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En 1988, le Premier ministre, Michel Rocard, a demandé à un groupe de 13 personnes présidé par Pierre Giraudet de faire le bilan de la politique de sécurité routière en France et de lui proposer un ensemble de mesures destinées à l’améliorer. La partie de ce rapport reproduit ci-dessous est la première apparition dans un texte « officiel » d’une proposition de limitation à la construction de la vitesse maximale des véhicules légers. Compte tenu des remarques faites lors du procès du sang contaminé sur les conditions qui permettent de poursuivre des responsables politiques pour des faits relatifs à leurs fonctions, notamment la preuve que les problèmes et leurs solutions possibles étaient connues des ministres concernés, ce texte a une importance considérable. Commandé par le gouvernement, publié par la Documentation Française en 1989, dépourvu d’ambiguïté, il demeure le seul rapport global sur la sécurité routière publié au cours des 15 dernières années et ne peut être ignoré par un responsable politique.
Le texte suivant est extrait du « Livre Blanc sur la
sécurité routière »
La Documentation Française (1989) pages 50-51
"La deuxième consisterait à limiter par construction la vitesse des véhicules légers.
En effet, comment ne pas être frappé par une contradiction majeure et qui ne cesse de s'accentuer :
- d'une part, il existe une véritable volonté de diminuer le fléau que représentent les accidents de la route, et tous les experts de tous les pays s'accordent pour reconnaître l'indiscutable efficacité des limitations de vitesse, qui est pleinement confirmée par les variations concordantes des taux d'accidents corporels et des normes de vitesse ;
- d'autre part, les constructeurs d'automobiles du monde entier, irrésistiblement emportés par les possibilités de la technologie, produisent des véhicules de plus en plus rapides, dont les vitesses d'utilisation courante (dites « de confort ») s'écartent chaque année plus largement des vitesses limites autorisées, incitant ainsi de facto les conducteurs à transgresser les limites autorisées, aussi bien sur les autoroutes que sur les routes ordinaires.
En 1967, 10 % des voitures françaises alors produites dépassaient 150 km/h ; en 1987 ce taux atteint 73 %. Et n'a-t-on pas vu, lors du dernier « Mondial de l'automobile », un nombre impressionnant de modèles (et pas seulement de sport) atteignant ou dépassant 220 à 250 km/h ?
Cette fuite en avant est-elle raisonnable ? Certainement pas pour la sécurité des routes. Peut-être pas non plus pour les constructeurs : si la recherche des performances a permis, sans nul doute, des progrès techniques considérables, il est temps maintenant de concevoir des véhicules pour le grand public, mieux adaptés à leur usage social, plus économes d'énergie et plus respectueux de l'environnement naturel et humain.
Ce n'est que par l'instauration d'une norme d'immatriculation limitant la vitesse par construction (le cas échéant par la technique du limiteur de vitesse) qu'il peut être mis fin à cette fuite en avant. C'est sans doute aux environs de 160 km/h que pourrait être fixée cette norme.
Sans penser qu'une telle mesure soit immédiatement applicable, la Commission propose qu'au plan international la France affirme une telle position, comme l'un des axes stratégiques de sa politique de sécurité routière et comme un objectif important des futurs accords communautaires.
Parallèlement, dans ce même but et dans la perspective déjà évoquée d'un accord communautaire sur les limitations de vitesse, la France doit continuer, comme elle l'a toujours fait depuis 1984, à demander que la RFA limite la vitesse sur ses autoroutes de rase campagne, l'espace autoroutier allemand demeurant le seul argument des constructeurs spécialisés dans le « haut de gamme » pour promouvoir des modèles atteignant des vitesses vertigineuses, mais inadaptées à la réalité de la circulation sur les voies publiques.