l'accidentologie

Naissance d’une pratique et d’un vocabulaire.

L’étude des accidents de la circulation a la particularité d’associer des pratiques appartenant à des domaines très différents (l’humain, ses véhicules, l’infrastructure, et l’encadrement organisationnel de chacun de ces domaines par l’apprentissage des pratiques, des normes, des lois et de règlements). Chacun de ces grands thèmes a lui-même plusieurs facettes (le matériel, le fonctionnel, le dysfonctionnement, les conséquences du dysfonctionnement, sa prévention). Le tableau que l’on peut construire avec ces lignes (thèmes) et ces colonnes (facettes) est formé de cases et l’analyse de leur contenu implique une démarche exploitant les procédures de la méthode scientifique (observation, expérimentation, interprétation fondée sur l’usage de règles logiques et l’acceptation de la nature probabiliste des connaissances).

L’abord de ce système complexe exige la collaboration de spécialistes capables de travailler ensemble pour faire émerger les relations qui unissent ces éléments de savoir. Les équipes qui se sont constituées pour développer la compréhension des accidents ont reconnu très rapidement cette exigence de multidisciplinarité.

Aux Etats-Unis, en 1956, la Conférence nationale sur les statistiques d’accidents de la route a adopté une motion distinguant le constat qui fournit un minimum d’informations administratives sur un très grand nombre d’accidents et l’investigation qui cherche a obtenir un maximum d’information sur un petit nombre de cas. Ce constat a abouti en 1957 à une étude pilote dirigée par J. STANNARD BAKER de la Northwestern University et en 1958 à une autre étude concernant les accidents mortels dirigée par Alfred L MOSELEY de Harvard.

En France, cette activité s’est développée à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix avec deux pôles. Le premier au sein de l’ONSER (Organisme National de Sécurité Routière) qui était l’organisme de recherche public en charge du problème. Le second a associé les constructeurs automobiles (Claude Tarrière, Hartemann) et des universitaires de l’hôpital de Garches (Alain Patel, Claude Got) avec une démarche en deux temps initiée par l’examen des véhicules accidentés et des circonstances de l’accident, complétée à partir de 1970 par une mise en correspondance avec les blessures observées.

Cette pratique pluridisciplinaire était si particulière que les développeurs de cette nouvelle activité de recherche ont éprouvé très tôt le besoin de la désigner par un terme spécifique. A ma connaissance, le premier usage du terme accidentologie et de celui d’accidentologue est observé dans un document écrit produit en mai 1968. Il s’agit d’un rapport intérimaire dactylographié, "ronéotypé" qui n'est pas daté, mais à la fin du document, la partie intitulée «Suite de l’étude» commence par la phrase suivante : «A un an de la fin de la recherche, fixée à mai 1969, on peut constater que la méthode suivie à permis de recueillir un matériel riche et précis… ». Cette indication fait retenir mai 1968 comme date de la première occurrence écrite du terme accidentologie.

L’usage du mot s’est généralisé au cours des années 1970. Dans le groupe associant les constructeurs automobiles et des médecins de l’hôpital de Garches, nous l’utilisons en 1973 quand une section dénommée "Institut de recherches biomécaniques et accidentologiques" a été isolée au sein de l’Institut de recherches orthopédiques. Cette section est devenue autonome à partir de 1985 et je l’ai présidée jusqu'à sa fusion avec les autres associations travaillant avec le laboratoire des constructeurs, devenu lui-même le LAB (Laboratoire d’accidentologie et de biomécanique). Il faut remarquer que le terme d’accidentologiste est également utilisé, la coexistence de ces deux formes de construction est attestée dans de nombreuses disciplines médicales (radiologues, radiologistes, dermatologues, dermatologistes) et la distinction entre l’usage de « logistes » pour ceux qui effectuent des recherches et développent la discipline, par opposition avec celui de «logues» pour les praticiens ne correspond pas à une réalité d’usage constant.

La généralisation du terme accidentologie est attestée par les dictionnaires multi-langues accessibles sur l’internet

Accidentologie, accidentology, accidentologia …

Les paragraphes suivants sont extraits du rapport précité :

«Etude Clinique d’accidents de la circulation routière»

Rapport intérimaire Tome 1 - Organisme National de Sécurité Routière

Recherche effectuée pour le compte du Haut Comité d’Etudes et d’Informations sur l’Alcoolisme et de l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale.

Jean L'Hoste, E. Valette, J.F. Ribon, A. Berthoz, Y. Monnet, C. Veil, C. Mounier, M. Roche.

Méthode de recueil et d’élaboration des données : E. Valette

La recherche sur l'étiologie et la prévention des accidents, peut-on parler d' "accidentologie" ? - connaît donc, comme bien d'autres disciplines, cette attirance pour des méthodes complémentaires auxquelles correspondent deux façons de recueillir et d'organiser l'information : l'enquête fournissant relativement peu de renseignements sous une forme standardisée, mais pour de nombreux sujets, et la monographie permettant de connaître à fond et de comprendre un nombre plus restreint de cas. La première convient plus particulièrement à la description d'ensemble d'un phénomène, à la mesure, et à l'utilisation de techniques statistiques : la seconde qui correspond à une approche beaucoup plus fine et propre à formuler des hypothèses et à faire comprendre intimement le phénomène, en accrochant le raisonnement à des cas.

Notre conception et notre pratique du travail en groupe multidisciplinaire : Cl. Veil

Une des ambitions de l'équipe de recherche multidisciplinaire de l'ECA serait de contribuer à la naissance d'une discipline nouvelle, "l’accidentologie" (affreux néologisme mais utile concept). Force lui est, le plus souvent, de se contenter de vérités provisoires, ou de prendre simplement acte de l'absence de règles préétablies susceptibles de guider sa démarche.

Résumés et extraits des diverses interventions faites au cours des réunions du groupe « Etude clinique des accidents » : M.Roche

Une très importante difficulté provient du caractère "inobservable" de nos événements ; il faut se contenter de traces et de témoignages, mais supposons résolue cette difficulté liée à la nature de notre objet et considérons seulement les difficultés liées aux choix des questions à poser... Ces questions, que cela soit explicite ou non, appartiennent à un système de concepts. Nous ne sommes malheureusement pas dans la situation d'un chimiste, par exemple, qui dispose d'un système de concepts qui s'appelle la chimie. Nous ne sommes pas des "accidentologues" puisque "l'accidentologie" reste à faire...

Il est possible que ce ne soit pas les sciences humaines actuelles qui doivent fournir des concepts tout "rôdés" à l'accidentologie naissante mais au contraire que l'étude des accidents telle que nous la concevons soit une occasion d'élaborer des concepts qui s'intègreront aux sciences humaines...