Dch10gotetcitation.doc (chapitre 10 du livre La France sans permis –
des mensonges qui tuent)
les nombres entre parenthèses suivis de passages soulignés font référence à mes
propos retenus dans la citation.(le premier d'entre eux est le titre du livre)
L’association des procédures
(2) L’association de procédés complémentaires permet de
créer des synergies qui renforcent leur efficacité propre. J’utiliserai pour
illustrer l’usage extensif de cette forme polymorphe de manipulation le livre d’xe
"Routier Airy"Airy Routier : La France sans permis. L’auteur sait exploiter,
avec un professionnalisme évident, toutes les méthodes connues de manipulation
des faits, des concepts et des raisonnements. Elles vont du mensonge simple aux
différentes formes de destruction des règles de la logique formelle, de
l’épidémiologie et de la méthode scientifique. À cette panoplie du manipulateur,
il ajoute l’abandon du respect de l’autre et des références qui fondent la vie
en société. Les attaques contre les personnes sont multiples et l’État
est décrit comme une nuisance. L’ensemble s’intègre dans une conception de la
société qui correspond aux variantes les plus extrêmes du libéralisme.
Airy Routier n’est pas un automobiliste ordinaire qui, par inattention ou
négligence, a commis des infractions lui faisant perdre quelques points sur son
permis. C’est un délinquant qui a continué à conduire alors que son permis était
annulé pour de multiples infractions et qu’il avait déjà été contrôlé sans
permis. Rappelons que la conduite sans permis est un délit puni de deux années
de prison. Par ailleurs, Airy Routier est rédacteur en chef du service
“ Enquêtes ” d’un hebdomadaire d’information : Le Nouvel Observateur. Je suis
abonné à ce journal et je le considère comme intelligent et respectable. Il a
été porteur de valeurs dans des moments difficiles de notre histoire, très
spécifiquement au moment de la guerre d’Algérie. Il est utile de comprendre
comment un journaliste ayant le profil et les pratiques d’Airy Routier peut se
retrouver rédacteur en chef de ce média. (3) Le cynisme
affiché est une attitude fréquente dans le milieu du journalisme, comme
d’ailleurs dans le milieu médical. Il peut s’agir d’une forme superficielle de
défense et de réaction face à un monde difficile dans lequel nous sommes
immergés et dont il faut parfois s’échapper par une prise de distance critique.
Si cette caractéristique imprègne une pratique professionnelle et conduit à
dénaturer les faits pour convaincre, la situation devient tout autre. Porter un
regard désabusé sur certains comportements est une attitude, la désinformation
est au journalisme ce que le charlatanisme est à la médecine.
1. Les techniques utilisées par Airy
Routier
(4) Elles appartiennent aux trois grandes catégories
de méthodes déloyales utilisées pour emporter la conviction : le mensonge, les
constructions paralogiques et le recours aux techniques d’influence. Ces
pratiques peuvent être étroitement associées, la construction de raisonnements
dépourvus de validité peut exploiter l’affirmation de faits inexacts et le
produit du raisonnement paralogique sera ensuite introduit dans une procédure
destinée à influencer. La notion de sophisme englobe toutes les formes de
déviances du raisonnement destinées à convaincre, qu’il y ait ou non une
perception nette du caractère fautif de la procédure utilisée. Il y a une
apparence de crédibilité dans ces pratiques et tout l’art des sophistes
consistait à égarer l’interlocuteur par des raisonnements pouvant apparaître de
bon sens et bien construits, alors qu’ils étaient dépourvus de validité.
Élaborer des hypothèses plausibles et leur donner une place majeure dans le
déterminisme des faits envisagés, sans en apporter la preuve, ou en masquant
tout ce qui contredit l’hypothèse proposée, est un des fondements de ces
pratiques.
Les techniques d’influence se situent en aval de la production de conclusions
invalides. Il ne s’agit plus de véritables raisonnements, mais de l’usage de
procédés conditionnant l’interlocuteur à l’acceptation des propositions
formulées en leur associant les notions de peur, de pitié, de dérapages
dangereux, d’excès de pouvoir, voire de manipulation. Le but est facile à
atteindre quand ce discours artificiel est servi à des lecteurs qui ont le
profil de l’auteur. Ce dernier sait parfaitement ce que l’on attend de lui. Il
ne s’agit pas de rigueur, mais de complaisance. Les chapitres, les paragraphes
et les mots sont choisis pour que le délinquant routier puisse se regarder dans
la glace en étant persuadé qu’il n’a jamais mis en danger la vie d’autrui. Il
n’est que la victime d’un système de répression devenu fou, comparable au
système soviétique sans le goulag.
Il serait inutilement long de décrire ici tous les faits de manipulation
présents dans le livre d’Airy Routier. Le lecteur qui souhaite les connaître
peut se reporter à l’analyse détaillée présentée sur le site
www.securite-routiere.org. Je me limiterai à des exemples illustrant les
principales variantes des techniques utilisées, pour mettre en évidence
l’ampleur et la diversité de cette entreprise de destruction de la valeur des
faits.
2. Les erreurs relevant de la logique
formelle
Un raisonnement valide aboutissant à des conclusions exactes doit exploiter des
prémisses elles-mêmes exactes. Cette condition préalable au développement d’un
processus logique n’est pas satisfaite dans un grand nombre de faits utilisés
dans le livre. Cette situation est fréquente dans les processus de manipulation
et pose le problème de la conscience de l’inexactitude des faits. Il faut savoir
si l’on a affaire à un menteur ou à un incompétent qui attrape tout ce qui lui
semble aller dans le sens de ce qu’il veut démontrer, sans le moindre esprit
critique. C’est le contexte professionnel, la nature des faits exploités et la
façon dont ils sont présentés qui permettent de trancher. (5)
Il peut y avoir des erreurs involontaires dans le livre
d’Airy Routier, mais l’exploitation d’une telle masse de faits erronés ne laisse
pas de place au doute, la malfaçon est minoritaire et la malfaisance dominante.
