h ou plus au-dessus de la limite autorisée)
constatés en janvier et février a explosé (+55,75%) par rapport aux deux
premiers mois de 2010, passant de
1.514 à 2.358 faits, indique mercredi dans son bilan mensuel
l'Observatoire national de la délinquance et des
réponses pénales (ONDRP).
Sur la même période, les "conduites sous l'emprise de l'alcool et/ou de
produits stupéfiants" ont augmenté de
16,42% (32.093, contre 27.567 l'an dernier). Concernant la conduite sans
permis, l'augmentation est de 19,16%
(de 13.636 faits en janvier-février 2010 à 16.249 faits en 2011).
Cette très nette dégradation intervient juste après un
assouplissement des règles du permis à point,
définitivement adopté par le Parlement début février, qui exclut
pourtant les délits les plus graves.
La réforme avait été dénoncée avec virulence par les associations de
victimes et de sécurité routière, qui
prédisaient dès l'automne dernier qu'elle entraînerait une dégradation
rapide du comportement routier des
Français."
Il faut remarquer que la dépêche de l'AFP contient un "semble se confirmer" qui laisse un doute sur le lien causal, mais il va souvent disparaître des commentaires lors de l'étape suivante.
Troisième étape : Ces informations sont reprises par de nombreux médias et la notion de faits constatés disparaît dans plusieurs d'entre eux, alors que d'autres conservent cette notion importante sans lui donner toute sa signification. Cependant, plusieurs médias sont retournés aux sources et ont fait un commentaire critique de cette information (Caradisiac 17/03, Le Figaro 18/03).
Le Télégramme 16 mars 2011
Dans son bilan mensuel, l'Observatoire de la délinquance annonce une
flambée des délits routiers graves (forts excès de vitesse, conduite
sous l'empire d'un état alcoolique ou de stupéfiants, etc.) en janvier
et février 2011.
AutoNews 17/03/2011 Franck Dupre
Les deux premiers mois de 2011 n'auront pas été bons en matière de
sécurité routière sur les routes françaises. Grands excès de vitesse,
alcool et drogues au volant, mais également conduite sans permis,toutes
ces infractions graves sont en hausse.
Il n'y a jamais rien d'acquis dans la lutte contre les infractions
routières, chassez le naturel, il reviendra au galop.
Car si 2010 avait donné des signes encourageants en France avec
notamment des tués et blessés en baisse sur nos routes, les deux
premiers mois de 2011 montrent un relâchement significatif des
automobilistes dans les comportements à haut risque. Ainsi,
l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales
(ONDRP) a publié des statistiques inquiétantes concernant janvier et
février derniers, comparés aux deux premiers mois de l'année 2010.
RiskAssur 18/03/2011
Le bilan mensuel de l'Observatoire national de la délinquance et des
réponses des pénales, ONDRP, relatif aux infractions routières les plus
graves constatées en janvier et février dernier est sans appel.
Ainsi, le nombre de grands excès de vitesse, soit 50 km/h ou plus
au-dessus de la limite autorisée a augmenté de 55,75% par rapport aux
deux premiers mois de 2010.
Les conduites relevées sous l'emprise de l'alcool et/ou de produits
stupéfiants ont augmenté de plus de 16 % d'une année sur l'autre.
Conclusions
La gestion dans l'urgence de l'information est un métier difficile. Je travaille depuis une quarantaine d'années avec les médias et je vois leurs conditions de travail se dégrader d'année en année, comme celles des médecins et des infirmières dans les hôpitaux, des sous traitants des opérateurs téléphoniques, des livreurs ou de n'importe quel salarié soumis à la priorité de la réduction des coûts aux dépens de la qualité du travail produit. Notre société sacrifie la qualité à la productivité et à la réduction des coûts.
Il faut savoir remettre à sa place la notion d'urgence dans l'actualité. Une publication comme celle de l'ONDRP doit être analysée paisiblement, avec du recul, en consultant des spécialistes de ces questions.
Je suis persuadé que l'affaiblissement du permis à points a joué un rôle dans la dégradation de la sécurité routière en janvier et en février 2011. Je suis tout aussi convaincu que les statistiques sur les délits constatés publiés par l'ONDRP n'apportent pas d'argument en faveur de cette hypothèse. Il faudra attendre les données de l'observatoire des vitesses pour avoir une connaissance objective de la modification des comportements dans le domaine de la vitesse. Malheureusement les données de l'observatoire sont quadrimestrielles et si la hausse du prix des carburants intervenue fin février agit sur le kilométrage parcouru et la vitesse de circulation, il sera impossible de distinguer les modifications de janvier/février et celles de mars/avril. Les données de l'Observatoire des vitesses sont les plus importantes dont on puisse disposer pour faire le lien entre les comportements et l'accidentalité. Il faudrait disposer de ces données pour des périodes de deux mois. Le projet Vibrato a été défini il y a maintenant plus de dix ans. Son objectif était de développer au niveau local la documentation des vitesses de circulation. Personne ne se préoccupe de l'échec de ce projet qu'il est urgent de relancer. Chaque département doit disposer d'un observatoire des vitesses. C'est la clé de l'évaluation de l'efficacité des politiques locales.
Mon commentaire face à l'information de l'ONDRP est le suivant : "malgré l'augmentation des contrôles routiers, attestée par l'accroissement des délits constatés en janvier et février 2011, l'insécurité routière s'est fortement accrue pendant ces deux mois. Les résultats de mars seront influencés par l'augmentation du prix du pétrole qui s'est manifesté à partir de la dernière semaine de février. Rappelons que le pic de juin 2008 s'était accompagné d'une diminution de 20% de la mortalité routière et de 9% de la consommation de carburant. Nous verrons dans quelques semaines si le coût accru des carburants à la pompe est capable de neutraliser l'affaiblissement du permis à points".