Mes motivations ne sont pas spécifiques de la sécurité routière
" En vérité le mentir est un maudit vice. Nous ne sommes hommes, et
ne nous tenons les uns aux autres que par la parole. Si, comme la
vérité, le mensonge n’avait qu’un visage, nous serions en meilleurs
termes : car nous prendrions pour certain l’opposé de ce que dirait le
menteur. Mais le revers de la vérité a cent mille figures et un champ
illimité ” : Michel de Montaigne – Essais livre 1
chapitre 9.
"La liberté d'opinion est une farce si l'information sur les faits n'est
pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l'objet
du débat" : Hannah Arendt, La crise de la culture.
"Seule la vérité qui ne s'oppose à aucun intérêt ni plaisir humain
reçoit bon accueil de tous les hommes" Thomas Hobbes, Le
Léviathan.
"La science et l’objectivité scientifique ne résultent pas des
tentatives d’un savant individuel pour être objectif, mais de la
coopération amicalement hostile de nombreux savants" : Karl Popper,
The open society and its ennemies.
"Les récepteurs d’une découverte collaborent à sa vérification en
essayant (en vain) de la détruire, de la réfuter. Constaté signifie
collectivement validé dans un travail de communication aboutissant à la
reconnaissance universelle (dans la limite du champ, c'est-à-dire de
l’univers des connaisseurs compétents). Les adversaires collaborent au
travail de vérification par le travail qu’ils font pour critiquer,
corriger, réfuter" : Pierre Bourdieu, Science de la
science et réflexivité.
"Il est de notre devoir à nous, scientifiques, de défendre la liberté
contre les faussaires" : Christian de Duve,
Sciences et Avenir, octobre 2005
Pourquoi autant de désinformation dans ce domaine ?
Les causes principales sont :
- l'importance des comportements passionnels face à la conduite automobile,
- l'ampleur des enjeux économiques.
- une presse professionnelle très abondante confond la connaissance des véhicules et la connaissance des accidents. En 45 ans d'activité de recherche dans le domaine de la sécurité routière, j'ai rencontré très peu de journalistes français dans les congrès traitant de l'accidentologie.
- des constructeurs engagés dans une concurrence très dure, qui luttent pour la survie et le développement de leurs entreprises et tentent de convaincre par tous les moyens. Je traiterai à part le problème de la publicité qui est un des éléments de la séduction.
- la banalité de l'acte de conduire qui facilite une prise de parole sans fondement scientifique. De nombreux conducteurs sont persuadés de savoir pourquoi les accidents se produisent et ils en tirent facilement des certitudes quant aux méthodes à mettre en oeuvre pour les prévenir. Cette dérive concerne également de nombreux politiques.
Les modalités de la désinformation et de la manipulation
- le mensonge demeure la modalité la plus utilisée
- l'erreur sur les faits est la forme involontaire du déni de la réalité
- l'omission des faits qui vont à l'encontre des conclusions auxquelles on veut aboutir
- l'erreur logique revêt deux formes principales :
- les prémisses ne permettent pas la conclusion (raisonnement invalide)
- une ou plusieurs prémisses sont fausses
- les attaques contre les personnes destinées à dévaloriser leurs positions
- l'affirmation sans preuve (dogmatisme, croyance)
- le passage par la séduction et les sentiments dans le but de conditionner à une notion erronée, aux dépens de procédures rationnelles (le publicitaire remplace l'éducateur)
Les méthodes pour lutter contre ces dérives de l'information
Dans ce genre d’exercice mettant en cause des personnes nommément désignées, le choix des mots est difficile, potentiellement dangereux. Dans un livre publié dans la collection Sciences du risque et du danger (La violence routière – Des mensonges qui tuent – aux éditions Lavoisier), j’ai écrit à propos d’un journaliste, Airy Routier, qui avait publié « La France sans permis » les phrases suivantes : « l’auteur sait exploiter avec un professionnalisme évident toutes les méthodes connues de manipulation des faits, des concepts et des raisonnements. Elles vont du mensonge simple aux différentes formes de destruction de la logique formelle, de l’épidémiologie et de la méthode scientifique. A cette panoplie du manipulateur, il ajoute l’abandon du respect de l’autre et des références qui fondent la vie en société ». J’avais souvent dénoncé dans le passé ce type de comportement, sans jamais être poursuivi pour diffamation. Airy Routier n’a pas apprécié mes propos (il est susceptible et n’avait pas supporté de se retrouver en garde à vue pour avoir conduit après la perte de tous ses points de permis). Je me suis retrouvé devant la 17ème chambre correctionnelle à la suite de sa plainte.
Mon avocat, m’a expliqué que j’avais pris des risques en utilisant les mots de manipulateur et d’exploitant du mensonge qui impliquaient sans ambiguïté la volonté de tromper. Il est possible de tenir des propos liés à l’incompétence et de mentir sans le savoir, l’ensemble ne relevant pas de l’intention de tromper et de manipuler. Cette aventure judiciaire était pour moi une première et elle a été pleine d’enseignements. J’ai dû retravailler mes textes et développer avec mon avocat un ensemble d’arguments destinés à prouver la volonté de manipuler d’Airy Routier, en utilisant les méthodes que j’indiquais. Ce travail m’a demandé plusieurs mois et le volume des preuves apportées était tel que j’ai gravé un CD-ROM pour les regrouper et faciliter le travail des juges. L’audience devant le tribunal correctionnel a été longue, 4h30, et le jugement rendu le 19 juin 2009 a conclu à ma relaxe. Il contenait cette phrase précise et écrite dans un français parfait : "le prévenu pouvait affirmer comme il l’a fait que les erreurs factuelles et de raisonnement qu’il dénonçait relevait d’une volonté délibérée de l’auteur de travestir la vérité et de tromper le lecteur".
Je n’ai pas l’intention de répéter ce type d’expérience et je vais donc tenter d’éviter au maximum de caractériser comme une volonté de manipuler les faits et de tromper, les « erreurs » et les défauts logiques ou de connaissances exprimées par les participants à ce C dans l’air. Le lecteur, comme on dit dans une telle situation, devra porter lui-même un jugement sur les formes de malfaisances ou de malfaçons exprimées lors de cette émission.
Mon analyse exploite des arguments acceptés par les accidentologistes. Dans le domaine de la connaissance scientifique, la reconnaissance par les pairs est le meilleur critère pour apprécier la validité des notions analysées dans un débat. Les garanties de valeur sont celles des productions scientifiques en général.
Les conflits sont fréquents dans la démarche scientifique, mais les faits et les méthodes sont nécessairement décrits avec sincérité, le contrôle des pairs aboutissant toujours à corriger les erreurs, voire à disqualifier les faussaires, qui existent dans le milieu scientifique, comme dans le journalisme.