Airy Routier veut prouver que la ceinture de sécurité a été plus efficace que la
limitation de vitesse des voitures en 1973 pour réduire la mortalité sur les
routes. “ L’obligation du port de la ceinture est liée à la sécurité routière
alors que la limitation drastique de la vitesse suit des objectifs avant tout
économiques ” (p. 35). Il va produire une description totalement imaginaire des
mesures de 1973, notamment de leur chronologie, de leurs motivations et de leurs
conséquences, pour en faire une interprétation allant dans le sens de ce qu’il
veut prouver.
Les affirmations d’Airy Routier (p. 34 et 35) :
“ La France fut le premier pays européen à imposer la ceinture. Pierre Messmer
décidait en même temps, (souligné par moi) pour la première fois en France,
d’instaurer des limitations de vitesse : 110 km/h sur ces autoroutes qui
commençaient à mailler la France et avaient été conçues pour une vitesse moyenne
de 140 km/h ”.
La réalité a été très différente. Les décisions adoptées par le comité
interministériel de juin 1973 et appliquées en juillet associaient le port
obligatoire de la ceinture aux places avant et une limitation de la vitesse à
110 km/h sur les voies à grande circulation et à 100 km/h sur le reste du
réseau. Elles ne concernaient pas le réseau autoroutier qui ne supportait qu’une
très faible partie du trafic à cette époque et que les pouvoirs publics
souhaitaient développer.
Airy Routier : “ Sur ce point l’objectif affiché était moins la sécurité
routière que les économies d’énergie. Car 1973 est aussi l’année du premier choc
pétrolier, aussi violent qu’inattendu, provoqué par l’OPEP après la guerre du
Kippour ”.
La réalité : la limitation de vitesse de juillet sur le réseau non autoroutier
ne pouvait pas avoir un objectif économique lié au premier choc pétrolier qui a
suivi la guerre du Kippour. Cette dernière a été un événement brutal et
imprévisible survenant le 6 octobre 1973, trois mois après la mise en œuvre des
décisions de sécurité routière prises en juin.
Airy Routier : “ Rétrospectivement il apparaît clairement que l’obligation du
port de la ceinture fut la mesure décisive. À l’époque, le lobby de la sécurité
routière, qui se renforçait puissamment, mit cependant l’accent sur le rôle des
limitations de vitesse. Il hurlera au bout de quelque temps lorsque le choc
pétrolier une fois encaissé, le gouvernement décidera de rehausser les
limitations à leur valeur d’aujourd’hui. Sans d’ailleurs provoquer une
augmentation du nombre de tués. ”
La réalité : au moment du choc pétrolier la vitesse sur les autoroutes n’était
pas limitée. Le taux de mortalité était de 3,6 tués par 100 millions de
kilomètres parcourus. Quand la vitesse a été réduite à 120 km/h (et non 110), le
premier décembre, ce taux s’est abaissé à 1,5 soit une réduction de plus de
50 %. Le premier avril 1974 la vitesse a été augmentée à 140 et le taux de
mortalité est remonté à 2,1. À la fin de 1974, face au constat de
l’accroissement de la mortalité et aux réactions de ceux qui avaient en charge
la lutte contre l’insécurité routière, la vitesse a été abaissée à 130 et le
taux est redescendu à 1,5 tué. La variation du taux de mortalité et la variation
de la vitesse maximale autorisée se sont toujours effectuées dans le même sens.
Sept erreurs factuelles indiscutables sont identifiables dans ces deux pages.
Elles concernent la chronologie de ces décisions, les niveaux de vitesse sur
autoroutes et leurs conséquences. Le choix de limiter la vitesse sur le réseau
non autoroutier où était observée la quasi-totalité des accidents mortels et
d’associer à cette mesure le port obligatoire de la ceinture n’avait pas le
moindre objectif économique. Elle a été prise trois mois avant la crise
pétrolière provoquée par la guerre du Kippour et elle était préparée depuis
trois ans à la suite de la conférence sur la sécurité routière décidée par le
premier ministre, Jacques Chaban-Delmas. C’est deux mois après le début de la
pénurie relative d’essence, donc cinq mois après les limitations de vitesse hors
autoroute, que le Gouvernement a décidé d’étendre la réduction de la vitesse
maximale sur le réseau où cette mesure est la plus productrice d’économies de
carburant au kilomètre parcouru, c’est-à-dire sur le réseau autoroutier.
Airy Routier ajoute aux erreurs factuelles une erreur logique en affirmant deux
conclusions contradictoires. Pour réduire l’importance de la limitation de la
vitesse dans le succès de la politique de sécurité routière initiée en
juillet 1973, il indique que : “ Rétrospectivement il apparaît clairement que
l’obligation du port de la ceinture fut la mesure décisive ”. Dans le même
chapitre, l’auteur se plaint de la prise simultanée de deux décisions
(limitation de vitesse et port obligatoire de la ceinture), ce qui ne
permettrait pas de dissocier l’efficacité de l’une et de l’autre. “ Cette
pratique de la double ou triple décision sera systématiquement utilisée par la
suite, de sorte qu’on ne pourra jamais tester l’effet exact des limitations de
vitesse ”.
Affirmer une chose et son contraire est une méthode constamment employée dans le
livre. Ne pas respecter le principe de non-contradiction caractérise
l’inconsistance dans le langage des logiciens. Il est inexact de prétendre que
l’on ne peut dissocier les effets des limitations de vitesse de ceux produits
par le port de la ceinture. La limitation de la vitesse réduit l’accidentalité
et elle concerne tous les usagers, y compris les cyclistes, les cyclomotoristes
et les piétons qui sont moins souvent impliqués dans des accidents avec des
véhicules quand la vitesse de ces derniers est plus faible. Le port de la
ceinture ne réduit le risque que pour les occupants des voitures particulières
équipées. Nous sommes donc en présence d’un véritable enchaînement de procédés
inacceptables, associant des faits inexacts à des conclusions invalides et
éventuellement contradictoires !
L’effet des limitations de vitesse sur l’accidentalité et la mortalité est un
sujet largement traité par les scientifiques et j’ai abordé ce problème dans le
chapitre précédent. Il est utile de compléter les notions déjà présentées par le
graphique de la figure 1, illustrant l’influence des décisions de 1973/1974 sur
la mortalité pour 100 000 kilomètres parcourus sur le réseau autoroutier. La
période était particulièrement adaptée à cette recherche puisque quatre
réglementations différentes se sont succédé (Cohen et al. : Limitations de
vitesse, les décisions publiques et leurs effets – Éditions Hermès, 1998,
page 69).
