le 25 mai 2011

la suite d'une gestion de crise

Le soir du comité interministériel du 11 mai dernier, j'ai publié sur ce site une analyse orientée vers la notion de gestion de crise. Il me semblait évident que la précipitation avec laquelle ce CISR avait été programmé (décision à la fin de la semaine du 1er au 8 mai, réunion à Matignon le lundi 9 et CISR le mercredi 11) allait inévitablement provoquer deux types de problèmes :

Le résultat a dépassé toutes mes craintes. Les décisions possibles étaient nombreuses et elles ont été étudiées par les services des différents ministères dans une période relativement longue qui a débuté en février avec la connaissance des très mauvais résultats de l'accidentalité de janvier. Le passage de la phase de recensement du possible au choix des décisions constitue la première étape délicate d'un exercice politique de ce type. Elle impose une phase intermédiaire qui résume les décisions qui seront retenues, avec leurs avantages et leurs inconvénients et fait le relevé de leurs aspects techniques (nature réglementaire ou législative, faisabilité, modalités de mise en oeuvre, précisant notamment la chronologie des décisions qui vont s'articuler les unes avec les autres). Une fois ce brouillon établi, il est indispensable de faire réagir des interlocuteurs de confiance pour bien comprendre où on va mettre les pieds et préparer une communication adaptée. Ces interlocuteurs de confiance sont d'une part des experts du problème traité, d'autre part des personnes qui ont des responsabilités de nature politique au sens le plus large, allant de représentants d'associations aux responsables de partis politiques, notamment des partis de la majorité parlementaire. Cette dernière étape était particulièrement importante, l'origine de la crise étant l'affaiblissement du permis à points dû à une initiative parlementaire au cours de l'automne 2010.

Je connais bien ce processus, j'ai occupé des fonctions de conseiller technique auprès de deux ministres et j'ai participé à la mise au point de nombreuses mesures impliquant une bonne coordination entre l'état des connaissances et le passage à l'acte décisionnel. Chacun dans sa légitimité, l'expert, le politique doivent s'entendre, être capables d'identifier les difficultés prévisibles et anticiper leur traitement. Ces impératifs deviennent de plus en plus difficiles dans le contexte actuel pour plusieurs raisons :

Les problèmes du jour

La chronologie de la mise en oeuvre des mesures décidées le 11 mai

Les réactions observées depuis le CISR mettent bien en évidence les deux mesures qui peuvent inverser l'évolution de la mortalité sur les routes dès ce mois de mai, ce sont celles qui provoquent des oppositions violentes : l'interdiction des avertisseurs de radars et la suppression des panneaux annonçant les radars fixes. Les comportements des usagers peuvent se modifier en quelques jours lorsque leur représentation du risque évolue. En outre, l'extraordinaire amplification médiatique du conflit entre la fraction incohérente de la majorité parlementaire (on veut de la sécurité sur les routes, mais on veut aussi réduire les contraintes sur les usagers qui ne sont pas des chauffards mais des honnêtes gens qui ne sont pas dangereux quand ils font de petits excès de vitesse et perdent hélas tous leurs points, puis leur permis, leur emploi...) a fait comprendre l'importance des enjeux. Les deux mesures qui peuvent rétablir le pouvoir de dissuasion du permis à point en accroissant le nombre de contravention pour excès de vitesse sont à la fois distinctes techniquement et liées par de multiples relations. La sous estimation de l'importance de la chronologie de leur mise en oeuvre a été une des erreurs majeures commises lors de la mise au point des décisions du CISR. Les conditions initiales sont bien connues :

Il est évident que dans un tel contexte, la chronologie de l'application des deux décisions : suppression des panneaux indiquant la présence des radars fixes et suppression des avertisseurs de radars, est très importante. Les conséquences sont totalement différentes suivant l'ordre de l'application.

