le contexte
Dans le concours de comportements asociaux visant à réduire le pouvoir de dissuasion des gendarmes et des policiers qui ont pour mission de faire respecter les règles du code de la route, le signalement des radars automatiques avait remporté la palme au cours des dernières années. La mutualisation immédiate des renseignements, rendue possible par le développement de la géolocalisation et des transmissions de données en temps réel a permis d'assurer une forme d'impunité à ceux qui s'équipaient des appareils assurant la fonction d'avertisseur de radars.
Le CISR du 11 mai 2011 a pris la décision d'interdire le signalement des radars fixes ou mobiles.
la fausse suppression des panneaux signalant les radars fixes
Quelques jours plus tard, la première mesure était abandonnée, la suppression des panneaux avertisseurs de radars étant remplacée par l'installation de radars pédagogiques, la seule différence théorique étant l'absence d'indication précise sur la distance séparant ce radar informatif du radar qui provoquera éventuellement la sanction. Avec ou sans radar pédagogique, la stabilité du positionnement des radars fixes rend très facile la production d'applications téléchargeables gratuitement, elles existent déjà et seront mises à jour. Cette reculade gouvernementale n'avait donc pas une grande importance.
la suppression des avertisseurs de radars
Le véritable enjeu, dans l'attente des radars opérant dans des véhicules en déplacement, est de supprimer le signalement en temps réel des radars mobiles. Les sociétés qui ont développé cette fonction et qui font des affaires en réduisant la dissuasion de commettre des infractions, donc aux dépens de la vie des usagers, ont exprimé leur opposition aux mesures du CISR et le ministère de l'intérieur a fait le choix de la négociation et non de la solution législative interdisant ces pratiques dangereuses.
Le protocole signé le 28 juillet concrétise l'accord entre les deux parties. Il convient donc d'analyser les phrases et les mots clés de ce texte pour se faire une idée sur la crédibilité de l'accord. Comme toujours dans le domaine des tentatives de régulation intervenant dans des domaines porteurs d'intérêts financiers, postuler sur la bonne foi de ceux qui verront leurs ressources financières diminuer si l'accord est appliqué correctement est aventureux, il est plus solide de faire confiance à un texte de qualité, apportant des garanties. Quand les banques spéculent sur les dettes des Etats souverains après avoir contribué à alimenter leurs déficits par des prêts risqués, les Etats tentent de réguler le dispositif, mais les mesures adoptées sont toujours trop timides. J'ai la même inquiétude avec ce protocole et c'est l'avenir qui permettra de savoir s'il est appliqué et si ma méfiance est justifiée. Je n'envisage pas ici la confiance que l'on peut accorder aux utilisateurs des avertisseurs de radars, un grand nombre d'entre eux continueront à signaler les radars et les contrôles, malgré toutes les instructions qui pourront leur être données par les opérateurs, j'envisage seulement la sincérité de la collaboration des membres de l'AFFTAC avec les pouvoirs publics pour éviter que le protocole soit contourné.
pourquoi le protocole est-il construit sur une base inadaptée
Avant même de lire la première ligne de ce protocole, nous savions qu'il allait reposer sur une base inadaptée, développée depuis de nombreuses années par les adversaires des contrôles de vitesse, sans que les responsables de la sécurité routière aient mis en oeuvre la moindre pédagogie pour s'opposer à cette notion périmée. Il s'agit du concept de "zone dangereuse" ou de "point dangereux". J'ai développé une analyse spécifique de ce problème dans un document accessible sur le site : la notion de zone dangereuse. Le concept de zone d'accumulation d'accident corporel (ZAAC) est défini depuis longtemps, il est utile pour les aménageurs locaux qui veulent réduire les dernières sections de longueurs réduites justifiant un aménagement plus sûr que celui existant, ce qui n'est pas le cas de toutes les ZAAC. Ce concept ne concerne pas les sections longues de voies où sont observés la majorité des accidents corporels graves ou mortels. L'idée qu'il suffirait de placer les radars sur une faible partie du réseau désigné par le terme de section dangereuse pour obtenir des bons résultats en matière de sécurité routière est une source de malentendus. Il faut expliquer, avec des cartes à l'appui, dans chaque département, que l'ensemble des voies secondaires très circulées sont le siège de la majorité des accidents et que ces dernièrs surviennent tout au long de ces voies. Ceux qui mettent constamment en avant le concept mal défini de "zone dangereuse" ont pour seul objectif de pouvoir prétendre qu'il serait inutile de faire des contrôles sur le reste du réseau. Faire respecter strictement les règles sur la totalité du réseau ne serait destiné qu'à permettre à l'Etat d'accroître ses ressources en "piégeant les usagers" sur des voies qui ne seraient pas dangereuses, sous-entendu où l'on peut faire des excès de vitesse qu'il est injustifié de sanctionner.
L'avantage de l'insistance avec laquelle ce concept peu opérationnel a été mis en avant est que les départements vont devoir le documenter. Je suis curieux de voir sous quelles formes vont apparaître ces cartes des zones dangereuses et quelles définitions seront utilisées pour les établir. Certains départements ont fait un très bon travail dans ce domaine et j'en donne des exemples dans le texte sur la notion de zone dangereuse, mais les documents produits ne permettront pas de délimiter des sections réduites de voies. Ils montreront avant tout que les grands itinéraires départementaux sur des chaussées dépourvues de séparateurs médians sont le siège d'un grand nombre d'accidents. Ce travail aura l'avantage de faciliter la compréhension de l'évolution du risque routier au cours des cinquante dernières années. La division par un facteur proche de 10 de la mortalité au kilomètre parcouru a été produit par une conjonction de facteurs qui se sont renforcés mutuellement. La réduction des vitesses, l'amélioration des voies par la suppression d'un grand nombre de points noirs et le développement des ronds points, se sont associées aux améliorations de la structure des véhicules pour obtenir ce résultat. Il est encore possible d'obtenir des réductions de risque par l'infrastructure mais ce n'est pas en signalant des "sections de voies dangereuses" et des "points précis" où le risque serait particulièrement élevé que l'on va agir sur la mortalité.
les éléments importants du protocole
- les radars fixes et mobiles ne seront plus signalés. C'est le principe de base de ce protocole et dans un tel domaine les principes sont importants car leur transgression sera si évidente que l'on saura alors qui est sincère et qui ne l'est pas.