Figure 1 Influence de la limitation de vitesse sur
autoroute.
(6) Les débats oraux accompagnant la parution du livre d’Airy Routier ont mis en évidence la difficulté de maîtriser les dérives d’un manipulateur expérimenté au cours d’une discussion. Pour être capable de le faire, Il faudrait avoir à tout moment les documents nécessaires sous la main, ou être un spécialiste du problème traité. Le 26 mars 2007, un débat est organisé entre Airy Routier et deux journalistes du Nouvel Observateur, Claude Weill et Gérard Petitjean. Il est présenté sur le site internet du journal sous la forme d’une vidéo. Gérard Petitjean avait fait une analyse très critique de La France sans permis dans le numéro du 1er mars 2007, mais le débat a été rendu impossible par la succession d’affirmations fausses produites par Airy Routier qui a indiqué notamment que “ La vitesse moyenne baisse sur les autoroutes depuis 5 ans et le nombre de morts augmente ”. La réalité est à l’opposé de cette affirmation. La réduction de la mortalité constatée fin 2005 par rapport à 2002 a été de 38,5 % sur l’ensemble des réseaux autoroutiers, (36,2 % sur les autoroutes de liaison et 43,2 % pour les autoroutes de dégagement). Oser dire que le nombre de morts augmente alors qu’il s’est réduit de 38 % détruit toute possibilité de conduire à bien un débat honnête respectant les faits, donc les interlocuteurs.
(7) La négation d’une réalité documentée qui invalide le
raisonnement fondé sur le déni des faits est indispensable au manipulateur. Il
doit convaincre l’auditeur ou le lecteur que ses adversaires pratiquent
l’argument d’autorité et non l’argument prouvé. Les phrases suivantes
extraites de ce même débat du 26 mars 2007 illustrent cette pratique :
“ Aujourd’hui la vitesse n’est plus un problème, c’est la vigilance qui est un
problème ”. Faut-il même tenter de commenter un tel propos ! Quand Gérard
Petitjean lui cite le lien statistique entre l’évolution d’une vitesse moyenne
et l’évolution de la mortalité, il utilise la pirouette habituelle de l’ignorant
qui se demande d’où viennent ces chiffres. Sa réponse est la suivante : “ je ne
la conteste pas, je ne la soutiens pas, je voudrais voir les éléments
mathématiques qui sont prouvés derrière, puisque c’est des chiffres balancés en
l’air sans aucune base. Je ne les ai vues nulle part, les bases ”. On ne voit
pas ce que l’on ne veut pas rechercher et le livre ne contient pas une seule
référence accidentologique. L’auteur ne cite que des journaux généralistes et la
presse automobile. Pour maintenir le déni, il ne faut surtout pas tenter de
s’instruire.(8) Quand au sein d’une rédaction, un
“ journaliste ” a perdu le respect de ses propres collègues et tente de les
enfumer par des mensonges, on se demande où sont les références éthiques du
journal. Il ne s’agit plus de débats d’idées mais d’une incompatibilité de
méthode. La malhonnêteté intellectuelle rend tout dialogue impossible.
À côté de l’usage de prémisses fausses dont il est facile de prouver le
caractère inexact, il faut donner une place à part à l’action qui consiste à
rapporter des propos sans pouvoir produire la preuve qu’ils ont été tenus, alors
que ceux à qui ils sont attribués nient la réalité de ce qu’on leur fait dire.
L’exemple retenu concerne la relation par Airy Routier du conflit entre l’État
et les chauffeurs routiers au cours de l’été 1992, à la veille du vote par
l’Assemblée de la loi instaurant le permis à points. Le 2 juillet 1992 les
routiers français bloquent les routes pour obtenir que leur capital de points
soit le double de celui alloué aux autres usagers. Geneviève Jurgensen rencontre
le président Mitterrand au nom de la Ligue contre la violence routière pour lui
demander de ne pas céder à cette revendication. Le président de la République
revient le jour même de Sarajevo et Airy Routier indique que “ sa tête est
restée en Bosnie. Geneviève Jurgensen se demande même s’il sait que la France
entière est bloquée. Seule façon de retenir son attention : comme elle connaît
l’existence de Mazarine, elle lui lance : “ Et s’il arrivait la même chose à
votre fille ? ”. Elle gagne la partie : François Mitterrand déclare que “ le
gouvernement ne reculera pas d’un pouce sur le permis à points ” ; le 8 juillet
les routes sont dégagées manu militari avec force CRS et même des chars d’assaut
AMX ”.
J’ai pu contribuer aux actions de Geneviève Jurgensen avant même qu’elle ne
fonde la Ligue contre la violence routière, créée trois ans après la mort de ses
deux filles dans un accident de la route. Dès novembre 1981, elle m’a appelé
sans me connaître pour me demander si j’accepterais de faire partie des soutiens
qu’elle recherchait pour se présenter aux élections législatives partielles du
mois de janvier suivant. Je lui ai donné mon accord et la période qui a suivi a
été marquée par l’influence majeure de l’action associative dans la gestion
politique de l’insécurité routière. Nous avons souvent eu l’occasion de
travailler ensemble au cours des vingt dernières années, notamment dans la
commission qui a rédigé en 1989 le Livre blanc de sécurité routière à la demande
du premier ministre Michel Rocard. Nos approches de la sécurité routière n’ont
pas toujours été les mêmes, ce qui est normal. Le rôle de militant dans une
association n’est pas identique à celui de l’expert, mais l’un et l’autre ont
intérêt à se comprendre. Imaginer Geneviève Jurgensen dans la peau de la goujate
qui interpellerait François Mitterrand en empiétant sur sa vie privée et en
jouant de la sensiblerie est tout simplement ridicule. En dehors de toute notion
de respect humain, elle n’aurait pas utilisé une provocation aussi dangereuse,
ce type de remarque risquait de faire échouer cet entretien particulièrement
important pour l’avenir du permis à points. Airy Routier voulait mettre en scène
des relations de combat et de lutte d’influence musclée, là où il ne pouvait y
avoir qu’une confrontation d’intelligence tactique.
