février 2011 - un éditorial de deuil

Le 19 janvier 2011, le Sénat a confirmé la procédure de réduction de l'efficacité du permis à points qu'il avait initiée en septembre 2010

Une séance affligeante d'ambiguïté et de démagogie

Il faut lire le compte rendu intégral du débat au Sénat sur l'article 28 bis de la LOPPSI 2 pour comprendre le niveau d'hypocrisie que peut atteindre un débat parlementaire. Eliane Assassi a été la seule intervenante osant affirmer que la modification proposée du code de la route serait "un très mauvais signal adressé à nos concitoyens". Commençant à se rendre compte de ce qu'ils étaient en train de faire, les autres intervenants voulaient insister sur leur attachement à la lutte contre l'insécurité routière, tout en affirmant que le "compromis" atteint lors du débat à l'Assemblée était équilibré et satisfaisant. Il ne s'agissait plus d'affaiblir le permis à points, il fallait surtout affirmer que la modification était minime et n'accroîterait pas l'insécurité routière. François Zuccheto a osé prononcer la phrase suivante : "N'annonçons surtout pas un changement du dispositif ! Cela aurait immédiatement pour effet d'infléchir le comportement de certains conducteurs et de faire aussitôt repartir à la hausse le nombre de tués sur les routes, ce que personne ne souhaite je suppose". C'est exactement ce que j'affirme depuis l'adoption de l'amendement Fouché par le Sénat le 10 septembre 2010. Il faut savoir ce que l'on veut et ne pas affirmer une chose et son contraire. Imaginer que l'on peut multiplier par deux les stages de récupération de points, c'est à dire l'achat de points, tout en tentant de faire croire que le dispositif n'a pas été changé, atteint les formes les plus extrêmes de contorsion logique que l'on peut observer dans des débats parlementaires.

le résultat d'un concours d'erreurs au niveau présidentiel, gouvernemental et administratif

Nous pourrions imaginer de lutter contre l'accidentologie de café du commerce en publiant une "accidentologie pour les nuls", mais ceux qui lisent les ouvrages de cette très bonne collection ont conscience de leur incompétence et envie de s'instruire. Dans le débat politique qui a abouti à la casse du permis à points, nous avons été confrontés au refus d'apprendre et de comprendre. Les députés et les sénateurs ont fait de la démagogie de bas niveau et face à ce déni de connaissance (les petits excès de vitesse ne sont pas dangereux, il faut s'attaquer aux chauffards, la perte de points explique la conduite sans permis ...), le président de la République a été nul en tenant des propos irresponsables lors de la réunion avec des représentants de sa majorité le 27 septembre 2010, le ministre de l'intérieur a été nul lors du débat devant l'Assemblée Nationale, en laissant introduire le stage annuel de récupération de points qui est la pire mesure introduite par cette entreprise de destruction, la déléguée interministérielle a été nulle par son incapacité à produire les données utiles et à s'attaquer publiquement aux mensonges et aux manipulations des faits qui ont été utilisés au cours de ces débats. Ils se sont couchés au lieu de défendre, avec tous les arguments indiscutables dont ils disposaient, le succès le plus évident de la politique de sécurité publique des dix dernières années. Les 25 000 vies sauvées par les réformes de 2002 n'ont pas pesé lourd face à un groupe de pression résolu, dont la pensée "poujadiste" a été parfaitement illustrée à l'Assemble Nationale par Jacques Myard et son "cessez d'emmerder les français" qui signifie dans ce cas particulier : "laissons les beaufs écraser en paix".

Les conséquences ne peuvent être qu'importantes et dans des délais courts.

A la différence de l'amiante, du sang contaminé, du Médiator, les délais qui permettront de réaliser la gravité de cette perte du sens des responsabilités ne seront pas comptés en décennies ou en années. Les conséquences se feront sentir dans les mois qui viennent. La neige ou le prix des carburants sont les seuls espoirs de limitation des dégâts. Les décisions courageuses de décembre 2002 ont été immédiatement efficaces, le laxisme de l'Assemblée du 16 décembre 2010 et celui du Sénat du 20 janvier 2011 seront immédiatement destructeurs. Il ne s'agit pas d'actions aux effets différés comme celles qui portent sur les voitures ou les routes, mais d'un effet immédiat sur des humains qui ont su avec ces votes qu'ils peuvent maintenant "rouler en paix". Ce sont leurs conceptions du risque qui vont à nouveau commander leur comportement et non plus la nécessité imposée de respecter la loi. La possibilité de racheter 12 points en trois ans, par le doublement du nombre de stages de récupération des points perdus, quelle que soit la gravité des infractions commises, a été la manoeuvre la plus habile réussie par ce groupe de pression au niveau de l'Assemblée Nationale. Elle a été camouflée par la remontée de un an à deux ans du délai nécessaire pour récupérer tous ses points, avec dans ce cas l'exigence de ne plus commettre d'infractions, ce qui n'est pas le cas pour la récupération de points par un stage. Pas un mot sur ce point dans le débat devant le Sénat alors qu'il s'agissait de la disposition la plus importante et la plus destructrice introduite  par l'Assemblée le 16 décembre 2010.

Une amnésie totale

En entendant ces débats et en relisant les trois comptes rendus des deux assemblées, il était possible de comprendre que la qualité d'une démocratie dépend étroitement des connaissances des décideurs (les parlementaires en font partie). Dans ce débat, l'amnésie a atteint un niveau exceptionnel. Oubliée la brutalité de la chute de la mortalité en décembre 2002 à la suite des annonces du Comité interministériel de sécurité routière du 18 décembre 2002. Oubliée la brutalité de l'ascension de la mortalité à partir de l'annonce dans les médias fin 1987 d'une probable amnistie présidentielle en mai suivant. De 200 tués en moins par mois nous étions passés à 200 en plus en l'espace de 2 mois ! Le comportement d'une partie importante des usagers dépend du risque perçu. Si le risque de perdre son permis est objectivement plus faible, leur comportement sera modifié. Ils ne se transformeront pas en chauffards, ils seront moins attentifs au respect des règles, notamment des limitations de vitesse. Une faible variation de la vitesse moyenne provoquant une variation importante de la mortalité, son accroissement aura pour conséquence des morts supplémentaires.

Si la mortalité s'accroit dans les mois à venir, au lieu de s'abaisser vers le seuil de 3000 tués (objectif fixé par le président de la République pour 2012), l'enquête sera plus facile que celle qui commence sur les morts provoquées par le Médiator.