La notion d'égalité est très importante pour l'acceptabilité sociale d'une sanction. Cette évidence avait été remarquée lors de la mise en oeuvre des radars automatiques à la Toussaint 2003. Il devenait impossible d'interrompre des procédures et la pratique des indulgences avait été bien neutralisée à la fois par la circulaire du ministre de l'intérieur de décembre 2002 et l'imperméabilité à toute démarche inégalitaire du centre de traitement de Lille puis de celui de Rennes. Faire un choix qui instaure une inégalité flagrante est une erreur politique majeure dans ce genre de décision. C'est pour cette raison que je ne recommandais pas la suppression des panneaux de radars fixes pour ce CISR. La priorité était de supprimer les avertisseurs de radars qui réduisaient les capacités de dissuasion des gendarmes et des policier effectuant des contrôles avec des radars déplaçables. Les radars fixes pré-signalés ont été les radars pédagogiques permettant depuis 2003 d'intégrer la notion de respect strict de la vitesse imposée. La suite logique était le développement des radars mobiles, puis des radars "mobiles-mobiles" qui opèrent dans des véhicules banalisés en circulation que nous avions décrit comme une urgence dans le rapport d'évaluation du contrôle sanction automatisé de 2006. Il faut cesser de voir le radar fixe comme un instrument d'avenir. En attendant la solution la plus adaptée au contrôle de vitesse sur les routes, qui est le LAVIA (la vitesse maximale est limitée automatiquement à la valeur autorisée localement, autre dispositif à rendre opérationnel de façon prioritaire et qui a été enterré par la passivité et l'absence d'imagination des gestionnaires de la sécurité routière), il faut interdire le signalement des radars déplaçables et développer en urgence les radars mobiles-mobiles.

La mission d'information sur les causes des accidents de la route

Les auteurs de la casse du permis à points ont éprouvé tardivement un besoin d'information. Ces députés qui se sont comportés comme des girouettes sensibles au vent d'une fraction de leur électorat (qui n'est pas la majorité des conducteurs qui ont tous leurs points) et qui ont légiféré sans consulter qui que ce soit, se découvrent un besoin d'apprendre. Le Premier ministre se serait engagé à ce qu'aucun texte sur la sécurité routière ne soit adopté tant qu'une mission d'information n'aurait pas rendu ses conclusions. La boucle infernale est fermée avec ce type d'engagement. Si la suppression des avertisseurs de radars est considérée comme devant précéder la suppression des panneaux signalant les radars fixes, et si la loi qui va instaurer cette interdiction de collecter, traiter et mettre à disposition des informations sur les contrôles est reportée après la fin des travaux de la dite commission, tout le dispositif en aval du CISR est bloqué. La loi sur l'interdiction des avertisseurs de radars serait remise au dernier trimestre de l'année. D'ici là, les usagers auront compris que le grand psychodrame du printemps est achevé et qu'ils n'ont plus à lever le pied pour éviter de perdre des points, comme ils auront pu le craindre au cours de ce mois de mai.

Quand on connaît la quantité de données disponibles au niveau national et international sur les facteurs d'accidents, cette idée d'une mission d'information sur les causes d'accidents est vraiment une manoeuvre pour différer l'application de la mesure clé du dernier CISR. Elle permet soit de tout bloquer (on attend la loi pour interdire les avertisseurs de radars), soit de créer une inéquité qui rend la décision de supprimer les panneaux injuste et donc peu acceptable par les usagers. Il y aurait ceux qui bénéficieraient d'une forme de délit d'initié et les autres.

Au cours des débats récents dans les médias auxquels ont pu participer les élus contestataires, l'incompétence de ces accidentologistes de café du commerce était évidente. Ils avaient un objectif : affaiblir le permis à points, ils l'ont atteint. Comme il était impossible de réduire la dissuasion par ce dispositif sans qu'il y ait des conséquences sur l'accidentalité, celle ci s'est accrue. Le gouvernement a décidé de prendre des mesures pour rétablir la tendance à la diminution des accidents. Immédiatement, ces mêmes casseurs s'opposent à ces mesures et prétendent vouloir d'abord comprendre la cause des accidents ! A ce niveau d'impudence et d'irresponsabilité, le débat devient impossible.

Si le président de la République, le Premier ministre, le Gouvernement veulent prolonger l'efficacité qui sera inévitablement produite par cette médiatisation des décisions du CISR et le retour à la crainte d'une application crédible des règles, il faut appliquer les décisions prises dans des délais courts. Le débat n'est pas de nature scientifique, mais politique.