J’ai demandé à Geneviève Jurgensen quelle était sa version de cet entretien.
Elle a rédigé le texte suivant : “ L’entretien a duré 45 minutes, sans témoin.
Je n’ai eu aucun mal à intéresser le président à la cause, même si en effet il
n’était au départ guère au courant. Je l’y ai intéressé par un moyen simple :
faire porter la discussion avec les routiers sur leurs conditions de travail. À
cela, Mitterrand a mordu tout de suite, d’où sa phrase que j’ai citée à la
presse qui l’a beaucoup reprise : “ Ce sont les serfs de notre époque ”. Un
entretien comparable avec le premier ministre, Pierre Bérégovoy, qui m’a demandé
de venir à Matignon le surlendemain de l’entretien avec Mitterrand, a abouti à
la même conclusion. D’où, ensuite, les négociations fructueuses avec les
représentants des routiers, qui ont débouché sur l’amélioration de leurs
conditions de travail. Ils ont de ce fait très bien accepté d’être égaux devant
la loi avec les particuliers en ayant le même nombre de points sur leur
permis ”. Une commission pour le réaménagement du permis à points a été
constituée. Elle a doublé le capital de points tout en doublant le nombre de
points retirés pour toutes les infractions, sauf le dépassement de moins de
20 km/h de la vitesse autorisée, ce qui était une juste adaptation du
dispositif.
Une telle impudence dans le mensonge laisse pantois. Comment Airy Routier
pouvait-il imaginer qu’une pareille affabulation allait laisser Geneviève
Jurgensen sans réaction ? Ces procédés montrent à quel point il est indifférent
à une critique objective de son livre. Sa méthode consiste à provoquer pour
attirer l’attention tout en faisant croire qu’il a accès à des sources
d’information privilégiées. L’objectif final était d’accréditer l’idée que le
permis à points avait été maintenu par un lobby anti-voiture utilisant des
procédés déloyaux et violents, fondés sur l’affectivité et non sur la
rationalité. Quand une secte se constitue et que des textes sont diffusés par
ses fondateurs, les lecteurs “ normaux ” et dotés d’un minimum de bon sens sont
stupéfaits de constater le peu de consistance de ces écrits. Les documents de
base affirment des dogmes et utilisent des besoins affectifs ou des frustrations
pour obtenir une adhésion. (10) Il faut comprendre qu’Airy
Routier utilise les mêmes procédés. Le conditionnement sectaire repose sur la
répétition de concepts simples. Les initiateurs réunissent autour d’eux
un groupe “ en manque ” qui va occuper une “ niche sociale ” vacante, par
analogie avec les niches écologiques qui seront occupées par une espèce animale.
Outre l’inconsistance du raisonnement, le mode de production le plus fréquent de
conclusions invalides produites par Airy Routier est l’affirmation du
conséquent. Elle consiste à exploiter deux prémisses exactes pour produire une
conclusion fausse. Une forme valide de syllogisme consiste à dire que, si la
constatation du fait A (l’antécédent) a toujours permis l’observation du fait B
(le conséquent), alors la présence de A permet de conclure que B est également
présent. La forme invalide consiste à envisager la situation où l’on observe B
et d’en conclure que A doit être présent, parce que l’on a auparavant observé
l’association précédente. Un effet constaté peut avoir plusieurs causes et il
est alors impossible d’affirmer sans autre preuve que l’une d’entre elles l’a
provoqué.
Airy Routier pose par exemple la question suivante : “ Est-ce la répression
délibérément aveugle, dont je suis une des victimes parmi des milliers d’autres,
voire des millions d’autres, qui explique la baisse significative du nombre de
morts au cours des dernières années ? ”. Il tente ensuite d’accréditer l’idée
que la forte baisse de la mortalité routière au cours de la période 2002-2006
n’est pas une spécificité française. “ Personne ne nous dit cependant que cette
baisse rapide du nombre de tués concerne en même temps toute l’Europe à
l’exception de certains nouveaux entrants de l’Est en particulier la Pologne ”.
Il pourra ensuite présenter les explications qu’il retient pour expliquer cette
réduction généralisée de la mortalité routière, deux sont privilégiées. L’une
est le progrès technique réalisé sur la sécurité primaire et secondaire des
véhicules : “ Outre-Rhin, pays de la fierté industrielle nationale, le seul en
Europe où la vitesse n’est pas limitée sur les autoroutes, cette baisse est,
pour l’essentiel, imputée aux progrès techniques ”. La seconde explique
l’évolution des comportements comme : “ une évolution culturelle majeure.
Partout, y compris en Italie et même en Turquie, qui a longtemps abrité les
conducteurs les plus agressifs, la modification des comportements est évidente :
la conduite est plus douce, dans un environnement moins stressant ”.
L’affirmation du conséquent est évidente : le progrès technique et l’évolution
des comportements réduisent l’insécurité routière, cette évolution est observée
dans tous les pays d’Europe, donc la réduction de l’insécurité routière en
France a des causes identiques, sous-entendant qu’il est abusif de l’attribuer
au renforcement du dispositif du contrôle et de sanctions qui l’a conduit en
garde à vue.
La volonté de l’auteur de masquer la rupture brutale observée en France, nous
faisant passer d’une réduction de 2,25 % (mai 1997/avril 2002) à une réduction
de 43,8 % (mai 2002/avril 2007) est évidente. Il veut attribuer les succès
récents à une évolution présente dans tous les pays de l’Union. Ce raisonnement
est dépourvu de fondement car il comporte trois erreurs. La réduction de
l’accidentalité en Europe sous l’influence des améliorations de l’infrastructure
et des véhicules est une tendance sur le long terme. Ces améliorations ont une
caractéristique commune, elles sont très lentes et leurs effets sont réguliers.