- Quand la pratique sera en contradiction avec ce principe, le ministère de l'intérieur sera en position favorable pour exiger l'application du protocole et faire adopter un projet de loi permettant de sanctionner la poursuite du signalement des radars mobiles. La disposition qui indique que le ministère de l'intérieur s'engage à "Elaborer et mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour que l'ensemble des outils d'aide à la conduite, quel que soit le fabricant ou l'utilisateur, n'indique pas la localisation des radars fixes ou mobiles" est particulièrement importante.
les phrases ambigües du protocole
- il y a des différences de rédaction incompréhensibles pour
désigner le principe fondateur du protocole :
- la formulation la plus complète est celle qui est contenue dans le paragraphe "calendrier de mise en oeuvre", elle indique que les membres de l''AFFTAC s'engagent dans un délai maximal de quatre mois "à ne plus indiquer la localisation des radars fixes ou mobiles et des contrôles routiers effectués par les forces de l'ordre ",
- dans la partie initiale du texte, l'AFFTAC s'engageait à "à ne plus indiquer la localisation précise des radars fixes ou mobiles et des contrôles routiers effectués par les forces de l'ordre ". Que vient faire l'addition de cette notion de précision dans la localisation ? Tous les signalements de positions de radars sont proscrits par le protocole, qu'ils soient précis (ou "imprécis" si l'on entend par là que les zones dangereuses équivalent à des signalements imprécis de radars !). Peut-on imaginer que cette rédaction permettrait aux membres de l'AFFTAC de faire des signalements imprécis de radars mobiles ou de contrôles ? Ce serait en contradiction avec la formulation du calendrier de mise en oeuvre.
- j'ai déjà indiqué ci-dessus l'importance de l'engagement du ministère de l'intérieur à "Elaborer et mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour que l'ensemble des outils d'aide à la conduite, quel que soit le fabricant ou l'utilisateur, n'indique pas la localisation des radars fixes ou mobiles". Pourquoi le segment de phrase "et des contrôles routiers effectués par les forces de l'ordre " est-il absent de cet engagement ?
- La distinction entre les "sections de voie dangereuses"
et les "points de danger précis"
- passons sur le fait qu'un point est toujours précis, sinon il ne s'agit pas d'un point, et sur la présence dans l'énumération des possibilités de "points dangereux" la présence insolite des "zones de chantier" qui nous éloigne encore un peu plus de la définition de ce qu'est un point.
- la notion la plus importante est bien entendu la définition
des sources possibles d'identification des deux types de danger,
ponctuel ou sur une section de voie et des possibilités de
signalement (annexe 1 - paragraphe 3 et 4). Une distinction très
importante est faite entre ce que les usagers peuvent
transmettre directement aux autres usagers et les transmissions
interdites. Malheureusement la distinction est incompréhensible
en l'absence de description des modalités pratiques
d'application. Qu'est-ce qui peut empêcher les usagers de
signaler des radars mobiles ou des contrôles par les forces de
l'ordre comme des "sections de voies dangereuses". Je
ne comprends pas non plus comment seront transmis "indirectement"
les dangers ponctuels constatés par les usagers (plaque de
verglas, chute de pierres et qui ne peuvent pas être transmis
directement aux autres utilisateurs si l'on suit les termes du
protocole.
- pour les points précis, il est spécifié que "en aucun cas les données fournies par les utilisateurs et signalant des points précis ne pourront être transmises directement aux autres utilisateurs".
- pour les zones dangereuses, cette restriction n'existe pas. Il est même spécifié que les "données issues des utilisateurs des différentes sociétés membres de l'AFFTAC"
ce que l'on peut prévoir à court terme
J'ai déjà envisagé les difficultés et les pièges de cette tentative de régulation. Les médias qui se sont faits une spécialité de lutter contre les mesures contraignantes qui ont divisé par deux la mortalité sur les routes à partir de fin 2002 ont immédiatement indiqué les méthodes permettant de contourner le protocole. Elles sont également décrites sur les forums d'usagers d'avertisseurs de radars et elles vont être précisées et organisées dans les semaines à venir grâce aux facilités de l'internet.
Exemples :
Site internet Auto-plus le 29/07 : "Les usagers pourront donc aussi indiquer la présence d'un coup de frein à proximité d'un contrôle... radar ! "
Forum moncoyote le 29/07 : "J'espère que Coyote saura trouver une parade légale sinon, quel intérêt. A moins que la communauté Coyote se mobilise et ne signale comme perturbations uniquement les radars".
Une fois le constat d'échec fait, le gouvernement aura deux options possibles :
- accepter le second échec après celui de la tentative de suppression des panneaux avertissant la présence d'un radar fixe,
- reconnaître l'échec et faire voter dans des délais courts une loi pénalisant le signalement de radars, notamment en donnant de fausses indications sur des "sections de voie dangereuses". Les informations transitant par un nombre limité de serveurs, identifier les usagers détournant les aides à la conduite de leur usage est relativement facile.