Il faut plus de 15 ans pour renouveler le parc des voitures et une amélioration
brutale ne peut être expliquée par le progrès technique. La seconde erreur
consiste à surévaluer les progrès effectués dans les autres pays européens, ils
sont deux fois moins élevés que ceux de la France au cours de la période
2002-2006. Enfin, l’hypothèse d’une évolution “ culturelle ” ne correspond pas
non plus à la brutalité de la modification du comportement d’un mois sur
l’autre, observée en France à partir de décembre 2002. Il fallait à l’opposé
reconnaître que la mise en œuvre d’une nouvelle politique de contrôle et de
sanction avait provoqué une dissuasion crédible des excès de vitesse. Elle a été
prouvée par les mesures faites par l’Observatoire des vitesses et explique la
plus grande part de la réduction supérieure à 40 % de la mortalité. Parmi les
causes possibles d’amélioration de la sécurité routière (le conséquent),
plusieurs pouvaient être éliminées, leurs caractéristiques étant incompatibles
avec la chronologie des faits observés. Une seule répondait aux exigences du
raisonnement logique et des faits établis : la réduction des vitesses produites
par les décisions de décembre 2002. Une démarche scientifique à visée
explicative a ses règles et elle est soumise à la réalité observée, Airy Routier
voudrait faire abstraction de ces contraintes et choisir les explications qui
lui plaisent comme on fait ses courses dans un supermarché.
3. L’usage de paralogismes informels
La notion de “ faux dilemme ” consiste à insister sur une notion indiscutable
pour donner l’impression que les autres actions possibles sont inutiles, voire
excessives. Quand une délinquance est relativement massive et concerne des
dizaines voire des centaines de milliers de personnes, il est habile de
minimiser le rôle d’une forme acceptable de cette délinquance en l’opposant à la
forme grave, qui est bien entendu celle des autres. La métaphore du filet de
pêche et de la relation entre la taille des mailles et le poisson retenu est
largement utilisée par Airy Routier. Affirmer que le risque routier évitable est
produit par les niveaux de délinquance les plus excessifs est une affirmation
constante de ceux qui veulent que leur délinquance n’ait pas un caractère de
gravité justifiant les sanctions “ injustes ” dont ils sont les victimes. La
définition de l’excès dans le langage d’Airy Routier semble relever de la
plaisanterie. Il est capable d’annoncer au début de son livre qu’il ne sera pas
question de “ défendre ou d’excuser le non-respect des règles élémentaires de
sécurité, ainsi que les comportements dangereux ou irresponsables. Des
exemples ? La conduite en état d’imprégnation alcoolique réelle ou sous
l’emprise de diverses drogues, le mépris des règles élémentaires de sécurité, la
très grande vitesse lorsque la voie utilisée ou le trafic ne le permettent pas,
etc. Bref : celui qui conduit à 100 km/h en ville et 190 km/h sur une route ou
une autoroute chargée, avec quelques verres dans le nez, est bel et bien un
criminel en puissance et mérite de ce fait, d’être mis hors d’état de nuire ”.
Les exemples de comportements dangereux ou irresponsables décrits ci-dessus sont
en contradiction avec la connaissance du risque lié notamment à la vitesse et à
l’alcool qui croît de façon continue et exponentielle. Cela signifie qu’il n’y a
pas de seuil au-dessus duquel le risque existe et au-dessous duquel il est
inexistant. Le choix d’une limite de vitesse ou d’un seuil d’alcoolémie est un
compromis social fondé sur une connaissance scientifique, mais ce n’est pas le
scientifique qui l’impose, c’est le politique qui définit la limite qu’il
considère comme acceptable, efficace et de bon sens. Face à une relation
quantitative entre un facteur de risque et le risque produit, tout
affaiblissement du facteur de risque va réduire les dommages. Les exemples de
comportements dangereux donnés par l’auteur correspondent à des risques très
élevés et il est faux d’imaginer que les comportements se situant au-dessous de
ce niveau de prise de risque ne sont pas dangereux, ils sont simplement moins
dangereux. La distinction artificielle entre des risques qualifiés de “ réels ”
et de ceux qui seraient très faibles, donc acceptables, est le type même du faux
dilemme. L’échec relatif de la loi Gayssot de 1999, qui sanctionnait très
fortement les grands excès de vitesse et le succès des dispositions de 2002 qui
ont limité les tolérances sur les faibles excès de vitesse, notamment avec la
mise en œuvre des radars automatiques, met en évidence l’importance de ne pas se
limiter aux déviances les plus extrêmes qui sont également les plus rares.
4. Les techniques d’influence visant à
dévaloriser l’État et les personnes
Le livre d’Airy Routier est une forme d’expression concrète de la pensée dite
poujadiste, solidement ancrée dans une extrême-droite soucieuse de réduire
l’action de l’État dans tous les domaines, notamment dans sa fonction importante
de collecteur de l’impôt. Dans cette idéologie, l’État est perçu comme un
parasite social, une poche sans fond, qui engloutit et gaspille, jamais comme le
gestionnaire légitime d’un bien collectif, sous le contrôle de politiques élus.
“ Taxer les automobilistes, quoi de plus tentant pour un État en mal de
recettes ? ”. “ C’est, pour le ministère des Finances, une affaire en or ”. “ Il
apparaît clairement que l’argument de la sécurité routière n’est plus qu’un
maquillage visant à justifier et à masquer la levée d’un impôt nouveau auprès
des seuls automobilistes ”. Sur de nombreux points les affirmations d’Airy
Routier se rapprochent des thèses de Jean-Marie Le Pen dont il indique par
ailleurs qu’il se “ démarque de tous les bien-pensants ” et dont il cite
longuement la position favorable à l’amnistie des “ actes n’ayant pas atteint
l’intégrité des personnes ”. Cette hypothèse peut également être confortée par
la citation de Bruno Gollnisch, délégué général du Front national qui a
déclaré : “ Comme le dit Monsieur Le Pen, l’État français est une putain devenue
chaisière. Il persécute les automobilistes en les écrasant de taxes et leur
pourrit la vie avec ses amendes ”.
Cette parenté se manifeste également quand Airy Routier écrit : “ Personne ne
nous dit, parce que ce serait politiquement incorrect, que l’auteur comme la
victime type d’infractions routières graves n’est pas ce cadre supérieur
méprisant des autres que l’on montre du doigt comme un épouvantail social, mais
se trouve parmi les populations issues de l’immigration et, plus généralement,
dans les catégories sociales les plus pauvres ”. Nous entrons là au cœur d’un
problème très important en épidémiologie, celui des statistiques ethniques. Il
est actuellement très débattu, avec des arguments pertinents de part et d’autre.
Le risque de leur développement est d’accentuer la séparation d’une société en
sous-groupes que l’on peut ensuite stigmatiser, comme le fait Airy Routier dans
ce paragraphe. À l’opposé, ces statistiques peuvent faire apparaître des
discriminations, mais également des mécanismes de différenciation qui permettent
de comprendre les situations et éventuellement de réduire certains facteurs de
risque. Des catégories sociales disposant de faibles moyens utilisent des
véhicules anciens, dépourvus des systèmes de sécurité active ou passive les plus
efficaces, ce qui peut produire un risque d’implication plus élevé dans des
accidents corporels et des dommages plus importants. En l’absence de référence à
toute publication faisant apparaître la preuve de cette réalité habillée d’un
“ personne ne nous dit ”, il faut placer cette affirmation dans le champ des
hypothèses non prouvées de l’auteur.
L’usage extensif de l’expression “ personne ne nous dit ” fait partie des formes
élémentaires de pratiques d’influence destinées à convaincre le lecteur qu’il
est tenu à l’écart de vérités fondamentales et que l’auteur va lui révéler ce
qu’on veut lui cacher. Airy Routier en abuse, allant du “ Personne ne nous dit
que les amendes routières ont rapporté 620 millions d’euros en 2006 ”,
affirmation parfaitement fausse, ce montant est publié chaque année, au
“ Personne ne nous dit que, parmi tous ces pays, la France est le seul qui a mis
au point un système de répression totalement automatisé, écartant délibérément
toute responsabilité individuelle et toute analyse des situations particulières.
Qu’il est le seul où a été écartée l’intervention des juges, garants de
l’équité, au profit d’un système entièrement robotisé ”. L’affirmation est
d’autant plus ridicule qu’un chapitre entier décrit les manœuvres possibles pour
éviter de subir les sanctions de fautes constatées, tous les recours étant bons
pour échapper à des sanctions qui apparaissent comme injustes à l’auteur. Ce
dernier sera d’ailleurs le bénéficiaire de ces possibilités de recours puisqu’il
récupérera son permis au début de l’année 2008 à la suite d’un recours devant un
tribunal administratif.
Le refus de tout ce qui peut aller à l’encontre de ses idées conduit
régulièrement Airy Routier à une agressivité et à des débordements de
vocabulaire qui ne servent pas son texte, mais qui situent bien son livre dans
le domaine du pamphlet visant bas. Ses commentaires sur le travail du
responsable de l’Observatoire interministériel de sécurité routière (ONISR) sont
particulièrement significatifs. Il utilise son ton méprisant habituel visant à
dévaloriser la personne qu’il va attaquer “ un certain Jean Chapelon écrit : à
la fin des années soixante-dix, le bilan de l’insécurité routière en France
était publié sous la forme d’un petit fascicule de vingt pages contenant trois
graphiques, vingt-trois tableaux et une page de commentaires. La présentation
actuelle a multiplié par vingt la quantité de données présentées. Au cours des
dernières années, le rapport annuel de l’Observatoire s’est enrichi de douze
chapitres nouveaux. En clair, cet excellent fonctionnaire digne de Courteline
reconnaît naïvement avoir multiplié par vingt sa production de papier ”. La
progression de la qualité et de la quantité de données accessibles aux
décideurs, aux journalistes et aux usagers est présentée comme une accumulation
de papier inutile, sans le moindre exemple pris parmi ces 266 pages d’un
chapitre inutile ou contenant des données fausses. L’erreur logique est
évidente, un progrès dans les connaissances reconnu au niveau international est
décrit comme une volonté d’accroître une apparence d’activité exprimée en volume
de papier !
Un journaliste qui se plaint d’avoir trop d’informations, c’est original ! En
réalité, Airy Routier est gêné par la richesse de ces documentations qui
neutralisent sa désinformation. Il voudrait à la fois avoir le monopole de
l’information spécialisée et pouvoir l’arranger à sa guise pour défendre ses
thèses. Avoir une telle attitude alors que, quelques pages auparavant, il nous
expliquait doctement qu’il fallait traiter les usagers comme des individus
responsables et ne pas les infantiliser, est un exemple de ce flot
d’affirmations contradictoires qui caractérise le livre. Il faut convaincre,
mais il ne faut pas développer les informations produites par l’ONISR qui
contrarient les thèses de l’auteur. Cette contradiction logique est différente
de la précédente. Certains paragraphes du livre fonctionnent comme des poupées
russes emboîtant une série d’erreurs factuelles qui vont être reprises pour
construire une erreur de raisonnement.
Ceux qui ont contribué à développer des actions de sécurité routière qui
contrarient Airy Routier et lui font perdre des points sont constamment
dévalorisés. Les propos de Georges Sarre sont “ stupides ”, Dominique Perben est
un “ personnage inconsistant ”. Je suis décrit dans un chapitre sous les termes
suivants : “ Cet homme, aussi frêle en apparence que déterminé sur le fond,
deviendra peu à peu le chef des ayatollahs, aussi bien dans le domaine de la
route que dans celui du tabac ”. Je mesure 1 mètre 75, j’aime manger, mais aussi
nager, courir, faire du vélo, je fais les efforts qu’il faut pour maintenir ma
“ masse ” entre 75 et 77 kg, à la limite du surpoids. La notion d’apparence
“ frêle ” était utile à Airy Routier pour soutenir l’image symbolique d’un
Torquemada toujours dessiné ou peint comme un maigre au visage émacié, par
opposition aux gros moines paillards et bons vivants symbolisant la tolérance et
la joie de vivre. De tels détails ne trompent pas, ils prouvent que la réalité
de ce qu’il affirme n’a aucune importance pour Airy Routier. Je n’insisterai pas
sur ces attaques personnelles, un humain rationnel et athée a toujours des
difficultés à s’imaginer dans un portrait “ d’ayatollah ” ou de “ Torquemada ”
qui indique par définition des références dogmatiques et donc irrationnelles.
5. Désigner d’autres cibles pour
détourner l’attention
Quand on souhaite mettre en question une politique qui contrarie vos habitudes
ou vos intérêts, il est classique de dénoncer l’indifférence avec laquelle les
pouvoirs publics traitent des problèmes autrement importants.
Exemple : Airy Routier relève la différence de traitement entre la mort de
5 000 personnes sur les routes et le peu d’intérêt accordé aux accidents
domestiques “ qui tuent quatre fois plus dans l’indifférence générale ”. Il
relève cependant qu’il s’agit d’accidents se situant dans le domaine privé et
qui ne concernent pas la vie des autres, mais passe ensuite à la vraie raison
“ un énorme lobby s’est mis en place qui joue à merveille sur la corde sensible,
en pratiquant sans complexe l’infantilisation et la désinformation ”. (Chaque
fois que j’ai lu le mot désinformation dans ce livre, j’avais l’impression d’un
gag, un maître de la désinformation tentait de faire croire qu’il avait des
concurrents sérieux dans cette pratique !). Cet usage d’un fait qui n’est pas
directement lié à l’objet du livre fait partie d’une méthode utilisée par Airy
Routier et déjà signalée, qui consiste à botter en touche et à désigner les
“ vrais problèmes ” dont les pouvoirs publics devraient s’occuper. Il faudrait
lui expliquer que sa comparaison entre les chutes (10 520 morts) et les morts de
la route est totalement dépourvue de sens. Les classes d’âges ne sont pas les
mêmes et les chutes sont avant tout le fait de personnes âgées qui entrent dans
la dépendance et ont des difficultés à se déplacer sans tomber.
Si Airy Routier veut s’instruire, il peut consulter le site de l’INSERM sur les
certifications de décès. Il verra que les chutes accidentelles ont tué pour la
dernière année connue 39 personnes dans la classe des 15/24 ans et 1 694 dans
celle des 85/94 ans. Pour les accidents de transport les valeurs respectives
sont de 1 382 pour les 15/24 ans et 108 pour les 85/94 ans. Il est triste de
perdre ses parents, mais c’est dans la nature de la vie de voir se réduire un
jour son sens de l’équilibre et sa force musculaire. Perdre un fils ou une fille
de 15 à 25 ans (la classe d’âge la plus atteinte) est un événement d’une nature
différente. Quant aux 3 543 suffocations dont Airy Routier se préoccupe, il
faudrait lui expliquer que cela ne pourrait relever que d’un code de la
mastication qui est à inventer. Les fausses routes alimentaires qui étouffent
quelqu’un qui n’est pas dans le coma sont la conséquence de ce que les médecins
légistes désignent par le terme peu gracieux de gloutonnerie. Le glouton ne fait
pas la différence entre la quantité et la qualité, c’est un gros mangeur et non
un gourmet. Il y a là à la fois un déficit de connaissances sur la nature de ces
décès dits accidentels et une erreur logique sur la construction du
raisonnement. Le fait que des morts évitables existent en dehors de l’insécurité
routière ne justifiera jamais de réduire les actions en faveur de cette
dernière. Nous ne sommes pas dans un cadre où des arguments de hiérarchisation
financière des objectifs justifieraient des usages différents de fonds publics.
Airy Routier reconnaît que les radars automatiques collectent des fonds qui
entrent dans le budget de l’État et seront donc utilisés pour l’usage de la
collectivité, augmentant les capacités d’intervention des pouvoirs publics.
6. La dévalorisation de tous les propos
contraires à la “ doctrine ”
Quand un auteur écrit un livre destiné à plaire à un lectorat particulier qui
partage ses déviances, ceux qui l’achètent sont prêts à tout accepter et tous
les excès sont possibles. Des affirmations incompréhensibles pour un lecteur
“ ordinaire ” doté d’un esprit critique seront facilement admises par celui qui
veut être conforté dans ses idées et son comportement.
Exemple : Airy Routier cite dans son livre la phrase suivante publiée sur le
site internet d’une association que je préside : l’association pour
l’interdiction des véhicules inutilement rapides (APIVIR), qui a été créée pour
porter devant des juridictions administratives le problème posé par la mise en
circulation de véhicules dotés d’une vitesse maximale excessive. “ La situation
actuelle est incohérente et dangereuse. Comment peut-on autoriser la mise en
circulation de véhicules roulant à plus de 200 km/h sur nos routes alors que
l’on sait que la vitesse maximale autorisée est de 130 km/h et que ces véhicules
sont responsables de plusieurs centaines de morts chaque année ? ” La suite du
texte de l’association est dans le même style, développant des arguments que les
pouvoirs publics ont souvent utilisés, notamment dans les directives
européennes, pour justifier la limitation de la vitesse à la construction des
cyclomoteurs, des tracteurs, des poids lourds, des transports en commun, et lors
de l’extension de la limitation de vitesse à la construction au-dessus de
3,5 tonnes. Pour Airy Routier : “ le communiqué que l’apivir a diffusé le
25 mars 2006 permet de mesurer la violence des convictions quasi mystiques des
nouveaux ayatollahs, mais aussi l’inanité de certains de leurs arguments ”. On
voit mal comment une mesure de limitation de la vitesse à la construction qui a
déjà été appliquée à plusieurs groupes de véhicules deviendrait l’expression
d’une violence mystique lorsqu’elle serait appliquée aux véhicules responsables
du plus grand nombre de tués sur les routes. (11) Quand le
manipulateur est un passionné qui sait ce que son “ public ” attend, des propos
qui apparaissent ridicules à celui qui conserve une attitude rationnelle peuvent
être écrits dans un livre, avec sur la quatrième de couverture : “ rédacteur en
chef au Nouvel Observateur ”.
7. La place d’un tel “ journaliste ”
dans un journal tel que Le Nouvel Observateur
Pour comprendre comment un Airy Routier peut être rédacteur en chef du service
“ enquêtes ” de ce journal, il faut tenir compte de l’évolution de la presse, de
ses difficultés et de la place de l’automobile dans une société comme la nôtre,
avec toutes ses ambiguïtés. Ceux qui analysent les difficultés de la presse
écrite savent que la pression économique sur ce type de média, concurrencé par
la télévision et les gratuits, les conduit à adopter des stratégies de survie.
Accepter dans leurs pages des textes qui sont la négation de leur éthique et de
leurs objectifs fait hélas partie de ce comportement utilitaire. Quand Le Nouvel
Observateur consacre un numéro spécial sur l’écologie et présente l’essai d’une
Mercedes à hydrogène dont les caractéristiques de consommation, avec ou sans
hydrogène (qu’il faut bien produire !), sont en contradiction totale avec la
lutte contre l’effet de serre, on comprend la gravité d’une telle situation.
La rubrique “ enquête ” du Nouvel Observateur dirigée par Airy Routier a pour
grand reporter Olivier Péretié. C’est lui qui assure les pages essais de
nouvelles voitures dans la revue. Dans les numéros contemporains de la
publication de La France sans permis, il n’essayait pas les modèles raisonnables
sur lesquels repose l’avenir de la planète (et encore !), mais les modèles les
plus puissants. Cela produisait les phrases suivantes :
“ dans les lacets de Catalogne, ses 175 chevaux turbo nerveux comme les étalons
de Lawrence d’Arabie ne cessent de vous arracher des éclats de rire ”. Une page
entière de la revue est consacrée à la Mini Cooper S, la variante de la gamme
Mini la plus destructrice pour l’environnement et les usagers de la route qui la
croisent (numéro 2207 du 22 février 2007). Tout est réuni en quelques mots, le
plaisir (l’éclat de rire), le sexe (l’étalon), l’aventure (Lawrence d’Arabie),
on sent le professionnel hypercompétent qui caresse son étalon de lecteur dans
le sens du poil ; miraculeusement, pourtant, grâce à ses reprises, à sa
rigidité, à sa direction diabolique, la moderne est un vrai régal sur petite
route sinueuse ”, “ et sans la moindre ostentation de surcroît : elle n’affiche
quasiment rien qui la signale aux néorigoristes de la route ”. Ces propos
concernent la Peugeot 207 turbo de 150 chevaux (numéro 2205 du 8 février 2007).
Cette fois c’est le diable qui est appelé à la rescousse, les trompe-la-mort
adorent la référence au Malin ! Notons au passage l’importance de la rigidité
qui permet d’aller vite sur les routes sinueuses, la contrepartie est signalée
mais pour être valorisée “ C’est là qu’on découvre qu’avec 400 kg de plus qu’une
205, cette GTI moderne a rejoint le monde cossu des bourgeoises berlines ”. Bien
entendu, plus de poids, plus de puissance, plus de vitesse, plus de reprises
signifient plus de consommation par rapport à un modèle plus modéré. Je n’ai pas
sélectionné deux articles particulièrement orientés vers les versions les plus
extrêmes, j’ai simplement lu les deux essais publiés dans le journal, quelques
semaines après les propos délirants sur la Mercedes à hydrogène.
Les publicités pour les voitures publiées par Le Nouvel Observateur mettent en
évidence des faits importants :
cette publicité représente une part importante des ressources du journal, onze
pages dans les deux numéros qui présentaient ces essais ;
il s’agit d’une publicité orientée vers les modèles haut de gamme. Rappelons que
les constructeurs s’étaient engagés à respecter une émission moyenne de dioxyde
de carbone de 150 grammes par kilomètre (ils ne respecteront pas cet engagement)
et que la commission de l’Union européenne voudrait leur imposer 130 grammes
(nous avons vu dans quelles conditions !). Dans les deux numéros contenant les
articles précités, les publicités indiquaient les consommations : 156 à 193 g,
196 g, 122-152 g, 215 g, 190 g, 164-224 g, 165-226 g, 168 g, 202 g, 177 g !
le jour où Le Nouvel Observateur publiait les réactions de lecteurs au livre
d’Airy Routier, la couverture de ce numéro du 15 mars était “ enrobée ” dans une
publicité vantant les mérites de la nouvelle Volskwagen Touareg. “ Moteurs
essence V6 FSI 280 ch et W12 450 ch, moteurs diesel R5 TDI 174 ch, V6 TDI 225 ch
et V10 TDI 313 ch ESP… Voici au moins des valeurs sur lesquelles vous ne pouvez
pas vous tromper ”. Bien entendu, la publicité en question ne donne que les
émissions du plus petit diesel, le R5 TDI : 267 grammes au kilomètre. La maison
brûle et les publicités du Nouvel Observateur l’arrosent d’essence et de
gazole !
La personnalité d’Airy Routier est abordée sans ambiguïté dans le numéro du
Nouvel Observateur du 1er mars 2007 qui présente son livre sur quatre pages avec
de nombreuses critiques. Serge Raffy commence son article ainsi “ Démago le
bouquin d’Airy Routier ? sans aucun doute. Un type qui part en croisade contre
les interdits, radars, flics en tous genres, limitation de vitesse, alcootests,
caresse forcément notre beaufitude dans le sens du poil. Que dit-il à grands
coups de hache populiste ? Que le citoyen automobiliste est une malheureuse
victime des lobbies de la sécurité routière ”.
Commentaires
J’ai fait l’analyse du livre d’Airy Routier La France sans permis au cours des
six semaines qui ont suivi sa parution, pour donner des arguments à ceux qui ont
eu à s’exprimer dans des médias ou à participer à des débats avec l’auteur. Je
concluais une des pages présentées sur le site www.securite-routiere.org en
écrivant : (12) “ il ne s’agit pas de savoir si la
diversité de l’opinion des rédacteurs est une bonne chose pour un journal, c’est
une évidence, mais de savoir si un rédacteur en chef aussi menteur et
manipulateur qu’Airy Routier a sa place dans un journal tel que Le Nouvel
Observateur ”. C’était en avril 2007, six mois avant la mise sur le site
du Nouvel Observateur, à l’initiative d’Airy Routier, du SMS qui aurait été
adressé par Nicolas Sarkozy à sa seconde femme.